Le conflit budgétaire menace la stabilité du dinar libyen après sa dévaluation
Selon l’économiste Faraj Qashout, la crise découle de l’impasse politique. Il appelle à diversifier les revenus, maîtriser les dépenses et s’accorder sur un budget unifié.

Libyan
AA/Libye/Muetaz Wannes
Le retard dans l'accord entre les parties prenantes du conflit libyen concernant l'approbation d'un budget unifié pour le pays a eu des répercussions négatives sur la scène économique.
Cela s'est manifesté notamment par l'effondrement du taux de change du dinar par rapport aux devises étrangères, conséquence directe des dépenses "parallèles" des deux gouvernements, à l'est et à l'ouest du pays.
Dimanche dernier, la Banque centrale Libyenne a décidé de réduire la valeur du dinar de 13,3 % pour atteindre 5,56 dinars pour un dollar américain, tandis que son taux dans le marché parallèle a dépassé les 7 dinars.
Cette décision a été qualifiée d’"indispensable" en l’absence d’un espoir tangible d’unification des dépenses entre les deux gouvernements.
La Libye est actuellement sous la gouvernance de deux administrations rivales : le gouvernement d'unité nationale dirigé par Abdelhamid Dbeiba, basé à Tripoli et contrôlant l’ouest du pays, et le gouvernement d'Osama Hamad, désigné par le parlement il y a plus de trois ans, basé à Benghazi et contrôlant l'est et le sud du pays.
Alors que les deux gouvernements libyens s'appuient sur des dépenses "parallèles et doubles", exacerbant ainsi la crise économique, les parties en conflit ont décidé au début de l'année 2024 de mettre en place un budget unifié pour le pays.
À cette fin, une commission a été formée, composée de membres des deux parlements et d'un représentant de la Banque centrale.
Cependant, malgré plusieurs réunions internes et des négociations à Tunis sous l'égide des États-Unis, les discussions ont échoué en raison de divergences majeures, notamment sur les projets de "développement" lancés respectivement dans l'ouest et l'est de la Libye.
En juillet 2024, le parlement libyen a adopté un projet de loi sur le budget unifié, évalué à 179 milliards de dinars (environ 37 milliards de dollars à l’époque). Cependant, le Conseil d'État a rejeté cette loi, la qualifiant d’"inconstitutionnelle" et soumise à des irrégularités tant sur la forme que sur le fond.
La crise actuelle
Le maintien de dépenses sans budget officiel a plongé la Libye dans une situation de déficit financier.
Face à cette situation, la Banque centrale a décidé de réduire la valeur du dinar de 13,3 % dimanche dernier, ce qui a entraîné une augmentation du taux de change du dollar, passant de 6 dinars à 7,5 dinars, avec une prévision possible d'atteindre 8 dinars pour un dollar, selon des experts libyens.
La Banque centrale a expliqué que "les dépenses publiques doubles des deux gouvernements ont contribué à creuser l’écart entre l'offre et la demande de devises étrangères et ont empêché la stabilisation du taux de change et la hausse de la valeur du dinar".
Elle a précisé que "les dépenses publiques doublées en 2024 s’élevaient à 224 milliards de dinars (environ 45 milliards de dollars), dont 123 milliards pour le gouvernement de Dbeiba, 42 milliards pour les échanges pétroliers et environ 59 milliards pour le gouvernement de Hamad, contre des revenus pétroliers et fiscaux s’élevant à 136 milliards de dinars".
Réactions officielles
La décision de la Banque centrale a suscité des réactions au sein du Conseil présidentiel, qui a publié une déclaration affirmant que "le déficit financier résultant de l'absence de budget national et du nombre de structures d'approvisionnement ne peut pas être corrigé par une dévaluation de la monnaie nationale".
Le Conseil présidentiel a estimé que "la décision de la Banque centrale entraînera une demande accrue de devises étrangères, car elle aura un impact direct sur l’augmentation des dépenses publiques au cours de l’année fiscale suivante".
Le Parlement, quant à lui, a demandé au président du Parlement, Aquila Saleh, de convoquer une session d'urgence pour discuter de la décision de la Banque centrale et inviter le gouverneur de la Banque centrale à une audition.
Réponse des gouvernements rivaux
Le gouvernement d’unité nationale a de son côté insisté sur le fait que "l'épuisement des réserves de change de l’État, conjugué à un déficit financier, a affaibli la capacité de la Banque centrale à intervenir pour protéger le dinar".
Le gouvernement d'Osama Hamad a, pour sa part, qualifié la déclaration du gouvernement de Dbeiba et de la Banque centrale de "mensongères", accusant l'autre partie de tenter de se dérober de ses responsabilités et de cacher la vérité au peuple libyen.
Solutions économiques possibles
Au milieu de toutes ces déclarations et accusations échangées entre les parties, l'expert économique libyen, Faraj Qashout, a estimé que "la Banque centrale ne porte pas seule la responsabilité de la situation actuelle", soulignant que cette décision était le résultat de l'inaction des responsables politiques en Libye, qui n'ont pas pris en compte les conséquences de leur conflit sur le pays.
Qashout a estimé que pour sortir de l'impasse économique actuelle, il est impératif de « diversifier les sources de revenus nationaux, rationaliser les dépenses publiques, et parvenir rapidement à un accord sur un budget unifié placé sous contrôle institutionnel ».
De son côté, l’économiste libyen Faraj Mahmoud Berwaq a qualifié la décision de la Banque centrale de « désavantageuse" », estimant que d'autres alternatives étaient possibles pour éviter la dévaluation du dinar, mesure qui, selon lui, fait peser le poids de la crise sur les citoyens.
Le 6 avril, la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a exprimé sa vive préoccupation face à la détérioration du climat économique et à l’escalade des accusations réciproques entre les camps rivaux, réaffirmant par ailleurs sa disponibilité à faciliter un dialogue visant l’adoption d’un budget national unifié.
Traduit de l'arabe par Sanaa Amir
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