Kebzabo, chef de file de l'opposition tchadienne: On luttera contre le régime Deby "jusqu'au bout" (Interview)
"La seule ligne que nous n’allons pas traverser c’est la rébellion. Pour le reste, tout est autorisé", précise Saleh Kebzabo, président de l'UNDR (opposition) à Anadolu

Chad
AA/ N'Djamena/ Moïse Mounkoro
L'opposition tchadienne est "déterminée" à lutter "jusqu'au bout" contre le régime d'Idriss Deby, a fait savoir son chef de file, Saleh Kebzabo, dans un entretien avec Anadolu.
"On va continuer cette lutte implacable jusqu'au bout. On va utiliser toutes les ressources et les recettes de droits qui existent. Nous allons agir ouvertement dans la légalité. La seule ligne que nous n’allons pas traverser c’est la rébellion. Pour le reste, tout est autorisé", a asséné le président de l'Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR-opposition).
A l'origine de cette escalade, la présidentielle du 10 avril dernier, remportée dès le premier tour par le Président sortant, Idriss Deby, avec environ 60% des suffrages exprimés.
Arrivé en seconde position avec près de 13% des voix, Kebzabo confortait sa place de principal opposant. Il n'en dénonce pas moins "des fraudes grossières" et "une mauvaise élection qui ramène le Tchad vingt ans en arrière."
"Nous sommes en train de nous préparer à une lutte de long terme, une lutte politique, en utilisant tous les instruments légaux dont nous disposons: Des actions républicaines, des actions tout à fait légales et pacifiques qui pourront parfaitement déstabiliser ce régime", avertit Kebzabo, qui était déjà candidat aux présidentielles de 1996 et de 2001.
Un engagement qui annonce un cinquième "quinquennat difficile", pour le président tchadien qui a lancé depuis peu, un audit sur son dernier mandat (2011-2016).
"C'est pour justifier de la gestion de la chose publique pendant ce quinquennat afin de repartir sur une nouvelle base" justifiait le porte-parole de la majorité au pouvoir, Jean Bernard Padaré, approché par Anadolu.
"Je ne sais pas si Deby sera en mesure de finir son mandat, mais en tout cas, ce sera très éprouvant pour lui", lâche Kabzebo, en allusion à la recrudescence de la contestation, mais également à un contexte économique moins confortable. La chute du prix du pétrole, une pluviométrie insuffisante et la guerre contre Boko Haram a fait passer la croissance de ce pays de 6.9% à 2.5% en 2015, selon des chiffres de la Banque Mondiale.
Ayant brandi, avant même l'annonce officielle des résultats des élections, la menace de constituer un "Gouvernement de salut public", Kebzabo reconnaît aujourd'hui que l'idée n'est plus à l'ordre du jour. A la question de savoir si des mesures concrètes seront prises par l'opposition prochainement, le premier opposant de Deby répond seulement "Peut-être que le contexte (...) va nous amener à réfléchir, dans l’intelligence, sur ce qu’il y a lieu de faire en respectant nos engagements".
Ce "contexte", demeure tendu au Tchad, "la grande affaire" de cette élection, celle des "militaires disparus", n'ayant pas été tout à fait élucidée, en dépit d'une enquête judiciaire ouverte après des pressions internationales.
Des dizaines de soldats et officiers avaient été portés "disparus" au lendemain du scrutin présidentiel. L'opposition et la société civile ont pointé la responsabilité du régime tchadien, en relevant que ces militaires auraient voté pour d'autres candidats que Deby. Pour sa part, N'Djamena a nié en bloc ces accusations et allégué que ces militaires étaient en "mission". Si certains ont réapparu depuis, on est resté sans nouvelles d'un nombre encore indéterminé d'entre eux.
"Lorsqu'on va en mission commandée, on prévient sa famille, on ne disparaît pas pour réapparaître deux ou trois semaines après, en disant qu’on était en mission", assène Kebzabo, qui avait avancé le chiffre d'une centaine de personnes disparues. Toutefois, "comme ils ont commencé à revenir, le gouvernement organisant leur retour depuis environ deux semaines, on est en train de faire le compte pour voir s’ils sont au complet ou pas."
Pour le chef de file de l'opposition tchadienne, qui a été le premier à révéler cette affaire, "il ne fait pas de doute" que l'on "s’en est pris à ceux qui n’ont pas respecté cette consigne [du régime, de voter pour Deby]. Ils ont été mis dans des cachots, ils ont été bastonnés, ils ont été humiliés, ils ont été torturés, certains en sont sortis estropiés et d’autres y ont peut-être perdu la vie", a-t-il accusé, alors que l'enquête judiciaire n'a encore rien confirmé.
A la question de savoir s'il déplore une complaisance française envers le régime Deby, le Président de l'UNDR répond qu' "on évoque", depuis l’intervention des troupes tchadiennes au Mali (2013), une telle attitude de la part du Quai d'Orsay. D'ailleurs ce n'est qu'un mois après les faits que le porte-parole du ministère des Affaires étrangères français a émis le "souhait" de voir les autorités tchadiennes ouvrir une enquête, et ce en réponse à une question posée dans le cadre d'un point de presse.
Mais, selon Kabzebo, "si on doit interpeller [des parties], il faut aussi interpeller la France puisqu'elle a des militaires sur place. Elle sait ce qui s'est passé"
La France bénéficie même d'une base avancée au Tchad, dans le cadre de son opération Barkhane, destinée à lutter contre le terrorisme au Sahel. "Le Tchad, à travers une armée particulièrement efficiente, s'avère stratégique dans la lutte contre Boko Haram et les groupes djihadistes du Sahel" expliquait récemment, dans un entretien avec Anadolu, Philippe Hugon, directeur de recherche, en charge de l’Afrique, à l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS), basé à Paris.
"Il faut tout simplement, insister sur le fait que la question des droits de l’Homme et des libertés, ne peut pas faire l'objet de complaisance. Il faut que les exigences soient les mêmes pour tout le monde", a-t-il insisté.
Sur la question des droits de l'Homme, l'opposant tchadien s'est félicité de la peine prononcée contre l'ancien président Tchadien Hissène Habré.
Le 30 mai 2016, Habré était reconnu coupable, notamment, de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Il a été condamné à la prison à perpétuité par un tribunal spécial, les Chambres africaines Extraordinaires (CAE), basé à Dakar.
"C’est le moins qu’on pouvait attendre du tribunal africain. Cette peine, sera-t-elle exemplaire ? Je le souhaite. Fera-t-elle histoire ? Certainement."
Saleh Kebzabo se veut, néanmoins, plus nuancé en abordant la portée de cette décision, qu'il ne souhaite pas uniquement "symbolique". "Est ce qu’elle peut apporter quelque chose au regard de ce qu'on observe au Burundi [en crise politico-sécuritaire depuis plus d'un an], en RD Congo [en crise politique depuis plusieurs semaines], où la pratique démocratique est complètement dévoyée pour déboucher sur des situations d’affrontements mettant les citoyens à l'épreuve?"
"Est-ce que vraiment le verdict de ce procès aura un impact ? Est-ce que ce tribunal peut influer sur ce qui se passe en Afrique ? Pour le moment, je n’y crois pas beaucoup", a-t-il conclu, pessimiste.
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