Le «Journal du Jeudi», humour burkinabé 100% garanti
Unique journal satirique au Burkina Faso, le "JJ" existe depuis 25 ans et est tiré à près de 10 mille exemplaires chaque semaine.

Ouagadougou
AA/ Ouagadougou/ Olympia de Maismont
"Le dernier souper de Blaise et ses apôtres (Compaoré, ex-président burkinabé)", "Zinédine Zida (ancien PM) , le "héros" mal aimé !", "A vos urnes, rien ne va plus !", des titres accrocheurs, illustrés par des caricatures aux couleurs pâles, ornent, avec triomphe, les murs d'une vieille imprimerie de Ouagadougou...
Chaque semaine, dans la nuit du mardi au mercredi, deux hommes font tourner la vieille imprimerie.
Aux premières lueurs du jour, c’est au tour d’une équipe de jeunes hommes de couper, plier (manuellement) près de 10 milles exemplaires du Journal de Jeudi, «JJ» (prononcé « jiji » pour les intimes), qui seront ensuite distribués à travers le pays puis envoyés aux abonnés de l’étranger.
Il est 8h, ce jeudi, dans les rues de la capitale burkinabé, où vendeurs de journaux et passants se rencontrent. Pour 250 FCFA (0.5 USD),- une «broutille» lit on en Une- vous pouvez rire des caricatures de l’ancien chef de l’Etat Blaise Compaoré « Blaiso » portant une couronne de lauriers, ou encore « Rochzilla », (Roch Kaboré) l’actuel président.
Grâce à des textes et caricatures écrits en français et mooré (langues principales au Burkina) qui n’épargnent personne, surtout pas les dirigeants politiques, le «Journal du Jeudi», se vante d’être l’unique publication satirique au Faso où il est une référence depuis ses débuts, en août 1991 (quelques mois après la proclamation de la quatrième République qui permettait la création de journaux privés).
Si en Afrique francophone on compte plusieurs journaux satiriques inspirés du Canard Enchainé français comme «l’Eléphant Déchainé» en Côte d’Ivoire, le « JJ » a la particularité d’avoir totalement intégré la culture et l’humour burkinabè, explique son directeur, Damien Glez, rencontré par Anadolu.
«Il y a eu des expériences satiriques dans tous les pays notamment en Afrique de l’Ouest francophone mais aucune n’a réussi à tenir autant d’années. Notre recette c’est de traiter des évènements d’une manière compatible avec la tradition burkinabè, en utilisant par exemple des ressorts humoristiques comme la parenté à plaisanterie (échanges de mots qui amènent à démontrer la supériorité d’un groupe social à un autre par le rire)», explique le directeur, qui illustre, chaque semaine, la une de l’hebdomadaire par une caricature.
Faire accepter le Journal du Jeudi n’a pas forcément été évident, souligne Glez, un franco-burkinabé, installé au Burkina depuis 25 ans.
«La presse satirique et en particulier la caricature, c’est encore assez nouveau en Afrique francophone […] au départ il y a des hommes politiques qui n’ont pas tellement apprécié de voir leurs caricatures dans la presse, et puis les gens se sont habitués et aujourd’hui l’image de JJ au Burkina Faso est plutôt bonne», se réjouit-il.
«Après 25 ans d’expériences et à titre personnel comme dessinateur de presse, ce que je retiens de très positif c’est qu’on est dans un pays où il n’y a pas de chape de plomb. C’est vrai que ce n’était pas forcément simple, on a un régime qui est tombé il n’y a pas très longtemps après 27 ans de pouvoir (dans les mains de Blaise Compaoré) et qui a connu quelques dérives mais dès le départ on a su qu’on pouvait progressivement repousser les limites», dit-il.
Pas de censure donc pour « JJ », assure Glez.
Bien que l’affaire de Norbert Zongo (un journaliste d’investigation burkinabè assassiné alors qu’il enquêtait sur la mort du chauffeur du frère du président) ait dévoilé les limites de la liberté de presse au pays des hommes intègres, les nombreuses manifestations et dénonciations qui ont suivi ont aussi permis de faire bouger les choses.
«Le pouvoir s’est rendu compte qu’il était allé trop loin et qu’il devait forcement lâcher du lest et progressivement on arrive à dessiner de plus en plus», ajoute le directeur qui estime toutefois que certaines limites «sociales subsistent».
«En dehors de la politique et des petites querelles habituelles qu’il peut y avoir entre un journaliste satirique et un homme politique ou une institution, il y a deux tabous. Le premier, assez spécifique au Burkina et de façon générale dans le Sahel, c’est la représentation du sexe, car les gens restent très pudiques», analyse-t-il.
«Le deuxième problème que j’ai rencontré est de l’ordre du religieux. Nous avions fait des caricatures qui utilisaient l’image du Christ, de Pâques et nous avions reçu des lettres extrêmement incendiaires. Mais c’est un tabou auquel je n’ai pas été souvent confronté surtout qu’il n’y a pas de tensions religieuses ici», ajoute Glez.
Aujourd’hui, près d’une dizaine de journalistes -la plupart non permanents- collaborent au "Journal du Jeudi", parfois de manière anonyme tandis que trois dessinateurs et caricaturistes illustrent chaque semaine ses pages.
Ce volet illustratif fait d’ailleurs la particularité de l’hebdomadaire explique Glez, car, contrairement à la presse française par exemple, les journaux burkinabés ne publient généralement pas de dessins ou caricatures politiques.
Autre particularité de l'hebdo burkinabé, qui lui permet flexibilité et indépendance, c'est d'avoir sa propre imprimerie.
«Le journal du Jeudi est financé essentiellement par ses ventes, bien que la publicité ait constitué une grande partie des revenus du journal il y a quelques années, elle ne participe plus qu’à hauteur de 10% aujourd’hui», explique, Pawendtaoré Yaméogo, directeur des affaires administratives et financières de l’hebdomadaire.
Souvent comparé au Canard Enchainé ou à Charlie Hebdo en version plus «soft».(Luz et Olivier Cyran, précédemment journalistes à Charlie hebdo avaient d’ailleurs contribué en 1994 numéro spécial «Nassara»,(‘blanc’ en Mooré)) - le « JJ semble avoir encore de beaux jours devant lui...