Afrique

Le passeport africain, plutôt qu'une panacée, "un message fort" à passer

Tout en reconnaissant que le passeport africain envoie "un message fort" qui renoue avec l'idéal de l'unité africaine, des observateurs émettent des réserves sur la matérialisation de cette initiative parrainée par la commission de l'Union africaine

Safwene Grira  | 22.07.2016 - Mıse À Jour : 23.07.2016
Le passeport africain, plutôt qu'une panacée, "un message fort" à passer

Bamako

AA/ Abidjian/ Bamako/ Kinshasa/ Issiaka N'guessan/ Moussa Bolly/ Pascal Mulegwa/ Balima Boureima

Remis, il y a quelques jours, à quelques centaines de participants au 27e sommet de l’Union Africaine (UA) de Kigali, "le passeport africain", fait marquant de cette dernière réunion continentale, ne sera vraisemblablement pas la panacée aux maux qui rongent l'Afrique, malgré l'enthousiasme qu'il a généré.

Ce nouvel instrument mis en avant par la Commission de l'UA dénote, tout de même, de la volonté africaine de passer un "message fort", symbole d'une Afrique en marche vers le développement et l'intégration.

Censé pouvoir être délivré à tous les citoyens qui le souhaitent d'ici 2020, selon le voeu de la Commission africaine, le passeport africain permettra la libre circulation de son détenteur dans l'ensemble des pays africains, de même qu'il facilitera la libre circulation des biens.

"Une véritable avancée", juge Dramane Lassana Traoré, enseignant-chercheur à l'université de Bamako, qui évoque dans un entretien avec Anadolu, un récent rapport de la Banque africaine de développement (BAD). Cette publication rappelle qu'à l'heure qu'il est, seuls 13 pays africains sur 54 permettent aux voyageurs continentaux d'entrer dans un pays sans avoir obtenu un visa.

Pour Traore, "le renforcement de la libre circulation des personnes et des biens" découle ainsi d'une nécessité, à l'heure où l'amélioration des échanges inter-africains est le leitmotiv de tous les rendez-vous sous-régionaux ou continentaux.

"Selon les régions, les relations économiques entre les Etats africains vont de 5 à 20%, ce qui est anormal. Il faut que nous tendions vers les 50% comme en Asie ou les 70% comme en Europe. On ne peut parler d’Afrique et d’unité si les pays sont tous extravertis et ignorent presque tout de leur voisin." a déclaré à Anadolu Moussa Mara, l'ancien premier ministre du Mali.

"Avec ce document, il y aura moins d’entraves à la libre circulation entre les pays", espère, de son côté, le professeur d'économie malien, en invoquant "la réduction des coûts de voyage avec la suppression des frais de visa", qui profiteront aux" ménages et entreprises" et permettront, tout en assurant un gain de temps, "la mobilité du travail et des compétences".

A l'en croire, "on peut aussi espérer la réduction du chômage car beaucoup de secteurs vont bénéficier de la mobilité des investissements pour absorber la main-d’œuvre",

Ainsi, si cette initiative devait se matérialiser, "les Africains se retrouveront dans l’unité africaine à travers le renforcement du sentiment d’appartenance à un seul espace économique intégré."

Cet enthousiasme se trouve, néanmoins, largement tempéré par d'autres observateurs. Geoffroy Kouao Julien, enseignant de Droit à l'université du Maghreb à Abidjan, a exprimé, quant à lui, la crainte de voir ce passeport africain restreint au seul usage, par ailleurs "vain", des chefs d'Etat et de gouvernement. "Par ailleurs, à quoi bon établir un passeport africain, si les passeports ivoirien, tchadien, algérien sont considérés d'ores et déjà comme des passeports africains, puisque émis par des pays africains ?" s'est-il interrogé.

"L'intégration est un rêve légitime", estime, dans une déclaration à Anadolu, Pierre Dogbo Dagbo, directeur de l'école de Sciences politiques à l'Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan. "On ne peut pas réaliser l’unité Africaine si nous ne sommes pas d’accord sur des principes tels que la libre circulation des Africains dans leur propre espace." Toutefois, "l’Afrique n’a pas à réinventer la roue puisque l’Europe l’a fait", note l'universitaire ivoirien ajoutant: "Il convient dès lors de se pencher sur les moyens qui ont permis l'élaboration de la libre circulation en Europe, un continent dix fois plus petit que l'Afrique mais où le processus qui a commencé dans les années 50, a pris des décennies avant d'aboutir à Schengen".

"Je trouve que c'est mettre les charrues avant les boeufs. Commençons d'abord par assurer la libre circulation des personnes et des biens, par supprimer les cartes de séjour entre Africains", invoque, dans une déclaration à Anadolu, Oumar Barou Sacko, diplomate malien en Arabie Saoudite.

Parmi les différentes organisations régionales, peu, comme la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO- 15 pays membres) ont réussi à garantir la libre circulation des personnes en assurant, également une union douanière. Même dans ce cas de figure, toutefois, l'effectivité de ces mesures est mise à rude épreuve en cas de survenance d'épidémies, comme à l'occasion de l'épidémie Ebola, qui a frappé en 2014 et 2015 des pays d'Afrique de l'Ouest. De même qu'il est souvent fait cas de "tracasseries" de la part de voyageurs.

Tout en reconnaissant "le message fort" sur une Afrique désireuse de renouer avec "l'idéal de l'unité africaine", Jean Jeff Mwanza, secrétaire général du parti congolais (RDC) de l'Alliance des démocrates pour une nouvelle république (ADN-opposition), se montre plutôt sceptique, en invoquant l'exemple de la sous-région d'Afrique centrale: "Si l'on prend le cas de la RDC, sur une large bande de nos frontières orientales, il y a des dizaines de groupes armés. Par ailleurs, nous avons à nos frontières un Burundi qui vit, depuis plus d'un an, une crise politico-sécuritaire. Comment appliquer la libre circulation des biens et des personnes dans pareil contexte, sans que l'usage de ce passeport ne complique la donne", a-t-il expliqué à Anadolu,

Mwanza élargit le champ de sa réflexion à la criminalité transfrontalière observée, par exemple, sur la bande sahélo-saharienne. Et toujours sceptique il relève "un manque à gagner de la part des trésors publics nationaux", qui ne manquera pas de faire obstacle à la généralisation de la libre circulation des personnes.

Des mesures économiques d’accompagnement peuvent être prévues par les Etats, pour parer à ce genre de difficultés, qui peuvent survenir, reconnaît l'économiste malien Dramane Lassana Traoré. Des aides aux Etats dans le renforcement des dispositifs de sécurité peuvent être prévues par l'UA. "Les avantages de l’instauration du Passeport panafricain ne seront pas les mêmes pour tous les pays. Il faut des reversements sous forme d’aides", a-t-il encore ajouté, en insistant sur la nécessaire "sensibilisation" pour faire accepter cette mesure.

"Des mesures seront certainement prises par rapport aux risques de sécurité liés à la forte mobilité des personnes et des biens. La Commission Paix et Sécurité de l’UA y veillera. C’est son rôle", ajoute l'expert malien, en insistant sur "le renforcement, que permettra le passeport africain du sentiment d’appartenance à un seul espace économique intégré"

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