Afrique

Le Burundi encourt-il vraiment un risque de génocide ?

- Bujumbura n'est pas engagé dans cette logique génocidaire, mais le risque de dérapage existe puisque le régime ne contrôle pas tout le système, d'après un diplomate tchadien en poste dans la région des Grands lacs africains

Mohamed Safwene Grira  | 21.11.2016 - Mıse À Jour : 23.11.2016
Le Burundi encourt-il vraiment un risque de génocide ?

Bujumbura

AA/ Tunis/ Safwene Grira avec la contribution de Pascal Mulegwa et d'Yvan Rukundo

Le Burundi qui traverse une crise politique et sécuritaire depuis un an et demi encourt-il réellement un risque de "nouveau" génocide ainsi qu'avaient mis en garde, récemment, deux rapports internationaux ?

"Étant donné l'histoire du pays, le danger de génocide est grand" prévenait, ainsi, en septembre dernier le rapport d'un groupe d'experts indépendants des Nations unies sur le Burundi. Cette estimation repose, en partie, sur l'histoire "marquée par des cycles répétés de violence intense, y compris entre les communautés ethniques".

"Les massacres de masse – ou selon certains le génocide des Hutu – commis en 1972 constituent la justification de mesures préventives pour protéger la majorité [hutu] contre la minorité [tutsi]", rappelle pour sa part un rapport publié mardi dernier par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) intitulé: "Burundi, une répression aux dynamiques génocidaires"

Par ailleurs, un certain nombre de déclarations imputées à des officiels burundais pourraient constituer une incitation à la violence, traduisant «l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux», aux termes de l’article 6 du Statut de Rome, définissant juridiquement le crime de génocide.

Telle avait été l'interprétation faite par une partie de la communauté internationale des propos du président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, en novembre 2015, et de ceux du président de l'Assemblée nationale, Pascal Nyabenda, en août dernier.

Pour Patrick Bahala, professeur de relations internationales à l'université de Kisangani, en République Démocratique du Congo (RDC) voisine, la logique génocidaire imputée au régime burundais trouve son origine dans "la dynamique de rupture, de surenchère dans laquelle semble s'engager Bujumbura."

Dans cette optique, le régime "devait désigner des responsables", autres que lui-même, de la dégradation de la situation, explique Bahala.

Sur le plan international, ce sera l'Organisation des Nations unies (ONU), accusée "d'ingérence" et de fabriquer des "rapports fallacieux" sur le Burundi, poursuit la même source. Le régime a donc réagi, en octobre dernier, par la suspension de la collaboration avec le bureau des droits de l'homme onusien et en adoptant une loi de retrait de la Cour pénale internationale (CPI).

Sur le plan régional, le pouvoir a développé, depuis plusieurs mois, "une argumentation à la Delenda Carthago accusant le Rwanda de tous les maux du Burundi", poursuit cet expert. C'est dans cette logique, d'ailleurs, qu'il convient de lire la dégradation des rapports avec ce pays frontalier.

Sur le plan interne, enfin, mais de manière "plus insidieuse", "le Tutsi responsable du génocide de 1972, le Tutsi minoritaire et d'origine étrangère, le Tutsi proche du gouvernement tutsi de Kigali, c'est ce Tutsi qui a été désigné comme coupable. Une cible facile", conclut le professeur congolais.

En avril 2015, l'annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, "au mépris" de la Constitution, d'après l'opposition et la société civile, précipitent le pays dans une grave crise politique. Après le coup d'Etat raté de mai 2015, l'indexation des Tutsi, minoritaires dans ce pays comme dans toute la région des Grands Lacs, s'accentue.

Alors que "le pouvoir cherche depuis plusieurs années à répandre l’idée que l’opposition politique est dominée par des Tutsi", d'après la FIDH, le risque de voir le Burundi renouer avec ses vieux démons refait surface. Outre les massacres de 1972, ce pays a connu une guerre civile de plusieurs années qui n'a pris fin qu'après la signature de l'accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation en 2000.

Cet accord qui a marqué la plus longue période de paix constatée depuis l’indépendance a prévu le partage du pouvoir entre les différents groupes socio-politiques et ethniques, rappelle le rapport des experts de l'ONU.

Côté burundais, les officiels déclarent que le risque de génocide est "exclu". Une partie de la société civile et de la communauté universitaire burundaises abonde dans le même sens. "Le risque de génocide est brandi par certains pour attirer l'attention de la communauté internationale sur ce qui se passe au Burundi. Mais ceux qui parlent de génocide savent qu'il n'en est rien, que le risque n'existe même pas", a martelé dans une déclaration à Anadolu Aloys Batungwanayo, historien chercheur à l'université de Bujumbura et représentant légal de l'Association pour la Mémoire et la Protection de l'Humanité contre les Crimes Internationaux.

Pour Stef Vandeginste, professeur à l'Institut de politique et de gestion du développement de l'Université d'Anvers en Belgique, la question de savoir si un génocide est en voie de préparation dans ce pays n'est pas tranchée. Alors que le Statut de Rome fait du génocide une violence systématique contre un groupe déterminé aux fins de l'éradiquer, Vandeginste relève "le profil diversifié des cibles visées par la violence" au Burundi.

"Alors que la violence est sans aucun doute en grande partie d’inspiration politique, il n’est pas à exclure que, dans un contexte d’attaques le plus souvent non revendiquées, une partie de la violence ne corresponde qu’à des activités essentiellement criminelles et à des règlements de compte non politiques", précise ce spécialiste du Burundi dans sa Chronique politique du Burundi 2015-2016, parue dans la publication annuelle: L'Afrique des Grands Lacs, annuaire 2015-2016.

"Le régime sait qu'il n'avait pu s'opposer au déploiement d'une force africaine, début 2016, d'une force onusienne, en juillet dernier, que parce qu'une ligne rouge n'a pas encore été franchie", glisse un diplomate tchadien en poste dans la région. "Il lui sera, dès lors, plus difficile de s'opposer à une intervention directe dans le cas d'un génocide. Mais si Bujumbura n'est pas engagé dans cette logique génocidaire, le risque de dérapage existe puisque le régime ne contrôle pas toute la machine"

En Centrafrique, un pays appartenant à la même sphère géographique, ce cas s'était posé en 2014. Le président Michel Djotodia avait perdu contrôle sur ses troupes, les ex-Séléka, une milice rappelant, toutes choses étant égales par ailleurs, les Imbonerakure du régime burundais.

"Il y a la jeunesse du parti au pouvoir, les Imbonerakure. Il y a aussi les médias. Parce qu'il suppose beaucoup d'acharnement et beaucoup de manipulation, un génocide ne peut s'accomplir sans une participation active des médias. Ce sont les médias qui pousseront la population, selon les cas, à prendre part à cette funeste opération ou à fermer les yeux", conclut ce diplomate dans sa déclaration à Anadolu.

Pour Marie-Soleil Frère, vice-rectrice aux relations internationales et à la coopération au développement à l'Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste des médias en Afrique subsaharienne, "il faut distinguer le risque de génocide du rôle potentiel des médias dans un génocide".

Sur le premier point, Frère relève que pour le Burundi "ce risque ne fait pas l'unanimité. Certaines ONG ont, certes, tiré la sonnette d'alarme, parce qu'il y a des signes inquiétants qu'ils observent avec beaucoup d'appréhension. Il est toutefois difficile, aujourd'hui, de mesurer exactement le risque de génocide au Burundi", a-t-elle déclaré à Anadolu.

Concernant "la contribution possible des médias, ce rôle consiste le plus souvent dans le fait d'attiser la haine entre communautés et d'accompagner concrètement l'exécution du génocide", précise l'auteure de "Journalismes d'Afrique" (2016- éd. de Boeck supérieur).

A ce titre, "une jurisprudence constante qui remonte au procès de Nuremberg, en passant par le tribunal pénal international sur le Rwanda, a toujours distingué le discours de haine par rapport à une communauté, des appels directs à la violence contre cette communauté en diffusant, par exemple, une liste de noms à exécuter, les numéros de plaques d'immatriculations de voitures à arrêter", poursuit l'universitaire belge en précisant que le Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) s'était chargée de ce rôle pendant le génocide rwandais de 1994.

"Au Burundi, il y a des médias qui véhiculent des discours cachés, voilés ou métaphoriques qui indexent une partie de la population. C'est le cas, par exemple, de la radio privée Reema FM, d'une radio communautaire, Star FM, toutes deux proches du pouvoir. Ce sont des discours inquiétants qui indexent des Tutsi et/ou des opposants politiques en exil", détaille la spécialiste belge.

Quoique ces "propos [soient] problématiques", l'universitaire relève qu' "on en est pas encore" au stade de génocide. "Il n'y a pas eu de dérapages importants soulignés par les derniers rapports de monitoring de ces médias que l'on a pu consulter".

Marie-Soleil Frère qui s'interroge, dans un récent article, sur "la fin de la grille de lecture ethnique au Burundi", conclut à la suite de l'historien français Jean-Pierre Chrétien, spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs que "le drame du Burundi c'est qu'on lui colle, depuis 50 ans, la grille de lecture du Rwanda. Or, le Burundi a des spécificités qui font, qu'aujourd'hui, le risque de génocide ne peut pas se lire de la même manière qu'au Rwanda" où la persécution systématique des Tutsi a fait 800 000 morts en 1994.

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