Afrique

La blessure la plus profonde laissée par l’Occident en Afrique : le commerce des esclaves

- Cette période, considérée comme l’une des plus sombres de l’histoire, a laissé des traces durables sur les plans démographique, social et économique

Gülsüm İncekaya  | 02.12.2025 - Mıse À Jour : 02.12.2025
La blessure la plus profonde laissée par l’Occident en Afrique : le commerce des esclaves

Istanbul

AA / Istanbul / Gulsum Incekaya

Le commerce des esclaves mené par les puissances occidentales pendant près de quatre siècles, considéré comme l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité, a laissé dans les mémoires des traces profondes, marquées par les souffrances, les pertes et les vies brisées de millions d’Africains arrachés à leur continent.

Débuté à la fin du XVe siècle et poursuivi jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, ce commerce a vu les puissances coloniales européennes transporter de force des millions d’Africains vers le continent américain, qu’elles appelaient le « Nouveau Monde », à bord de navires transatlantiques.

On estime qu’environ 25 à 30 millions de personnes ont été déplacées par ce commerce à travers l’Atlantique. Bien que des formes de commerce d’esclaves aient existé dans différentes régions du monde, aucune n’a atteint l’ampleur du commerce transatlantique. Selon les historiens, les chiffres connus ne représentent qu’une partie visible de l’iceberg, la majorité des archives ayant disparu.

Longtemps centré sur l’Afrique de l’Ouest, le commerce des esclaves s’est étendu à mesure que les puissances occidentales se sont lancées dans la colonisation, transformant également les ports d’Afrique de l’Est et du Sud en étapes importantes.

Ces chiffres n’incluent pas ceux qui sont morts avant d’atteindre la côte, dans les camps de préparation à cause des maladies ou des conditions déplorables, ni ceux tués lors du transport vers les ports ou vendus clandestinement.

Les navires partaient d’Europe pour transporter des Africains capturés dans les régions intérieures ou prisonniers lors de conflits locaux vers les villes portuaires, avant de les faire traverser l’Atlantique.

- Le rôle du Portugal dans le commerce transatlantique

Le commerce des esclaves en Afrique remonte à l’Antiquité égyptienne. Entre 1558 et 1080 av. J.-C., de nombreux Africains furent amenés dans la vallée du Nil en tant que prisonniers de guerre et vendus dans les maisons de familles aisées. Ce système a perduré durant l’Empire romain.

Le commerce à grande échelle des esclaves en Afrique a été initié par le Portugal à la fin du XVe siècle. Avec l’expansion européenne en Amérique, l’Angleterre, les Pays-Bas et la France ont rapidement rejoint ce commerce lucratif.

Les navires en provenance d’Europe et d’Amérique utilisaient des ports tels que ceux du Bénin, du Ghana, du Sénégal, de la Gambie, du Congo, du Nigeria et de l’Angola comme centres du commerce des esclaves pour transporter ces derniers vers le « Nouveau Monde ».

Au début du XVIIe siècle, environ 50 000 esclaves auraient été vendus sur les marchés italiens, espagnols et portugais. Selon les archives, certains marchands pouvaient échanger 25 à 30 esclaves contre un cheval.

- 12,5 millions de personnes transportées par navire vers les colonies

Les registres de 1501 à 1867 montrent qu’environ 12,5 millions d’Africains ont été embarqués sur des navires transatlantiques. Entre 1580 et 1760, environ 38 % des esclaves envoyés vers le « Nouveau Monde » ont été destinés au Brésil. Environ 9 millions d’Africains transportés vers le Brésil, Cuba et d’autres pays d’Amérique latine ont été contraints à des conditions de travail inhumaines.

La route Afrique-Amérique, connue sous le nom de « Passage du Milieu », est devenue l’un des voyages les plus éprouvants de l’histoire, avec surpopulation extrême, maladies, manque d’hygiène et traitements cruels. Au moins 1,8 million de personnes ont perdu la vie lors de la traversée de l’Atlantique.

- L’Amérique du Sud, principale destination

La plus grande destination du commerce des esclaves fut l’Amérique du Sud, en particulier le Brésil, colonie portugaise. La ligne Rio de Janeiro-Luanda constituait la plus grande route unique du commerce des esclaves. Entre 1501 et 1867, environ 4,7 millions d’Africains débarqués ont atteint le Brésil, certains estiment ce chiffre entre 4,8 et 5 millions.

Bien que la plupart des navires aient suivi le triangle Europe-Afrique-Amérique, des milliers d’expéditions ont débuté en Amérique, se sont poursuivies vers l’Afrique, puis ont terminé en Amérique. Certaines traversées partaient de ports américains comme Newport (Rhode Island) ou Charleston (Caroline du Sud), les esclaves étant ramenés ensuite vers l’Amérique.

Depuis des ports européens tels que Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Liverpool, Bristol, Amsterdam et Lisbonne, les navires transportaient des jeunes Africains capturés ou sélectionnés pour leur santé vers l’île de Gorée.

Pendant des siècles, le commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique a été orchestré par la France, le Portugal, l’Angleterre et les Pays-Bas. Les matières premières importées d’Europe étaient laissées sur les côtes d’Afrique de l’Ouest tandis que les esclaves capturés étaient envoyés travailler dans les plantations américaines.

- Des millions d’Africains vendus via l’île de Gorée

L’île de Gorée, au large du Sénégal, est devenue l’un des centres clés du commerce des esclaves en Afrique de l’Ouest. Des millions d’Africains y étaient emprisonnés dans les « maisons des esclaves » avant leur traversée de l’Atlantique. Certains esclaves ont été vendus contre seulement un kilogramme de riz ou quelques pommes de terre.

- Modèles d’esclavage en Afrique du Sud et en Afrique de l’Est

Dans la première colonie établie par les Hollandais en Afrique du Sud en 1652, 90 personnes y vivaient ; en 1795, le nombre d’Africains réduits en esclavage atteignait 16 839. Selon les historiens, en 1795, les esclaves représentaient les deux tiers de la population du Cap.

En Afrique de l’Est, Bagamoyo en Tanzanie est devenu le centre de l’« Afrique orientale allemande », d’où les esclaves étaient expédiés vers l’Inde, l’Iran et la péninsule Arabique. Au XIXe siècle, environ 23 % des Africains arrachés à l’Afrique de l’Est furent envoyés en Arabie, en Iran et en Inde, 18 % en Afrique du Sud et en Amérique, et 6 % à l’île de la Réunion et à Maurice pour travailler dans les plantations de canne à sucre françaises.

Le port de Bimbia, près de Limbe au Cameroun, est un autre centre oublié du commerce intercontinental des esclaves. Environ 10 % du commerce transcontinental passait par ce port, d’où des millions d’esclaves ont été envoyés en Amérique et en Europe.

- L’abolition et son héritage

Le commerce transatlantique qui a forcé le déplacement de millions d’Africains a duré de la fin du XVe siècle au XIXe siècle. Mis en œuvre par les puissances coloniales européennes, il a constitué la base des grandes économies agricoles des Amériques.

À partir du XIXe siècle, les mouvements abolitionnistes se sont renforcés avec l’émergence des discours sur les droits de l’homme. Le Royaume-Uni a interdit le commerce des esclaves en 1807 et l’esclavage lui-même en 1833. La France a aboli l’esclavage en 1848. Aux États-Unis, l’esclavage a pris fin en 1865 après la guerre de Sécession, avec le 13ᵉ amendement. Le dernier pays à abolir l’esclavage en Amérique fut le Brésil, en 1888, avec la « Lei Aurea » (Loi d’or).

Malgré ces abolitions, les impacts démographiques, sociaux et économiques sur les pays africains se font sentir depuis des siècles, et de nombreux pays continuent de lutter contre l’héritage laissé par cette période.

* Traduit du turc par Seyma Erkul Dayanc

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