Les litiges fonciers au Togo: bientôt une page du passé?
- Plus de 75% des litiges qui sont aujourd’hui portés devant les tribunaux au Togo sont liés au foncier. C'est pourquoi, un nouveau code foncier sera bientôt présenté aux députés

Togo
AA/Lomé/Alphonse Logo
Au Togo, rien n’exaspère plus les tribunaux que les litiges fonciers, particulièrement récurrents dans le pays.
En effet « plus de 75% des litiges qui sont aujourd’hui portés devant les tribunaux au Togo sont liés au foncier », assure Pasteur Edoh Komi, défenseur des droits de l’homme togolais, président du Mouvement Martin Luther King, interrogé par Anadolu.
Enjeux fonciers, spéculations foncières à la fois urbaines et agricoles, tensions et conflits communautaires liés à la terre… Les conflits liés au foncier sont nombreux et souvent même meurtrier.
Ainsi, l’an passé, la préfecture de Doufelgou (Est) a été le lieu d’affrontements entre deux communautés, les Baga et les Lamba, qui se sont soldés par un mort et plusieurs blessés. A l’origine de ces affrontements ? Un litige foncier datant depuis près de 10 ans et porté devant la justice, d’après la presse locale.
«Au Togo, les litiges opposent non seulement régulièrement des communautés entre elles, mais aussi des collectivités territoriales et l’état », commente Me Fiatouwo Sesenou, ministre togolais de l’Urbanisme, de l’Habitat et du cadre de vie interrogé par Anadolu.
« Ces litiges interminables, ces conflits sans cesse, on en a assez» affirme le ministre qui précise qu'il existe pléthore de litiges dans le pays : « spoliations foncières, titres de propriété volés ou falsifiés, dysfonctionnements des institutions administratives, certains sont dans l’incapacité de prouver leurs droits de propriété… », énumère-t-il.
« Il y a aussi l’occupation anarchique par certains propriétaires terriens de réserves administratives soi-disant rétrocédées, puis aliénées par ces derniers à des tiers acquéreurs; les assignations en partage et des procédures d’expulsion portant sur des domaines déjà occupés, initiées par des personnes se disant héritiers d’aïeuls ayant concédé de leur vivant le droit à l’occupation et à la jouissance desdits immeubles aux tiers occupants etc… » , détaille-t-il encore.
« En raison de ces nombreux litiges persistants dans le pays, le Togo est au bord de l’implosion et risque à chaque instant des affrontements sociaux et communautaires », poursuit le ministre.
Face à ce fléau, le gouvernement semble cette fois fermement résolu à trouver des solutions.
« Une gouvernance foncière inclusive pour un développement durable au Togo, voilà ce que veut désormais le gouvernement togolais pour qui le temps est à l’action et non plus au discours » martèle le ministre, estimant que « la situation actuelle ne ressemble en rien à la cohésion sociale que le président Faure Gnassingbé veut pour le pays ».
- Nul ne pourra vendre un terrain au Togo s’il n’a pas de titre de propriété
Le temps de l'action passera probablement par des solutions durables déjà identifiés par le forum inclusif organisé fin avril dernier à Lomé.
« Nous avons remarqué que le processus d’obtention des titres de propriétés est si complexe que les communautés n’arrivent pas à l’acquérir. Des gens achètent donc des terrains sans parvenir à obtenir les titres fonciers » a indiqué à Anadolu, Nagbandja Kampatibe, membre d’un groupe de travail des recommandations au forum.
« Les collectivités en profitent donc pour procéder à des doubles ventes. Et dans certains cas, ce sont les agents de l’administration cadastrale qui en font un business en délivrant de faux documents. Nous avons donc recommandé à ce sujet que l’état togolais prenne des dispositions nécessaires pour faciliter l’obtention de ces titres de propriété » poursuit Kampatibe.
« Désormais, dans le futur, et c’est ce que nous avons convenu en avril dernier, personne ne pourra plus vendre un terrain au Togo s’il n’a pas un titre de propriété », a-t-il assuré.
- Consulter les chefs traditionnels
Une autre solution pour mettre fin au fléau du foncier au Togo, et suggérée cette fois par les garants des Us et Coutumes du pays, c’est que les chefs traditionnels soient consultés pour le règlement de ces multiples litiges devant les tribunaux du Togo.
« Parce qu’ils sont proches des collectivités locales et territoriales, véritables propriétaires terriens à ce jour au Togo. Ils les connaissent et sont à même d’indiquer à la justice qui est propriétaire dans tel cas ou non. Ce qui évitera à la justice dans le futur que des litiges fonciers trainent en décision » explique à Anadolu Pasteur Edoh Komi, défenseur des droits de l’homme, président du Mouvement Martin Luther King, la voix des sans voix", qui mène depuis plusieurs années la bataille de la justice pour « les faibles » dans les litiges fonciers devant la justice togolaise.
Pour Me Joseph Kokou Koffigoh, ancien Premier ministre du Togo et également membre d’un groupe de travail d’élaboration des recommandations au forum d’avril à Lomé « il existe une opposition entre le droit positif dit moderne et la tradition. Ce qui crée des incompréhensions dans les décisions qui sont parfois rendues. Les chefs traditionnels demandent à être consultés sur ces cas d’ambigüité. Et nous pensons que c’est un paramètre à ne pas négliger dans le nouveau code foncier », dit-il à Anadolu.
« La terre a toujours constitué pour l’humanité toute entière et singulièrement pour les pays africains un capital précieux, générateur de richesses vitales et illimitées. Sa valeur monétaire croît avec le temps. Elle suscite partout de grandes convoitises compte tenu de l’ampleur des transactions et de la rente foncières », avait déclaré le Premier ministre togolais Komi Sélom Klassou lors de la clôture du forum national.
C’est pourquoi, confie le ministre Sesenou, « un nouveau code foncier prenant en compte les recommandations consensuelles des travaux, du forum d’avril sera soumis très bientôt aux députés. Une fois voté, il nous permettra d’agir sur une base légale contre tout risque d’implosion » rassure-t-il sans préciser la date.
Les textes régissant l’actuel code foncier au Togo sont vieux d’une quarantaine d’années. Certains décrets pris par la France coloniale, avant l’indépendance du pays, sont d’ailleurs encore en vigueur. Le nouveau code foncier permettra-t-il de tourner définitivement une page du passé ?