Afrique

Internet en Afrique: Cette étrange toile faite d'attraits et de répulsions

Seulement 15% des ménages africains sont connectés, contre 84 % en Europe, et pourtant la toile a révolutionné le continent.

Esma Ben Said  | 01.09.2016 - Mıse À Jour : 02.09.2016
Internet en Afrique: Cette étrange toile faite d'attraits et de répulsions

Tunisia

AA/N’Djamena/Mahamat Ramadane/Tunis/Esma Ben Said

Les Africains sont, non seulement, parmi les moins connectés à Internet dans le monde, mais n’ont, en plus, «pas de raisons impérieuses de s’y connecter». C’est le constat consigné dans un rapport de l’Internet Society, intitulé «Susciter l’intérêt pour les données en Afrique», présenté mercredi lors du forum africain sur le peering et l’interconnexion en Tanzanie.

Et pourtant, Internet a remodelé l'Afrique... assurent les experts.

Internet, une véritable inconnue pour certains….

Selon Internet Society «malgré des améliorations notables réalisées au niveau de l’infrastructure d’Internet, tout particulièrement sur le plan des réseaux mobiles, les taux d’adoption du virtuel restent encore trop faibles dans de nombreux pays».

Internet marche en effet sur des sentiers épineux sur le continent noir où seulement 15% des ménages sont connectés, contre 84 % en Europe, confirme l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’institution spécialisée des Nations Unies.

Une mappemonde préparée par deux chercheurs de l’Université d’Oxford au Royaume-Uni, Ralph Straumann et Mark Graham, et publiée en 2015 sur «Geonet», révèle pour sa part que le centre de gravité de ce faible accès à Internet se trouve en Afrique subsaharienne.

28 pays de la région ont en effet une faible pénétration d'Internet avec un seuil de moins de 10 % tandis que parmi les pays ayant la plus faible connectivité figurent des Etats très peuplés, dont l’Ethiopie (94 millions d’habitants), la République démocratique du Congo (68 millions) ou encore la Tanzanie (49 millions), avec un taux moyen de connexion de 2,6 %, selon les chercheurs.

A l’origine d’un aussi faible taux d’accès, figure la médiocrité des infrastructures d'une part, mais aussi le coût élevé de l'abonnement à Internet (plus élevé que le revenu moyen), comme par exemple en République centrafricaine, en Guinée, au Malawi et au Swaziland où la connexion "haut débit" à Internet coûte plus de 500 dollars par mois, selon l’UIT.

Pour Israël Komréa, expert tchadien des nouvelles technologies de l’information et de la communication, par ailleurs développeur du web, alors que le monde a fêté récemment les 25 ans du web, et que les gens sont souvent «hypra-connectés», «l’état de lieu de l’internet en Afrique reste véritablement mitigé».

«Si internet a été une opportunité pour le continent noir de participer au courant de la mondialisation, de la civilisation virtuelle, et de faire bénéficier sa population de la modernisation et des savoirs, sa difficulté d’accès dans certaines zones accroît les inégalités», poursuit l’expert.

A cela s'ajoute un «manque d'intérêt» pour la toile, selon Internet Society, qui remet en cause le manque de «contenus et services qui sont pourtant les principaux facteurs alimentant l’attrait d’Internet, surtout lorsque le sujet est pertinent et produit dans une langue que les utilisateurs comprennent».

«En Afrique subsaharienne en particulier, le développement de contenu en langue locale est crucial pour inciter de nouveaux utilisateurs à se connecter, car beaucoup ne se sentent pas à l’aise avec l’anglais ou le français», souligne l’étude.

… Une onde de choc pour d’autres :

Ils sont tout de même plus de 333 millions (sur 1,1 milliard d’habitants), à se connecter en Afrique, selon le site internet «Internet World stats». Un chiffre suffisant pour transformer dans une certaine mesure le continent, estime Komréa.

«Internet a provoqué une onde de choc culturel et affecté profondément les modes de vie des Africains», ajoute-t-il.

Un point de vue que partage Abakar Kérima, ingénieur et analyste des bandes de données informatiques du centre national de recherche pour le développement du Tchad.

«L’arrivée de l’internet en Afrique a notamment encouragé le développement des centres des données et de réseaux permettant de relier une grande partie des institutions étatiques et non étatiques du continent pour un échanges rapide des informations au profit des citoyens. Ce qui a permis une évolution globale et un développement vertigineux du continent», note-t-il.

D’un point de vue social, Internet a également eu un rôle jamais égalé dans l’histoire du continent qu’il a radicalement transformé, estime le sociologue nigérien Sadou Mahamadou Moussa, de l’antenne de l’Union Africaine au Tchad.

«Internet a permis de brancher les jeunes africains aux autres cultures et à changer leurs perceptions des choses, allant des habitudes culturelles aux aspirations de certaines valeurs rares en Afrique comme l’esprit du débat politique…», raconte le sociologue.

«Même les tenues vestimentaires, les nouveaux menus gastronomiques, prouvent que l’internet a laissé des traces remarquables dans l’évolution progressive des sociétés africaines».

D’après le politologue tchadien Ahmat Mahamat Hassan, internet a également révolutionné les anciennes pratiques de communication et a contribué à la liberté d’expression des peuples africains.

«Les citoyens africains ont pu contourner les censures traditionnelles et dénoncer librement des oppressions politiques des régimes. Du coup, les régimes sont obligés d’être prudents vis-à-vis de leurs citoyens dans le domaine des droits de l’homme» a indiqué le politologue qui rappelle que les réseaux sociaux ont été à l’origine du "Printemps arabe".

«Les actions politiques des dirigeants africains sont systématiquement jugés par des peuples de plus en plus instruits par le net» ajoute-t-il.

Preuve en est, lundi l’Etat gabonais a annoncé dans un communiqué «ne pas avoir coupé internet» à la suite de l’élection présidentielle de samedi dernier. Une annonce qui se veut la «preuve» relative de la démocratie.

Les nouvelles technologies ont également eu un rôle à jouer économiquement, contribuant à l’émergence d’une nouvelle création de richesse, nommé «l’économie numérique» et que l’Afrique découvre peu à peu, rappelle le Directeur de l’autorité tchadienne de régulation de télécommunication électronique et des postes, Idriss Saleh Bachar.

«L’arrivée des technologies 3G et 4G, surtout les câbles sous-marin de fibre optique, a permis aux entreprises africaines fournisseurs du net de doubler en 3 ans, leurs revenus annuels et d’ améliorer nettement la qualité de l’internet sur le continent».

Pourtant de nombreux efforts restent à faire, selon les experts qui préconisent «davantage d’investissements dans le domaine des télécommunications, -surtout la fibre optique- afin de faciliter l’accès à la téléphonie mobile dans l’ensemble du continent».

Les Africains aiment particulièrement se connecter via mobile. Un phénomène sur lequel s’est d’ailleurs appuyé le géant américain Facebook dès 2013, pour lancer sa plateforme «Free Basics», avec l’objectif de rendre gratuit à terme l’accès à internet (mais avec des services limités, choisi par le réseau social) dans toute l’Afrique.

Une initiative opérationnelle dans 42 pays-dont la moitié en Afrique- mais dont la démarche est qualifiée de «colonialiste» par de nombreux internautes.

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