L’Afrique veut sauver ses primates (Interview du Président des primatologues africains)
- Près de 150 scientifiques du continent se sont réunis de lundi à jeudi en Côte d'Ivoire pour créer la Société africaine de primatologie (SAP).

Cote d'Ivoire
AA/Abidjan/Fulbert Yao
L'Afrique est inquiète : plus de la moitié des espèces de ses primates sont en effet menacées de disparition.
Afin de mieux protéger ces animaux en voie d'extinction, véritable richesse pour le continent, près de 150 scientifiques du continent se sont réunis de lundi à jeudi sur le campus du pôle scientifique de l’université Félix-Houphouët-Boigny, à Bingerville, près d’Abidjan (capitale économique), pour créer la Société africaine de primatologie (SAP).
Anadolu a rencontré l'Ivoirien Inza Koné, 47 ans, élu jeudi président de cette toute première Société africaine de primatologie.
-Les primates un rôle primordial dans l’écosystème africain
« Les primates (singes, chimpanzés, lémuriens etc.) jouent un très grand rôle notamment dans la régénération des forêts en Afrique. Ils permettent entre autres le maintien du couvert forestier qui, lui permet le développement de l'agriculture et donc de l'économie sur le continent », indique l'expert.
« Ils permettent bien sur le développement de l’éco-tourisme mais revêtent également un enjeu culturel, puisque de nombreux peuples africains considèrent les singes comme étant des animaux sacrés et ont développé avec eux des liens particulièrement fort», poursuit-il.
Par ailleurs, note l'expert, les primates ont aussi un intérêt scientifique pour nous puisqu'ils partagent jusqu'à 99% de notre matériel génétique et nous permettent donc de comprendre beaucoup de chose sur l'Homme », ajoute-t-il.
-Où trouve t-on les primates en Afrique?
Les primates sont présents pratiquement dans toutes les régions du continent africain. La plus grande diversité des primates se trouve dans les pays forestiers comme le Bassin du Congo, le Cameroun, au Nigeria et en Côte d’Ivoire où on compte près de 22 espèces de primates à chaque fois, selon Inza Koné, primatologue à l’université de Cocody-Abidjan.
« Mais partout en Afrique, leurs vies sont en danger : 85 % des espèces de Madagascar sont en péril et 55 % en Afrique subsaharienne », averti le professeur.
« En Côte d'Ivoire par exemple, on compte 22 espèces de primates. Aucune d'elles n'a encore disparu mais une espèce risque l'extinction dans les années à venir, il s’agit du colobe rouge de Miss Waldron (Procolobus badius) qu’on trouvait pourtant en abondance dans la moitié sud-est de la Côte d’Ivoire et la moitié sud est du Ghana il y a quelques années encore », note le professeur.
« Au Ghana, on a fini par conclure à la disparition de ces singes mais en Côte d’Ivoire, on a espoir qu'il y ait encore quelques spécimens dans la forêt des Marais Tanoé-Ehy (Sud-est) », souligne le primatologue qui précise que de nombreuses autres espèces telles que « le cercopithèque Diane Roloway (Cercopithecus diana roloway), ou le corol noir et blanc », risquent de disparaitre.
Le primatologue africain évoque plusieurs causes pour expliquer ces menaces de disparition.
«La première menace est la destruction des habitats que ce soit à cause de l’agriculture extensive, l’exploitation forestière, l’élevage, la construction routière et ferroviaire, les forages pétroliers et gaziers ou encore l’exploitation minière», fait-il remarquer, rappelant que la Côte d'Ivoire est passée de 16 millions d'hectares de forêt au début du 20 ème siècle à moins de 4 millions aujourd'hui.
«Il y a aussi d’autres causes notamment le braconnage, le commerce illégal, les maladies telles que le zoonose, qui sont transmis par les humains, l’utilisation des différentes parties de leur corps en médecine, les collections des zoos», poursuit le professeur Koné.
-Protéger ces animaux à une échelle continentale
Face à ces menaces dramatiques, plusieurs ONG s’organisent sur le continent pour apporter des solutions. C'est notamment le cas du projet "Eagle", qui a pour objectif de lutter contre le trafic de singes.
Selon Kamagaté Adama, le media officer de cette structure en Côte d’Ivoire, interrogé par Anadolu, "en Afrique de l’Ouest, plusieurs individus ont été mis aux arrêts ces derniers mois pour trafic, notamment en Guinée ou un colonel et 3 autres ont été arrêtés et 4 chimpanzés secourus".
Egalement en Côte d’Ivoire, deux trafiquants ont été condamnés à 6 mois de prison ferme par la justice ivoirienne en juin dernier. Ceux-ci exportaient des chimpanzés depuis l’Afrique de l’Ouest jusque dans les pays arabes et asiatiques.
«Il est nécessaire d'avoir conscience de l'enjeu de la conservation de ces animaux et pour cela, pas besoin d'être primatologue. Il faut juste vouloir les protéger, ne pas les tuer, ne pas détruire leurs habitats, ne pas introduire dans leurs milieux de vie des sources pathologiques. On doit revoir notre mode de consommation et les schémas de développement que nous traçons », préconise le professeur Inza Koné.
-Une Société africaine de primatologie (SAP) mise en place pour sauver l’espèce
De lundi à jeudi, 150 scientifiques issus de 26 pays de l’Afrique, se sont donc réunis à Abidjan, en Côte d’Ivoire pour créer la Société africaine de primatologie (SAP) à la tête de laquelle Koné Inza a été élu pour quatre ans.
La Société africaine de primatologie, créée à l’initiative du Centre suisse de recherche scientifique en Côte d’Ivoire et de l’Université Houphouët-Boigny à Bingerville (sud ivoirien), va permettre la mise en commun des connaissances, le lancement de projets spécifiques sur le continent, mais aussi de parler aux Africains d’une voix africaine, plus à même de convaincre les décideurs politiques, les autorités traditionnelles et les citoyens qu’il est fondamental de préserver les espèces sauvages.
« La société africaine de primatologie a plusieurs objectifs. Le premier objectif est de faire en sorte que les primatologues africains se connaissent, qu’ils soient de plus en plus présents dans les fora internationaux. Qu’ils jouent des rôles dans les projets de conservation ou des projets de recherche. Ce que nous visons c’est que la primatologie sont davantage faite par des africains en Afrique. Il faut qu’on apprenne à mutualiser nos moyens », a conclu Koné Inza.