AA / Tunis

Des syndicalistes et des experts s’accordent à dire que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) traverse une crise interne aiguë qui l’a affaiblie et a réduit son rôle de défenseur des droits des travailleurs.

Dans des entretiens avec Anadolu, ils ont souligné l’importance du rôle historique de l’UGTT (fondée en 1946), en tant que force sociale de régulation face aux atteintes aux droits des travailleurs, aux libertés et à la démocratie en Tunisie.

-- Appel à un congrès extraordinaire

Il y a quelques jours, Anouar Ben Kaddour, membre du Bureau exécutif de la Centrale syndicale, a appelé à la tenue d’un congrès extraordinaire au premier trimestre de 2025, bien qu'un congrès ordinaire soit prévu pour février 2027.

Selon lui, "les conditions minimales d'un travail collectif, telles que la cohésion, la confiance et le respect mutuel entre les membres du Bureau exécutif, ne sont plus réunies pour garantir l’unité et la continuité de l’action syndicale".

Depuis plusieurs mois, un groupe de syndicalistes demande le départ du Bureau exécutif dirigé par Noureddine Tabboubi, réélu lors du congrès de Sfax en 2023.

-- Divisions et tensions internes

Pour Abderrahmane El-Hadhli, historien et ancien syndicaliste, "la crise remonte au congrès de Tabarka en 2010, lorsque les statuts ont été modifiés pour limiter les mandats du Bureau exécutif à deux".

Cependant, lors d’un congrès extraordinaire à Sousse en 2021, l’article 20 du statut a été modifié pour permettre des mandats illimités, ce qui a créé une fracture au sein de l’UGTT.

Selon lui, "cette division reflète une lutte entre un courant qui souhaite préserver l’autonomie de l'UGTT et d’autres qui veulent l’aligner sur le pouvoir en place, notamment depuis le 25 juillet 2021".

Le chercheur considère que "la crise interne affaiblit l'Organisation, et le pouvoir exploite ces divisions pour accentuer son contrôle".

-- Une crise structurelle

Mehdi Mabrouk, professeur de sociologie à l’Université de Tunis, estime que "l’appel de Ben Kaddour montre à quel point la crise interne est grave, touchant toutes les structures dirigeantes de l'Organisation, du Bureau exécutif au Conseil national".

D’après lui, "le blocage est dû à l’absence de consensus entre les membres, certains réclamant une autocritique et un repositionnement face au pouvoir".

Mabrouk ajoute que "l’UGTT est désormais marginalisée, en raison des divisions internes mais aussi parce que le président Kais Saied ne croit pas aux corps intermédiaires comme les partis ou les syndicats".

-- Une crise d’identité et d’influence

Rachid Najjar, ancien membre de l’Union Régionale de Tunis, avertit que "la crise actuelle est dangereuse parce qu’elle se joue à l’intérieur de l’UGTT elle-même".

Il critique le maintien de Noureddine Tabboubi à la tête de l’UGTT, et l'explique par "l’ambition personnelle et par le rôle croissant du Syndicat dans la vie politique après le Nobel de la paix en 2015".

Malgré tout, Najjar se veut optimiste : "Le syndicat a une histoire riche et un héritage social fort qui lui permettront de surmonter cette crise".

-- Perspectives

Les experts conviennent que l’UGTT doit rapidement résoudre ses conflits internes, notamment en rétablissant un fonctionnement démocratique et transparent.

Ils insistent également sur la nécessité de redéfinir son rôle en Tunisie, en tant que défenseur des travailleurs et acteur clé du dialogue social, tout en préservant son indépendance à l'égard du pouvoir.