Afrique

Il faut sauver la forêt ivoirienne pour entendre résonner le tam-tam

La déforestation a réduit à 2, 6 millions d'hectares la couverture forestière, qui était de 15 millions d'hectares au début du siècle.

Esma Ben Said  | 12.01.2016 - Mıse À Jour : 12.01.2016
Il faut sauver la forêt ivoirienne pour entendre résonner le tam-tam

Abidjan

AA/Bouaké (Côte d’Ivoire) / Issiaka N’guessan

En Côte d’Ivoire, le tam-tam, aussi appelé djembé professionnel, instrument de musique africaine par excellence, est considéré par beaucoup comme un véritable joyau traditionnel.

Pourtant, les feux de brousse, la déforestation, et l’exploitation frauduleuse de certains bois d’arbre, utilisées pour sa fabrication, à l’instar du « lé n’ké », font planer une véritable menace sur sa pérennité, alertent les acteurs du milieu rencontrés dans leurs ateliers par Anadolu.

"La fabrication du tam-tam est un héritage traditionnel qui se transmet de génération en génération dans les familles de forgeron ou de griot (conteur). Pour notre part, nous vivons du et avec le Djembé", renseignent avec fierté Demé Bakary et Bakayoko Mamadi, respectivement d’origine malienne et guinéenne.

Tous deux artistes percussionnistes et utilisateurs de l’instrument, font partie de la troupe artistique «Foliba», créée dans la ville de Bouaké, dans le centre de la Côte d'Ivoire.

Dans son atelier, Demé Bakary recouvre un tronc de tam-tam taillé dans une peau de chèvre, et tire sur les cordes, tout en racontant, fièrement, l’histoire de cet instrument.

«Avant il fallait être griot pour battre du djembé. D'après nos parents, le griot avait besoin d’un support pour rassembler le village et raconter ses histoires. Le tambourin qu’il utilisait alors, était appelé tamani» indique Bakary.

«Les générations précédentes jouait du djembé pour l’honneur maintenant, c’est plus pour de l’argent» reconnaissent Bakary et Mamadi qui, grâce au tam tam, ont pu jouer en France, en Suisse, en Hollande, aux Etats-Unis, dans les Iles de la Réunion, au gré des festivals et carnavals.

Les deux amis ont appris à jouer du djembé en Côte d’Ivoire et au Mali. Il y a dans leur atelier ce qu’ils appellent des tam-tams «doum doum», de forme ronde sans support de pose et le djembé, qui a un renflement appelé bas-ventre et un support de pose, décrit Bakaray.

Pour la fabrication de ces instruments, il faut tailler le bois, issu des arbres appelés «n’goni, lé n’ké ou encore l’iroko», explique-t-il.

Mais de ces trois essences d’arbre, c’est surtout le « lé n’ké » qui passionne les fabricants.

«C’est un arbre dont il est aujourd'hui difficile de se procurer le bois en raison de la déforestation et des feux de brousse et forcément de son coût élevé dû à sa rareté. D’ailleurs un djembé fait dans ce bois peut être revendu jusqu’à 400 dollars en Europe» affirme Bakayoko Mamadi, classé parmi les meilleurs percussionnistes du pays.

«Le bois d’un arbre peut donner entre 7 et 8 tam-tams. Avant la crise (2002- 2011), les européens étaient les plus grands acheteurs et on pouvait vendre un tam-tam entre 80 dollars et 150 dollars US» fait-il savoir.

L’après-crise a provoqué la réduction certaine du nombre d’acheteurs. « Aujourd'hui les clients sont plutôt des groupes d’animation (appelé woyo) et des groupes chrétiens qui payent entre 40 dollars et 50 dollars pour un tam-tam» indique-t-il.

Moins d'acheteurs, mais aussi moins de bois, ajoute Mamadi. «J’ai une commande de trois djembé à destination du Burkina Faso que je suis dans l’incapacité pour le moment d’honorer à cause du manque de « lé n’ké », affirme-t-il.

Un manque qui s’explique par le fait que « le patrimoine forestier connaît une exploitation sans discontinuer depuis la fin du 19è siècle. La déforestation a réduit à 2, 6 millions d'hectares soit à peine 10% de la superficie du territoire national, la couverture forestière, alors que cette dernière était de 9 millions d'hectares en 1965, 12 millions d'hectares en 1950 et 15 millions d'hectares au début du siècle », reconnait un officier supérieur de la direction régionale des Eaux et Forêts de la région de Gbèkè (Bouaké).

«. Dans de nombreuses régions, l'exploitation du bois est interdite, mais nombreux sont ceux qui passent outre les décisions gouvernementales. En conséquence, les essences se raréfient et cela est dommageable pour les artisans du bois et évidemment pour les fabricants de tam-tam», dit-il.

De plus, aujourd’hui, «400 000 m3 de bois sont exportés de façon illégale en Côte d’Ivoire. Et 70% du bois usiné est directement exporté vers l’Union Européenne » selon l’Observatoire ivoirienne des ressources naturelles (Oi-Ren).

Pour Abidjan, la lutte contre la dégradation de la forêt est donc devenue une "affaire urgente", avait estimé, en novembre dernier, le premier ministre Daniel Kablan Duncan.

Le chef du gouvernement avait alors invité, lors d'un forum sur les états généraux de la Forêt, de la Faune et des ressources en eau tenu à Abidjan, l'ensemble des acteurs, Ong, société civile, population etc. à se mobiliser pour un reboisement.

Le ministre des Eaux et Forêts, Mathieu Babaud Darret, avait, pour sa part, plaidé pour une nouvelle stratégie, reconnaissant que le code de la forêt de 1965 contenait "des insuffisances".


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