Burkina Faso
AA / Ouagadougou / Dramane Traoré
Mali (août 2020 et mai 2021), Guinée Conakry (septembre 2021), Burkina Faso (janvier 2022)... en moins de deux ans, quatre Présidents ouest-africains ont été renversés par des militaires. En février 2022, une tentative de coup d’Etat se solde par un échec en Guinée-Bissau. L'effet domino est presque évident, les raisons conjoncturelles et profondes le sont moins, mais sont bien là, derrière ces remakes qui virent au phénomène.
Les observateurs scrutent, d'ailleurs, avec grand intérêt l'enchaînement avec lequel cette partie du continent africain a renoué avec les coups de force des militaires, après une période d'accalmie.
L’Agence Anadolu (AA) a sondé certains d'entre eux. Ils pointent du doigt entre autres, l’échec des politiques publiques, la corruption électorale, la montée de l’extrémisme violent et une posture des populations à se tourner vers de nouveaux partenaires.
- Remonter dans l'histoire
Paz Hien, juriste burkinabè et analyste politique estime, dans une interview accordée à AA, que pour comprendre cette récurrence des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest, il faut remonter dans l’histoire des relations entre le continent africain et le reste du monde.
Hien par ailleurs, directeur exécutif du Centre de recherches et d'études sur la déontologie l'éthique et la corruption pour l'effectivité des droits humains (CREDEC/EDH), souligne que depuis l'indépendance des pays africains jusqu’à la fin de la guerre froide avec la chute du bloc de l’URSS, on avait assisté à une série de coups d’Etat en Afrique, au lendemain de la deuxième guerre mondiale. "Juste après cela, les différents alliés se sont retrouvés à s’affronter notamment le bloc de l’Est et celui de l’Ouest. Les influences des uns et des autres se traduisaient également en Afrique", a-t-il fait savoir.
Selon lui, cette situation donnera naissance à deux camps à la tête des Etats africains. Alors qu’un camp était plus proche de la Russie, l’autre se tournait vers certaines forces occidentales. "Et on a assisté à une série de coups d’Etat. Après la chute du bloc de l’ex-URSS, on a senti une certaine accalmie jusqu’à récemment à partir de 2010 avec le retour de la Russie sur la scène politique en Afrique".
- L'échec des politiques publiques
Hien estime que la résurgence, à présent, des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest s’explique par le fait que "le terrain est fertile à cela". "On se rend compte qu’il y a un certain nombre de problèmes, notamment la question sécuritaire qui a favorisé le terreau pour ces coups d’Etat, car la plupart de ces Etats qui se sont rapprochés - à un moment donné - de l’Occident n’arrivent plus à garantir la sécurité à leurs populations".
"Les différents gouvernements sont en train de faillir avec une montée fulgurante de l’extrémisme violent", a-t-il dit. "Et la France, le principal Etat qui est intervenu aux côtés des pays de la sous-région pour essayer de restaurer la sécurité, n’a pas pu réaliser de résultats concrets depuis plus de dix ans", a-t-il ajouté.
"Donc aujourd’hui, les peuples sont exaspérés et les militaires profitent de cette situation pour revenir au pouvoir et se légitimer car actuellement, les coups d’Etats auxquels on assiste – Mali, Guinée, Burkina Faso- ce sont des coups d’Etats qui ont été légitimés. Les peuples ont applaudis car, à un moment donné, les anciens régimes avaient montré leurs limites", a-t-il expliqué.
Il note qu’aujourd’hui, la plupart de ces Etats africains qui ont enregistré des coups d’Etat tendent à se rapprocher de la Russie "qui semble être plus efficace" dans la lutte contre l’insécurité, soulignant que l’"on peut analyser les coups d’Etat sous l’angle de l’affrontement des grandes puissances sur le sol africain, et de l’échec des politiques publiques africaines que ce soit les partis politiques ou les gouvernements".
- Les populations ont besoins d’actes concrets
Dr Poussi Sawadogo, diplomate, enseignant-chercheur à l'Université libre du Burkina (ULB) et conseiller en formation à l'Institut d'accompagnement des carrières diplomatiques et internationales (IACDI), joint par l'Agence Anadolu, estime, pour sa part, que l’avènement des coups d'État en Afrique de l'Ouest, en l'occurrence au Mali, en Guinée et au Burkina Faso s'explique par "une gouvernance post-électorale insatisfaisante caractérisée par la corruption, le népotisme et l'insécurité galopante".
Pour cause, a-t-il déclaré, les acteurs politiques, notamment les présidents élus et les membres des gouvernements peinent à répondre aux attentes des populations en termes de responsabilité, de transparence, de participation et d'inclusion.
Prenant l’exemple du Burkina Faso, il rappelle que depuis 2016, le programme politique du Président Kaboré et de ses gouvernements a été "l'accusation pure et simple du Président Blaise Compaoré tout en amplifiant les tares de l'ancien pouvoir qui les a d'ailleurs fabriqués".
"Les populations ont des besoins concrets qui ne se règlent pas avec la démagogie et la haine fratricide. L'incapacité du pouvoir Kaboré d'apporter la paix a été l'élément majeur qui l'a emporté le 24 janvier 2022. Face à plus de 2000 morts et à près de 2 millions de personnes déplacées internes, il était intolérable d'accepter le péril sans réagir surtout du côté de l'armée qui manquait du minimum pour faire face au terrorisme", a-t-il affirmé.
Il souligne qu’avec l'accompagnement de la communauté internationale, les pays d’Afrique de l’Ouest qui ont connu des coups d'État peuvent se refonder et devenir des démocraties "respectables" car dans le fond, les démocraties à l'occidentale semblent "incapables" de relever les défis sécuritaires qui s'imposent.
"Les grandes puissances comme les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont fini par jeter l'éponge en Afghanistan. En Syrie, elles ont aussi céder le terrain à la Russie et à ses alliés. Le retour en force des régimes militaires doit être une interpellation face à une démocratie imposée par l'ordre international qui s'accommode mal des réalités endogènes africaines", a affirmé Poussi Sawadogo.
Pour lui, au lieu de privilégier une "démocratie de la concordance", il est question d'"une démocratie de la concurrence" qui divise les communautés et les pays, alors que le destin des pays africains se trouve dans des processus démocratiques adaptés à leur contexte au-delà de l'importation servile d'un système inopérant".
"L'Afrique est à un tournant historique de son évolution démocratique", a conclu Poussi Sawadogo.
Dans la même lancée, Paz Hien soutient : "On peut dire que c’est une autre forme de démocratie qui est en train de se préparer pour pouvoir s’exprimer (…) La CEDEAO est en train de montrer ses limites, il y aura également d’autres dispositions au niveau des relations internationales. Tout le monde est unanime que l’avenir du monde est en train de se jouer en Afrique".
- Faillite d'un modèle démocratique
Pour Danouma Ismaël Traoré, journaliste et doctorant en Études politiques à EHESS Paris, "il y a dans un premier temps la faillite même de la démocratie électorale imposée en Afrique avec le discours de la Baule (Prononcé par l'ancien Président français, François Mitterrand, le 20 juin 1990, NDLR). "La quasi-totalité des pays d’Afrique ont été à la fois poussés par les pressions internes qui exigeaient plus de libertés et de démocratie dans les années 1990, mais aussi par la pression internationale à s’ouvrir davantage", a-t-il dit.
Pour lui, la deuxième raison s’applique surtout avec les cas du Burkina Faso et du Mali. C’est le contexte sécuritaire avec l’aggravation de la situation et la faillite totale des Etats.
La troisième raison est liée, selon lui, aux tendances putschistes au sein des armées africaines qui ne se sont jamais estompées. "L’armée ne s’est jamais retirée de l’arène politique dans de nombreux pays si bien que constituer des gouvernements sans mettre de militaires aux portefeuilles de la Défense ou de la Sécurité c’est un scandale pour certains", a-t-il expliqué.
"Logiquement lorsqu’un militaire veut s’engager dans la politique, il doit pouvoir démissionner et aller en compétition avec les autres citoyens à “armes égales”. A défaut, il faudra relire les constitutions pour y inscrire les coups d’Etat", a fait savoir Traoré, s'interrogeant si ces militaires qui viennent au pouvoir auront la légitimité pour diriger pendant de longues années.
"Au Burkina Faso, les militaires semblent, jusque-là, se méfier de la classe politique et affirment vouloir mettre en place une transition apolitique. On ne sait pas ce que cela va donner. Évidemment, il y a deux situations qui sont possibles. La première, c'est que des militaires cèdent le pouvoir à un régime civil au bout d’une transition, comme cela a été le cas au Niger et au Burkina. La seconde, c’est que ces militaires décident après une transition d’organiser des élections et de se présenter après avoir soigneusement déposé la tenue militaire, du moins dans la forme", a-t-il prévenu.
Réagissant au coup d’Etat du Burkina Faso, lors d’un point de presse, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a affirmé mardi 25 janvier que "les coups d'État militaires étaient inacceptables" ajoutant que "le rôle des militaires doit être de défendre leur pays et leur population, pas d'attaquer leur gouvernement et de lutter pour le pouvoir".
"Bien plus qu’un effet de mode, la multiplication de ces coups de force traduit une crise profonde des systèmes politiques, déconnectés des attentes populaires et plombés par la corruption. Ils rappellent la nécessité de repenser les modèles démocratiques, au-delà du seul moment électoral, mais également l’efficacité des institutions supposées protéger et servir les citoyens", indique l'Institut d'études de sécurité (ISS), dans un article publié sur son site le 15 octobre 2021, à la suite d’un séminaire baptisé : " Vers un retour des coups d'État en Afrique ?".
* Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.