Afrique

Israël/Afrique: La trajectoire pragmatique se confirme

Séduits par des aides possibles, les pays africains ont été un temps, alignés sur la position arabe à l'égard d'Israël, cette "dynamique diplomatique" s'est inversée dans les années 80, consolidant la présence économique et sécuritaire israélienne sur le continent.

Safwene Grira  | 04.07.2016 - Mıse À Jour : 05.07.2016
Israël/Afrique: La trajectoire pragmatique se confirme

Tunisia

AA/ Tunis/ Issiaka N'Guessan/ Olympia de Maismont/ Moussa Bolly

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu entame ce lundi une tournée africaine qui le mène successivement en Ouganda, au Kenya, en Éthiopie, puis au Rwanda, témoignant ainsi de l'affermissement de la politique africaine d'Israël.

Si l'objectif de cette visite demeure, selon des officiels israéliens, la négociation d'un statut d'observateur au sein de l'Union africaine (UA), elle n'est pas moins significative, étant la première du genre, d'une percée israélienne dans ce continent.

"Israël et son chef de gouvernement ont deux motivations principales pour s’intéresser davantage à l’Afrique: Une demande croissante d’assistance sécuritaire israélienne [de la part de certains pays africains, ndlr], et la nécessité pour Israël de nouer de nouvelles alliances.", commente un récent article du journal Times of Israël.

Selon le site du ministère des Affaires étrangères israélien, l'Etat hébreu dispose, aujourd'hui, de onze missions diplomatiques en Afrique. Ces ambassades sont dans les pays suivants: Afrique du Sud, Angola, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Érythrée, Ethiopie, Ghana, Kenya, Nigéria, Sénégal.

Bien que la juridiction de ces missions s'étendent au-delà du pays hôte, ces informations renseignent sur une représentativité moyenne dans les pays traditionnellement classés "francophones", alors que les pays anglophones entretiennent des liens plus serrés.

A une échelle macro-diplomatique, et en ne retenant, dans une approche restrictive que le nombre des ambassades, Israël n'est représenté que dans 18% des pays du continent noir.

Comparativement à sa présence d'autres continents, ce taux est des plus faibles. Bien qu'elle abrite un grand nombre de pays arabes n'entretenant pas officiellement de liens avec l'Etat d'Israël, en Asie, le taux de représentativité diplomatique de celui-ci s'élève à 32%. L'Etat juif se prévaut, autrement, de 28% de représentativité dans le continent américain et d'un taux avoisinant les 80% en Europe.

Toutefois, l'histoire de la diplomatie africaine d'Israël n'a pas toujours suivi une trajectoire linéaire.

Le début des relations entre Israël et l’Afrique date de 1957 avec l’ouverture d’une représentation diplomatique au Ghana. Golda Mayer qui n'était à l'époque que ministre des Affaires étrangères avait entrepris de se tourner vers l'Afrique voyant dans l'histoire des peuples d'Afrique et celle du peuple juif des "similitudes", quant à la persécution dont ils firent tous deux l'objet.

A la fin des années 60, Israël entretenait des relations diplomatiques avec 33 Etats d'Afrique subsaharienne, rappelle le site des Affaires étrangères israélien. La guerre des six jours (1967) et surtout la guerre de Kippour en 1973, avec le choc pétrolier mondial qui l'a accompagnée, a fini par provoquer la rupture unilatérale de la plupart de pays africains (à l’exception du Malawi, du Lesotho et du Swaziland) de leurs relations diplomatiques avec Israël. Le ministère des Affaires étrangères israélien explique cette rupture par "deux raisons principales": "Les promesses de pétrole à bon marché et d'aide financière [arabe], ainsi que l'alignement sur une résolution de l'OUA [Organisation de l'Unité africaine] adoptée à l'initiative de l'Egypte et appelant à la rupture des relations avec Israël."

"Les années 80 ont vu la reprise des relations diplomatiques entre Israël et certains pays africains: Le Zaïre en mai 1982, le Libéria en août 1983, la Côte d'Ivoire en février 1980 et le Cameroun en août de la même année, et le Togo en juin, 1987" indique un article de la revue Politique africaine signé de Léon César Codo, du Centre d’étude d’Afrique noire de Bordeaux. Si bien que vers la fin des années 1990, des relations officielles étaient rétablies avec une quarantaine de pays subsahariens.

"Pusieurs pays africains considéraient Israël comme un portail pour accéder à des relations plus privilégiées avec l'Occident, notamment les institutions financières internationales", a rappelé dans un entretien avec Anadolu, Omar Shabane, économiste palestinien et fondateur du Think Tank PalThink pour les études stratégiques (basé à Gaza).

Shabane rappelle que les fonds des Etats arabes étaient réorientés, depuis les années 80 et jusqu'à présent, vers des zones de conflits relevant de leur cercle géographique immédiat. Conjugué avec l'Accord de Camp David (1978), qui a abouti à l'établissement de relations diplomatiques entre Tel Aviv et l'Egypte ou encore la Jordanie, deux anciens chantres de la rupture, "cette circonstance a levé l'embarras sur plusieurs pays africains", a estimé Shabane.

"Le chantage diplomatique en a pris un coup, alors que le continent africain s'ouvrait à de nouveaux flux financiers, de pays se gardant de tout interventionnisme diplomatique", rappelle de son côté, Arona N'diyae, enseignant de Droit public à l'Université de Dakar.

Il s'agit notamment de l'Inde, la Chine ou la Turquie, très présents sur le continent noir, et entretenant aussi des liens diplomatiques normalisés avec l'Etat hébreu.

Si bien que "le lobbying diplomatique" se poursuit actuellement, dans le sens inverse, selon Léon César Codo, un diplomate ouest-africain basé au Mali et approché par Anadolu qui avait donné à un de ses articles, datant de 1988, le titre prémonitoire de "inversion d'une dynamique diplomatique".

Le 24 août 2015, un émissaire du Premier ministre israélien, Noam Katz, a été reçu par le Premier ministre de la transition burkinabé, Yacouba Isaac Zida. Le site identitejuive.com rapportait que le diplomate israélien souhaitait obtenir le soutien du Burkina Faso pour le vote contre une requête du groupe des Etats arabes demandant à inscrire la résolution dite «Capacité Nucléaire Israélienne» à l’ordre du jour de la Conférence Générale de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Tel Aviv estimait que ladite résolution était biaisée, problématique et détourne l’AIEA des réels défis de non-prolifération au Moyen-Orient.

Mais les raisons commandant la rupture, le maintien ou la reprise des relations avec Israël, savaient également être en rapport avec des dynamiques internes. "Ce n'est pas seulement parce que l'Egypte ou d'autres pays l'ont fait que nous désirons établir des relations diplomatiques avec Israël. Bien au contraire, il y a de bonnes raisons (...) de penser qu'il y va de notre propre intérêt d'en arriver là, car cela pourrait constituer un des moyens de sortir de notre crise économique et alimentaire" disait, déjà, en 1984, A.A. Agbo, un officiel d'Abuja cité par le journal nigérian Daily Star.

Omar Shabane, rappelle à ce titre à Anadolu, que les avancées israéliennes dans de nombreux domaines tels que l'agriculture ou la santé ont pu séduire nombre de pays africains.

"Dans un contexte où le thème de l'autosuffisance alimentaire est devenu central, de nombreux dirigeants politiques africains, convertis à un nouveau pragmatisme économique (...), n'ont pas oublié, semble-t-il, les capacités d'assistance qu'avait montrées Israël dans les années 60", note l'article susmentionné de la Revue africaine.

Selon la base de données onusienne Comtrade, les échanges commerciaux entre Israël et l'Afrique subsaharienne peinaient à atteindre la barre des deux milliards USD en 2013. Cette présence économique se présente sous divers aspects. Au Kenya, par exemple, les entreprises israéliennes ont investi dans l'infrastructure hôtelière, alors qu'en Côte d'Ivoire, le groupe israélien Telemania s'attelle à la construction d'une centrale thermique au gaz naturel à Songon-Dagbé, banlieue d’Abidjan, pour un montant de 500 millions USD. L'industrie diamantaire, enfin, attire les fonds israéliens vers l'Afrique du Sud et le Botswana.

Selon les statistiques de l’Institut israélien des exportations et de la coopération internationale (IEICI), l’Afrique du Sud, l'Angola, le Botswana, l’Egypte, le Kenya, le Nigeria et le Togo, figurent au titre des partenaires commerciaux réguliers de l'Etat hébreu.

Là où l'expertise israélienne "séduit" particulièrement c'est bien en matière sécuritaire. Déjà, dans les années 70, l'Etat hébreu comptait au nombre de ses clients, le régime du Zaïrois Mobutu.

"La DSP ou Division spéciale présidentielle servait sous les ordres directs du Maréchal-Fondateur [Mobutu]. Homogènes ethniquement, les éléments de la DSP étaient de l’ethnie Ngbandi – comme leur chef- ; formés et armés, eux, par les Israéliens", peut-on lire dans le livre de Vincent Mbavu Muhindo, «De l’AFDL au M23 en République démocratique du Congo» (L’Harmattan – 2014). Chargée de la sécurité du président, la DSP était un corps d’élite de l’armée congolaise et leur entretien par les Israéliens indique le degré de coopération sécuritaire régnant entre le Zaïre de l’époque et Israël.

C'est ainsi qu'à la fin des années 1970, environ 35 % des ventes d’armes israéliennes se faisaient en Afrique, rappelle Jeune Afrique, qui cite, à ce propos, Naomi Chazan, Professeure émérite de sciences politiques et d’études africaines à l’université hébraïque de Jérusalem: "Des agents du Mossad, des émissaires militaires et un petit groupe d’hommes d’affaires ont remplacé les diplomates en tant qu’interlocuteurs privilégiés des dirigeants africains et [principalement] des partis d’opposition".

Aujourd'hui, les ventes d’armes israéliens à l’Afrique sont en constante augmentation. Selon Times of Israel, les contrats de vente d'arme ont atteint, pour la seule année 2013 et uniquement pour l'Afrique de l'Ouest, quelque 223 millions USD, contre moins de la moitié l'année d'avant.


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