Afrique

Le Burundi risque la "somalisation" après le refus d’une Force africaine de paix

Selon un analyse, «l’avenir pour le Burundi est d’autant plus incertain que quatre rébellions ont ouvertement déclaré la guerre au régime», un constat à rajouter à la situation économique chaotique.

Mohamed Hedi Abdellaoui, Safwene Grira  | 16.02.2016 - Mıse À Jour : 17.02.2016
Le Burundi risque la "somalisation" après le refus d’une Force africaine de paix

Bujumbura

AA/ Bujumbura/ Nzosaba Jean Bosco

Le tableau se présente de la façon la plus sombre dans un Burundi confronté à une grave crise sécuritaire et humanitaire, depuis 10 mois, qui encourt les risques d'une "somalisation", de l’avis d'observateurs et acteurs de la scène politique burundaise approchés par Anadolu.

"L'avenir du Burundi est d’autant plus incertain que quatre rébellions ont ouvertement déclaré la guerre à Pierre Nkurunziza. D'autres mouvements sont peut-être encore à venir. Toute cette galaxie de rebelles risque de transformer le pays en une autre Somalie », a déclaré à Anadolu, Célestin Nduwayo, politologue et enseignant à l’université de Bujumbura.

Un nouveau mouvement politico-militaire, l'Union des Patriotes pour la Révolution (UPR), a annoncé son existence, jeudi dernier au Burundi, à travers un communiqué dont Anadolu a eu copie.

Cette nouvelle rébellion s'ajoute à trois autres préexistantes, se proposant toutes de destituer par la force Pierre Nkurunziza, contesté depuis avril dernier. Il s'agit de la Résistance pour un Etat de Droit au Burundi (Red Tabara), des Forces républicaines du Burundi (Forebu) et des Forces Nationales de Libération (FNL). A l'exception de celles-ci, toutes ces rébellions ont officiellement vu le jour pendant ces deux derniers mois.

Certains de ces groupes ont déjà revendiqué des attaques qui ont frappé en plein coeur de la capitale burundaise. L’insécurité est montée d’un cran à Bujumbura: explosions de grenades, tirs à l’arme automatique, chaque jour a son lot de morts et de blessés. La situation devrait encore empirer dans les jours qui viennent, craignent des acteurs politiques, d'autant plus que le souvenir de la guerre civile est encore frais.

"Les discours reposant sur des considérations ethniques prêchés par certains cadres du régime ne feraient que jeter l'huile au feu dans un pays qui a déjà connu les affres de la division et de la guerre civile (1993-2003) », analyse l’universitaire Nduwayo. De fait, le discours officiel est accusé par ses détracteurs d'entretenir une logique "de haine et de division" en stigmatisant la minorité Tutsi, supposée entretenir la contestation. Une accusation dont le pouvoir s'était défendu.

Pour parer au retour à la case de la "guerre civile", le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'Union Africaine (UA), avait envisagé en décembre dernier d'envoyer une force africaine d'interposition au Burundi. Devant le refus de Bujumbura, le sommet de l'UA de janvier dernier a renoncé, temporairement, à cette option.

«Après l’assassinat du Président Melchior Ndadaye en 1993, des forces étrangères avaient été sollicitées mais ne sont venues qu'en 2003, soit dix ans après que des massacres ont été commis, cela devrait être évité», a regretté, dans une déclaration à Anadolu, Léonard Nyangoma, Président de la plateforme de l’opposition, Cnared (Conseil National pour le Respect de l'Accord d'Arusha et de l'Etat de Droit au Burundi).

Ce qui a été interprété comme "un revirement" de la part de l'UA a également douché les espoirs de la société civile burundaise, dont les leaders s'étaient farouchement opposés au 3ème mandat de Pierre Nkurunziza qui a déclenché la crise en avril dernier.

"Si la situation dégénère, et tout semble indiquer que le pays va vers le chaos, les milliers de victimes feront la honte de l’UA », déclare à Anadolu Michel Ndikuriyo, de la Ligue burundaise des droits de l'homme, Iteka (dignité). Déjà, les morts se comptent par plusieurs centaines dans ce pays, les réfugiés et déplacés par quelques centaines de milliers.

Certains acteurs de la scène politique, surtout l'opposition et le tissu associatif, gardent néanmoins les yeux rivés sur la délégation de haut niveau récemment désignée par le nouveau président de l’Union africaine, le tchadien Idriss Deby Itno, pour faire bouger les choses.

"Espérons que cette délégation africaine qui sera prochainement au Burundi arrivera à stopper la violence et à fixer une date précise pour les négociations avec l'opposition qui sont bloquées. Sinon, ce sera un échec cuisant de la diplomatie régionale et internationale", a dit à Anadolu l'opposant Tatien Sibomana, porte-parole du parti Union pour le progrès national (Uprona-opposition).

Les chances de juguler le chaos s'amenuisent d'autant plus que l'économie est au plus bas. Dans le dernier rapport du Fonds Monétaire International (FMI) publié la semaine dernière, le Burundi figurait comme le pays le plus pauvre au monde en 2015. Une situation qui risque d'empirer avec des "mesures" annoncées, lundi, par l'Union Européenne pour sanctionner Bujumbura, qui dépend en grande partie des aides internationales.

Tout en condamnant les attaques perpétrées contre les forces de l'ordre et les institutions du pays, les 28 Ministres des Affaires étrangères de l'UE ont ainsi estimé que le régime de Nkurunziza faisait un usage "disproportionné" de la force en guise de représailles.

Pour colmater les brèches financières, le Ministère des finances burundais compte sur l’endettement auprès des banques locales. «C'est une option envisagée dans l’exécution de la loi de finance 2016" commente, dans une déclaration à Anadolu, Firmin Nahayo, cadre au ministère des Finances. "Peu orthodoxe comme procédé", répliquent des économistes.

«L'argent va être affecté à la consommation au détriment de l’investissement. S'en suit une diminution de la production, synonyme de baisse de recettes», schématise dans une déclaration à Anadolu , Léonce Sinzinkayo, économiste économiste et ancien gérant du Projet d’Appui à la Gestion Economique, PAGE, financé par la Banque Mondiale.

Bujumbura reconnaît, de son côté, la gravité de la situation économique, mais nie qu'elle soit liée au troisième mandat de Pierre Nkurunziza.

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