Analyse, Afrique

Le départ de Stephanie Williams aggrave "l'impasse onusienne" en Libye (Analyse)

- Guterres n'a pas réussi à désigner son émissaire pour la Libye depuis huit mois à cause des divergences entre les membres du Conseil de sécurité

Mustapha Dalaa  | 08.08.2022 - Mıse À Jour : 15.08.2022
Le départ de Stephanie Williams aggrave "l'impasse onusienne" en Libye (Analyse)

Libyan

AA / Istanbul

L’Américaine Stephanie Williams a jeté l'éponge et décidé de renoncer de son propre chef au poste de conseillère du Secrétaire général de l'ONU en Libye, selon une annonce faite par un porte-parole onusien.

Cependant, cela n'exclut pas l'existence de pressions russes et africaines de la nécessité de désigner un nouvel émissaire onusien, un poste vacant depuis le début de l'année en cours.

Le conflit international au sein du Conseil de la sécurité au sujet de la nomination d'un nouvel émissaire onusien reflète clairement les divergences qui secouent la scène intérieure libyenne, entre les différents protagonistes, ce qui a rendu encore plus difficile la mission de sortir de la spirale des phases transitoires, vers une phase d'alternance au pouvoir via les élections.

Le mandat de Williams, en tant que conseillère onusienne pour la Libye, a pris fin le 31 juillet, selon le porte-parole du Secrétaire général de l'ONU, Farhan Haq, en raison « d'autres engagements », ce qui ouvre à nouveau le débat au sujet de la personnalité qui prendra en charge la présidence de la mission onusienne, ou du moins le poste de conseiller de Guterres, si le Conseil de sécurité échouerait à nommer un nouvel émissaire en Libye.

Rappelons que le mandat de la mission onusienne en Libye a été prolongé de trois mois, et ce jusqu'au 31 octobre 2022.

- Le bout d'un tunnel fermé

Au terme de quatre ans et demi, Williams s’est résignée et est désormais convaincue qu'elle a atteint le bout d'un tunnel fermé, en raison de l'obstination de la classe politique libyenne et de sa volonté de maintenir les gouvernements provisoires.

Dans une interview accordée à la chaîne saoudienne satellitaire « al-Arabiya », la diplomate américaine a dit que les protagonistes libyens « s’adonnent au jeu des chaises musicales ».

En d'autres termes, les acteurs politiques libyens tournent autour de sièges vacants, dont le nombre est inférieur à leur nombre effectif, et aussitôt qu’ils reçoivent un signal, ils accourent pour s'asseoir et celui qui ne trouve pas de chaise vacante, il est mis hors circuit.

La rencontre du Caire, qui avait réuni deux délégations de la Chambre des députés de Tobrouk et du Haut Conseil d'Etat (législatif – consultatif), à la fin du mois dernier, était en réalité la dernière chance offerte non pas à la classe politique mais plutôt pour Stephanie Williams.

En effet, les deux délégations, dont la mission consistait à convenir à un processus constitutionnel, ont échoué à atteindre cet objectif, et Williams a tenté de réparer les dégâts, en organisant une réunion entre Aguila Salah, président de la Chambre des députés, et Khaled Mechri, président du Haut Conseil d'Etat, à Genève, laquelle réunion n'a enregistré aucun progrès à son tour.

En effet, Aguila Salah a insisté pour garantir la candidature des Libyens détenteurs de la double nationalité à l'élection présidentielle, tandis que Mechri a refusé d'élaborer une Règle constitutionnelle sur mesure pour Khalifa Haftar, chef des forces militaires de l'est du pays.

Ainsi, aucun progrès n'était possible avec les mêmes têtes et les mêmes protagonistes, que Williams a qualifié « d’une poignée d’individus qui ont pris l'avenir politique du pays en otage », tout en persistant à vouloir aller de l'avant sur la même voie qui a prouvé son échec plus d'une fois.

Bien que Williams ait réussi, en 2020, alors qu'elle assurait l’intérim de la présidence de la mission onusienne, à identifier une issue peu conventionnelle au monopole de fait du Haut Conseil d'État et de la Chambre des députés, qui faisaient main basse sur la décision. Williams a réussi en parvenant à une composition de la Commission des 75, qui a comporté en son sein 26 membres, à égalité issus des deux institutions, afin de les contenir et d’éviter qu’elles n’entravant l'action de ladite commission.

La Commission des 75 a réussi, à l'époque du nouvel émissaire onusien, Ian Kubic, à choisir une nouvelle autorité exécutive, à unifier le gouvernement et le Parlement, mais a échoué néanmoins à élaborer et à adopter la Règle constitutionnelle.

Après la démission de Ian Kubic, et avec le retour de Williams, cette fois-ci au poste de conseillère onusienne, elle ne s’est pas employée à réactiver ou à ressusciter la Commission des 75, d'autant plus que certains parmi ses membres occupent désormais des postes ministériels, tandis que d’autres font l'objet de suspicions de corruption et de malversations.

Williams a choisi la même voie politique qui a donné lieu à l'Accord de 2015, en optant sur les deux derniers corps élus, qui représentent ce qui reste de la légalité, mais qui ne sont pas parvenus à un nouvel accord applicable. C'est pour cette raison que Williams a jeté l'éponge et décidé de partir après avoir eu marre du « jeu des chaises musicales ».

- A la recherche d'une alternative

Il est indéniable que le départ de Williams avant la désignation d'un nouvel émissaire onusien sera de nature à créer une vacance en Libye. Il sera difficile au Zimbabwéen Raisedon Zenenga, coordonnateur de la mission onusienne dans ce pays et qui assure l'intérim, de combler cette vacance, en cette phase délicate et sensible marquée sporadiquement d’affrontements et par un éventuel usage de la force pour entrer dans Tripoli.

Depuis sa désignation en date du 10 décembre dernier, Raisedon Zenenga n'a joué aucun rôle majeur dans la résolution de la crise libyenne, en dépit de ses rencontres protocolaires, assez timides par ailleurs, avec des responsables locaux.

C'est ce qui explique l'affirmation d'un porte-parole onusien que Guterres « tente, dans les plus brefs délais, de nommer une personnalité apte à accomplir la mission, déjà assurée par Williams, mais nous n'avons pas trouvé jusqu'à présent une personnalité à nommer ».

Evoquer la nomination d’une personnalité provisoire à la place de Williams signifie que le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pourrait désigner un conseiller en Libye au lieu de proposer la nomination d'un émissaire onusien, qui a besoin de l'approbation du Conseil de sécurité, dont les États membres sont scindés.

Rappelons que lors de la démission de l’émissaire onusien, Ghassan Salamé, en mars 2020, le Conseil de sécurité n'a réussi à lui désigner un remplaçant qu’au mois de janvier 2021, soit après l'écoulement de plus de dix mois.

Depuis la démission de Ian Kubic en novembre 2021, aucun remplaçant ne lui a succédé en dépit des huit mois qui sont passés depuis, ce qui traduit la difficulté de choix d'un nouvel émissaire onusien qui bénéficie de l'unanimité des 15 membres du Conseil de sécurité, qui sont scindés en deux principaux blocs, celui des États-Unis et de leurs alliés européens et le bloc africain appuyé par la Russie et la Chine.

Des noms circulent depuis plusieurs mois pour occuper ce poste. Il s'agit essentiellement de l'Algérien Sabri Boukadoum et de l'Allemand Christian Bock.
Boukadoum avait déjà occupé le poste de ministre algérien des Affaires étrangères et de délégué de ce pays voisin avec la Libye auprès des Nations unies. Il s'était déjà rendu en Libye et a une connaissance assez fine de la situation.

Guterres avait proposé au Conseil de sécurité de nommer Boukadoum comme émissaire spécial pour la Libye, d'autant plus qu'il est appuyé par l'Algérie et l'Italie, mais des médias occidentaux avaient rapporté que les Émirats arabes unis, membre non-permanent au sein du Conseil de sécurité avaient rejeté, seuls, cette nomination.

Quant à Bock, qui est soutenu par le bloc européen, il est peu probable qu'il bénéficie de l'appui de la Russie et du bloc africain, qui revendique que le prochain émissaire soit issu du Continent noir.

Bien que la Libye soit un Etat africain, il n'en demeure pas moins que parmi les noms qui se sont succédé à la présidence de la mission, aucun par mieux n'était une personnalité africaine, ce qui reflète une marginalisation du Continent noir, même dans les dossiers qui le concerne. C'est pour cette raison essentiellement que les États du continent insistent, cette fois-ci, pour que l’émissaire onusien pour la Libye soit un Africain.

Les Libyens sont intéressés, en cette phase, à ce que la scission internationale au sujet de la nomination de l'émissaire onusien, n’ait pas d'impact sur la situation interne pour l'aggraver davantage.

En effet, plus rapidement les Nations unies nommeront un représentant dans ce pays et plus efficacement cela contribuera à réduire les tensions internes et éviter que la Libye ne s'enlise dans un affrontement généralisé et global.


*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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