La Tunisie commémore le 8ème anniversaire de la révolution sur fond de tension sociale (Opinion)
Des avancées démocratiques et des défis socio-économiques persistants

Tunisia
AA / Tunis / Bouazza Ben Bouazza
Huit ans après sa “révolution du jasmin” qui a déclenché ce qui est communément appelé “le printemps arabe”, la Tunisie présente un bilan mitigé, fait d’avancées incontestables au plan politique, mais aussi de défis socio-économiques persistants.
A l’inverse de plusieurs pays de la région dont l’Egypte où les militaires ont renversé Mohamed Morsi démocratiquement élu, la Libye où prévaut encore une situation sécuritaire chaotique, à la Syrie et au Yémen rongés par la guerre civile, la Tunisie est considérée comme “une exception”.
Sa transition démocratique a été confortée par l’adoption, en janvier 2014, d’une nouvelle Constitution progressiste qui garantit les droits et les libertés et par l’organisation d’élections présidentielle, législatives et municipales “libres, transparentes et loyales”, comme l’ont bien attesté les missions d’observation tunisiennes et étrangères.
Même les crises passagères dues notamment aux assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux dirigeants de l’opposition en 2013, ont pu être dépassées grâce au dialogue et au consensus entre les parties prenantes, ce qui lui a valu d’être auréolée du Prix Nobel de la paix en 2015.
C’est en faisant prévaloir ces principes que le mouvement Ennahdha, d’obédience islamique, vainqueur des élections de 2011, a concédé le pouvoir pour éviter au pays une crise aigüe.
Depuis, Ennahdha en a fait le fil conducteur de sa politique, en se proclamant lors de son 10ème congrès en mai 2016, “parti civil et démocratique” et en faisant la distinction de l’action politique et celle de la prédication, qui est désormais du ressort des associations.
“Il n’y a pas d’alternative à la politique consensuelle conformément à la loi électorale”, a encore martelé récemment son président Rached Ghannouchi, pour qui “la carte gagnante de la Tunisie est le succès de sa transition démocratique. Nous ne devons pas perdre cette carte”, a-t-il avancé.
Pour le leader du mouvement qui dispose du plus fort bloc parlementaire (68 députés sur 217), “la démocratie consensuelle empêche toute hégémonie” sur la scène politique.
“Les Tunisiens ont besoin de lois qui les astreints à la coexistence et leur évitent l’exclusion, car une telle tendance est synonyme de projets de guerre civile”, a-t-il fait valoir.
Il a, dans ce contexte, plaidé pour “une réconciliation globale, loin de tout esprit revanchard ni de vengeance”, en n’excluant pas qu’une telle réconciliation englobe l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, dont le sort dépend “exclusivement de la justice”, a-t-il dit.
Toujours est-il que, malgré les avancées politiques accomplies, les résultats aux plans économique et social sont restés en deçà des aspirations des Tunisiens.
Depuis janvier 2011, neuf gouvernements ont défilé par la Kasbah, sans pouvoir répondre aux attentes des protestataires dont le leitmotiv était “liberté, dignité et justice”.
Huit ans après, le taux de chômage, tout comme le taux de pauvreté demeurent élevés affectant plus de 15% de la population active, selon les chiffre officiels de l'Institut national de la statistique. Les jeunes diplômés sont singulièrement concernés avec plus de 30% qui demeurent sans emploi.
Parallèlement et en dépit d’un léger mieux enregistré ces dernières années, la situation économique est jugée “préoccupante” par les analystes, avec un taux d’inflation record de plus 7,5%, une hausse des prix sans précédent, une chute vertigineuse du dinar tunisien qui a perdu près de 50% de sa valeur par rapport aux devises de référence, l’euro et le dollar, causant une érosion insoutenable du pouvoir d’achat de toutes les couches sociales.
“Que vaut la démocratie sans amélioration de l’économie et sans justice sociale”, s’est interrogé le chercheur à l’International Crisis Group, Michael Ayari, en se faisant l’écho de la rue tunisienne.
C’est ce qui a conduit l’UGTT ,(Union générale des travailleurs tunisiens), à exiger une révision des salaires aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public.
Les négociations menées depuis plusieurs mois si, dans un premier temps, ont satisfait à certaines doléances, ont cependant buté sur les revendications concernant le secteur de la fonction publique, le gouvernement jugeant qu’elles étaient “exorbitantes” et dépassant les moyens limités de l’Etat.
Face à l’échec des négociations avec le gouvernement sur les augmentations salariales des quelque 60.000 employés de la fonction publique, la centrale syndicale menace de déclencher une grève générale le 17 janvier (dans trois jours) qui paralyserait le pays et causerait de graves dommages à l’économie déjà en difficulté.
Jugeant “insatisfaisante” les propositions du gouvernement pour les augmentations salariales, le patron de l’UGTT, Noureddine Tabboubi, a déclaré vendredi dernier que l’on s’orientait vers le maintien de la grève.
“Il n’y a pas d’accord et il n’y aura pas d’accord”, a-t-il affirmé notant que “quelles que soient les propositions futures du gouvernement, elles seront rejetées car l’UGTT est décidée d’aller vers la grève générale dans la fonction publique”.
Selon lui, “le gouvernement ne sait pas ce qui l’attend le 17 janvier. Tous les ports et aéroports seront immobilisés”.
Lundi, un grand rassemblement est prévu devant le siège de la centrale syndicale à Tunis, au cours duquel ce dernier devrait exposer les causes de l’échec des négociations avec le gouvernement, selon son porte-parole Ghassen Ksibi.
Il évoquera la situation actuelle dans le pays et adressera des messages au peuple tunisien, aux travailleurs et aux acteurs de la scène politique à l’occasion du 8ème anniversaire de la révolution et en prévision de la grève générale du 17 janvier, a ajouté le porte-parole.
D’autres dirigeants syndicaux ont même fixé un ultimatum au gouvernement qui expire le 14 janvier pour répondre aux revendications de ses affiliés dans ce secteur.
“Le 14 janvier 2019 sera la date limite au sujet des discussions sur les majorations salariales dans la fonction publique”, a lancé le secrétaire général-adjoint de l’UGTT, Hfaïedh Hfaïedh, qui a néanmoins fait état du souhait de la centrale syndicale de parvenir à un accord d’ici là.
Passé ce délai, la grève générale du jeudi 17 janvier 2019 sera maintenue, a-t-il averti.
Un autre dirigeant du syndicat, Mohamed Ali Boughdiri, est allé jusqu’à prévoir que “la journée de grève (qui) risque d’être périlleuse”.
Selon lui, “les bases des travailleurs pourront échapper à tout contrôle (ce jour-là) compte tenu de la tension persistante et de leur patience qui est à bout. L’UGTT, dans ce contexte, ne sera pas responsable de ce qui pourrait arriver”, a-t-il mis en garde lors d’une intervention sur la radio Mosaïque.
Face à cette situation tendue, le président tunisien Béji Caïd Essebsi (92 ans) fort de sa longue expérience politique, a réagi en “ rassembleur”, mettant tout son poids pour apaiser la tension et débloquer sa situation.
La semaine dernière, il a convoqué les principaux acteurs politiques et les dirigeants des organisations syndicale et patronale qu’il a pressés “d’assumer leurs responsabilités” pour éviter tout dérapage.
Aucune cérémonie officielle n’a été annoncée pour commémorer l’événement et aucun dirigeant étranger ne sera présent à Tunis pour l’occasion.
Néanmoins le président Caïd Essebsi se rendra au musée du Bardo, à Tunis, pour inaugurer une exposition retraçant les différentes étapes de la révolution et fera une déclaration à la presse, a appris l’agence Anadolu auprès de la présidence.
Le premier ministre Youssef Chahed se trouve, quant à lui, dans une position peu enviable, entre le marteau de la centrale syndicale et l’enclume du Fonds monétaire international (FMI).
L’institution financière conditionne l’octroi des prêts consentis à la Tunisie par l’engagement de plusieurs réformes dont le gel des salaires.
Malgré ces pressions et les moyens financiers limités que lui permet le budget de l’Etat, il a lâché du lest en acceptant d’augmenter l’enveloppe destinée aux augmentations salariales revendiquées sans toutefois satisfaire le syndicat qui dit “ne pas se contenter de miettes”.
Le mois de janvier est historiquement “chaud” en Tunisie. Il a été marqué en 1978 par une grève générale sanglante et en 1984 par la “révolte du pain”, marquées toutes-deux par des dizaines de morts.
Le 14 janvier 2011, le pays s’était embrasé à la suite de l’immolation par le feu d’un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid, une ville déshéritée du centre-ouest, en signe de contestation contre la saisie de sa marchandise par la police municipale.
Le soulèvement populaire qui s’en est suivi contre un régime étouffant gangrené par la corruption, a gagné toutes les régions et poussé l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali à fuir vers l’Arabie Saoudite.
La “révolution du jasmin” a aussitôt fait tache d’huile dans plusieurs pays, notamment en Egypte et en Libye causant la chute des régimes en place.
Reste qu’un compromis de dernière minute entre le gouvernement et l’UGTT n’est pas à exclure, eu égard aux tentatives menées par le président Béji Caïd Essebsi pour trouver une issue à cette situation de blocage.
Les Tunisiens gardent espoir, malgré tout.
Interdiction du drapeau palestinien: le maire de Chalon-sur-Saône récidive après la suspension de son arrêté
L’armée israélienne arrête 11 personnes en Cisjordanie et perquisitionne de nouveau le bureau d’Al Jazeera
Des députés européens demandent un passage sécurisé pour la flottille humanitaire à destination de Gaza
Cinq blessés après qu’une voiture a foncé dans une foule à Passau, en Allemagne
La Chine dit être prête à accélérer l’exportation de terres rares vers l’UE
Dépeches similaires
