La rumba, un patrimoine qui transcende toutes les générations dans les deux Congo
- Des communes populaires de Kinshasa aux luxueux quartiers du centre-ville, jusqu’à Brazzaville, sur chaque rive du Fleuve Congo, la rumba imprègne la vie des Congolais.

Kinshasa
AA / Kinshasa / Brazzaville / Pascal Mulegwa
À gauche, gauche ! un pas en avant, arrière … puis Victor et sa fiancée Stéphanie s’immobilisent sur la piste tout en bougeant leur hanches … nul n’est trop vieux pour le faire en ce samedi à Kinshasa où le couple danse la rumba, dans un bar envahi par de vieux couples mélomanes.
« C’est une danse responsable, on ne transpire pas, elle permet facilement au couple d’échange tout en dansant », affirme Stéphanie, la vingtaine qui prépare son mariage. Des communes populaires de Kinshasa aux luxueux quartiers du centre-ville, jusqu’à Brazzaville, sur chaque rive du Fleuve Congo, la rumba imprègne la vie des Congolais.
L’avantage c'est que les chansons de ce style musical « racontent l’histoire, moralisent sur la base des réalités de la vie des citadins au jour le jour. La thématique n’est pas axée que sur l’amour », relativise Gilbert Kusanza, rencontré dans une buvette où raisonnent des chansons de la Rumba.
Ce style de musique fait officiellement partie du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une décision prise mi-décembre par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).
Certains titres de la rumba ont chanté la naissance de l’Afrique moderne, comme le célèbre « Indépendance Cha – Cha » de Joseph Kabasele en 1960, se rappelle bien le professeur André Yoka, directeur général de l’Institut national des arts (INA) à Kinshasa. La Rumba remonte à près de 5 siècles sous l’appellation de « Nkumba », une danse nombril contre nombril connue aujourd'hui sous le nom de « collé-serré », explique le professeur. C’est avec la traite négrière au XVe siècle que les esclaves africains emportent dans les Amériques leur culture et leur musique. La « Nkumba » ajoutée à des instruments reviendra ensuite en Afrique plus tard.
Dans sa version améliorée, l’histoire de cette musique et danse remonte à moins d'un siècle, selon Yoka. Elle est tirée de la rumba cubaine des années 1930, mais n’a pris d’essor qu’après la deuxième guerre mondiale, dans les années 1940.
- Marque identitaire
Le style produit de grandes figures partant de Tabu Ley Rochereau, Papa Wemba, ou encore Grand Kallé. Aujourd’hui, le style est une marque identitaire.
« Au Congo, vous ne choisissez pas la rumba, c’est elle qui vous choisit et vous domine, nous sommes nés dedans », s’explique Noël Ngiama, alias Werrason dit « le roi de la forêt ».
Cette figure congolaise et très populaire de la musique en Afrique soutient que la rumba congolaise « est la première des styles musicaux car elle est originale et ne copie pas d'autres styles de musique ».
Actuellement, explique -t-il, « il y a plusieurs artistes qui exploitent notre musique ce qui d'ailleurs n'est pas mauvais, une preuve que la rumba congolaise est présente dans le monde entier. Dans chaque maison, dans le monde entier, nous ne manquons pas au moins deux fanatiques qui apprécient notre musique. En Afrique, en Amérique, en Asie, nous avons des fans dans le monde entier, mais, nous sommes bloqués ».
Quand Werrason évoque le blocage, c’est parce qu’en septembre dernier, son concert prévu au Zénith de Paris a été interdit. La préfecture de police de Paris affirmait que l'artiste est proche du régime de Kinshasa et craint des menaces de troubles avec des spectateurs opposants au régime.
Werrason estime que « c’est un coup contre la Rumba vulgarisée généralement par des concerts à l’étranger ». Il espère que l’inscription au patrimoine de l’UNESCO permettra de débloquer la machine. Ces dix dernières années, les artistes congolais n’ont pas été autorisés à se produire dans l’espace Schengen notamment en France.
Musique vantée, la Rumba « unit toutes les générations et c’est une fierté », déclare pour sa part Catherine Furaha, ministre congolaise de la Culture, des arts et du patrimoine. Cette femme politique nourrit l’ambition de faire la promotion scientifique de la Rumba « pour qu’elle soit enseignée, pour garder la mémoire, assurer sa sauvegarde, faire en sorte qu’elle soit même professionnalisée, aller au-delà du chant et de la danse ».
A Kinshasa comme à Brazzaville, les enfants « mémorisent les chansons de la rumba dès l’âge de 5 ans. C’est aussi l’unique patrimoine qui relie la capitale Kinshasa au reste de 25 provinces congolaises.
De Kinshasa au fin fond de l’immense République démocratique du Congo, « dans les villages coupés du monde, des camps des déplacés et réfugiés, le Congolais se reconnaît en la rumba et répète les derniers titres », témoigne Giza Belle, humanitaire et mère de famille.
- Un business
De nos jours, regrette-t-elle, la rumba est « dénaturée, les paroles sont érotiques et les images sont obscènes qu’il nous paraît humiliant de suivre des chansons de la rumba près de nos enfants. Tout tourne autour de l’amour, sexe, ou encore règlements de compte entre artistes, les leçons morales sont rares ».
Sur ce point, Werrason regrette que « les artistes de nos jours ne chantent que pour plaire à une certaine génération, pour plaire à la société. Ils ne chantent plus pour moraliser la société, c’est devenu un business, faire ce que les gens vont apprécier ».
La nouvelle de l’inscription de la rumba au patrimoine culturel immatériel de l’humanité a fait réagir A’Salfo, du groupe ivoirien Magic System. Cette autre figure de la musique africaine a salué « la consécration d’une musique intergénérationnelle qui a su donner à l’Afrique toute la quintessence des sonorités des bords du fleuve Congo ».
Producteurs, chanteurs, arrangeurs, promoteurs espèrent que l’accession à ce statut fera gagner la rumba en visibilité sur le plan international. Elle devrait inciter les États à investir dans le secteur culturel, stratégique pour les économies occidentales, mais l’un des plus négligés par les gouvernements africains.
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