Analyse, Afrique

Génocide Rwandais : La France impliquée selon deux experts français (reportage)

- L’Agence Anadolu a interviewé François Graner, auteur de l’ouvrage « L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda » et l’avocat Laurence Davidovic, connu pour ses études sur les politiques étrangères de son pays

Hicham Chaabani - Afef Toumi (Tr)  | 30.05.2020 - Mıse À Jour : 01.06.2020
Génocide Rwandais : La France impliquée selon deux experts français (reportage)

Ile-de-France

AA/Paris/ Yusuf Özcan

L’arrestation de Félicien Kabuga par les autorités françaises, pour son implication dans le génocide contre des centaines de milliers de personnes au Rwanda en 1994, a fait réapparaître l’affaire des crimes contre l’humanité en Afrique et le rôle joué par Paris.

La France a été accusée de « manque de volonté politique » pour enquêter sur le génocide commis en 1994 au Rwanda , ainsi que d’autres crimes de guerre, et poursuivre les responsables de ces crimes devant la Justice internationale.

L’Agence Anadolu a interviewé François Graner, auteur de l’ouvrage « L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda » et l’avocat Laurence Davidovic, connu pour ses études sur les politiques étrangères de son pays. Les deux ont considéré l’arrestation de Félicien Kabuga comme étant une bonne décision.

Graner a, pour sa part, indiqué qu’il s’agit d’une « bonne nouvelle », ajoutant que l’église catholique a joué un rôle important dans ce génocide et protégé ceux qui en sont responsables.

« Je n’ai pas de preuves concrètes, mais, je me suis toujours interrogé sur le rôle de l’église dans l’empêchement de l’arrestation de Kabuga, pendant des années », a-t-il ajouté.

Graner a également évoqué « l’existence de personnes résidant en France, impliquées dans le génocide perpétré au Rwanda » et que ces gens-là sont « politiquement protégés ».

Il a souligné, dans le même ordre d’idées, que « l’arrestation de Kabuga n’est pas le résultat des efforts de la police française, mais, de ceux de la police internationale, qui a empêché Kabuga de prendre la fuite cette fois-ci ».

  1. Le rôle caché de la France

Selon Graner, certaines parties appellent la France à admettre sa responsabilité dans le génocide commis au Rwanda, tandis que d’autres tentent de cacher cette réalité.

Il a indiqué que le président français, Emmanuel Macron, avait formé une commission d’enquête sur le rôle de la France dans les crimes de génocide au Rwanda et que c’est une décision correcte, sauf qu’elle n’est pas suffisante.

La commission en question a indiqué dans son rapport, remis à Macron en avril dernier, que « l’Etat français n’avait pas participé au génocide du Rwanda », a précisé Graner, qui se dit « inquiet quant à la volonté de cacher la vérité ».

  1. La France soutient les systèmes meurtriers

L’auteur français a assuré, dans le même contexte, que l’ancien président, François Mitterrand, a toujours œuvré à camoufler le rôle joué par l’Etat français dans les crimes contre l’humanité commis en Afrique, bien que Paris ait totalement soutenu le système responsable du génocide, sans tenir compte des répercussions.

Il a précisé que la France avait offert toute sorte d’appui militaire et politique aux responsables de ce génocide au Rwanda, à travers le déploiement de mercenaires et d’armes, sous un couvert diplomatique et médiatique.

Graner a souligné qu’il lutte pour que la France reconnaisse officiellement son rôle dans les crimes du Rwanda et qu’elle remette les personnes impliquées à la Justice.

« Nous voulons que la Justice fasse son travail, nous avons déposé plusieurs plaintes pénales et réussi, dans certains cas, à dévoiler l’identité de personnes ayant un lien avec le génocide pour qu’ils comparaissent devant la Justice », a poursuivi Graner.

  1. L’aile du génocide

Pour sa part, l’avocat Laurence Davidovic a assuré être content de l’arrestation de Kabuga, considéré comme étant « le leader de l’aile armée » du génocide.

Il a ajouté que la France a abrité des étrangers impliqués dans les massacres du Rwanda, dont certains ont bénéficié de la nationalité française.

Selon Davidovic, il existe des parties vouées à la défense de ces criminels, « c’est-à-dire que ces derniers sont protégés en France ».

« Les procédures judiciaires deviennent lentes lorsqu’il s’agit de l’affaire du Rwanda, la Justice est appelée à être plus efficace », a-t-il souligné.

Quant à la commission d’enquête, citée par Graner, Davidovic a considéré qu’elle « n’a pas été neutre ».

Il a indiqué, dans le même ordre d’idées, que « la France abrite des criminels impliqués dans le génocide » et qu’il « n’y a pas de volonté politique pour que ces derniers comparaissent devant la Justice ».

Les Rwandais continuent, jusqu’à nos jours, de poursuivre en Justice les responsables des crimes commis en 1994 et tiennent pour « partiellement responsables » la France et la Belgique, qui n’avaient pas fait d’efforts pour empêcher ces crimes.

Le 6 avril 1994, une heure après le crash de l’avion du président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana, appartenant aux « Hutus », un génocide s’était déclenché à l’encontre des Tutsis.

La radio « RTLM » des « Hutus » avait joué, à ce moment-là un rôle majeur dans l’incitation à la haine et aux actes hostiles, en qualifiant les Tutsis de « cancrelats » et en appelant à les éliminer.

Le retrait des forces onusiennes du pays, lors des massacres de 1994, et la poursuite des aides militaires de la France au profit des Hutus avaient donné de l’ampleur aux opérations de génocide.

  1. La colonisation et la discrimination ethnique

La colonisation belge au Rwanda (1922-1959) privilégiait les Tutsis. Elle avait adopté une politique de discrimination ethnique entre les composantes du peuple rwandais, à travers l’attribution de pièces d’identité spécifiques à chaque groupe. Ceci avait provoqué une certaine hostilité au niveau de la concurrence politique.

Les Hutus avaient dénoncé la discrimination ethnique pratiquée à leur encontre et les privilèges accordés aux Tutsis, dans un communiqué, de dix pages, publié en 1957.

En 1959, les Hutus avaient destitué le Régime du roi Tutsi, ce qui avait déclenché des actes de violence entre les deux tribus et entraîné la fuite de près de 100 000 Tutsis hors du pays.

Entre les années 1963 et 1967, des milliers de Rwandais Tutsis avaient décidé de revenir au Rwanda et ont été victimes d’un massacre, faisant près de 20 000 morts, tandis que près de 300 000 personnes ont été forcées de se déplacer.

  1. Armement du Front national rwandais

Les Tutsis au Rwanda avaient créé le Front national rwandais en 1987, installé au pays à partir de 1990, il a entamé ses opérations armées et a réussi à prendre le contrôle de régions dans le nord du Rwanda.

Le front national a poursuivi sa lutte armée jusqu’en 1993, lors de la signature de l’accord d’Arusha pour la paix avec les Hutus.

Cependant, à la suite du crash de l’avion du président rwandais, l’application de cet accord avait été suspendue, sans que la cause réelle de l’accident ne soit connue. Un échange d’accusation a eu lieu entre les deux parties, sans qu’aucune ne reconnaisse sa responsabilité concernant le crash.

  1. Réduction des forces du maintien de la paix de l’ONU

Les Hutus ont mené leurs premières attaques contre les Tutsis dans la région de Kigali, le 6 avril 1994, avant que ces attaques ne se propagent dans tout le pays. Des contre-attaques se sont déclenchées deux jours après, le 8 avril.

Le 9 avril, l’Organisation des Nations Unies a évacué les citoyens occidentaux et réduit, le 21 du mois, le nombre des forces de maintien de la paix de 2500 à 250 soldats.

Le nombre de victimes s’était élevé à près de 200 000, le 12 mai 1994. L’ONU a, néanmoins, évité d’utiliser le terme “génocide” et l’a remplacé par “des violations du droit international pouvant mener à l’élimination partielle ou complète d’un groupe ethnique”.

Le Conseil de sécurité a décidé, le 17 mai, l’interdiction de l’envoi d’armes en Rwanda. Plus tard, vers la fin du mois, le Secrétaire général de l’ONU a annoncé que le nombre de victimes est estimé entre 250 mille et 500 mille civils.

  1. La protection des criminels par la France

Le 23 juin de la même année, la France a lancé “l’Opération turquoise” dans le but de créer une zone sécurisée pour protéger les réfugiés au sud-ouest du pays. Cependant, au lieu de mettre fin au génocide, la France a fourni des armes aux extrémistes Hutus.

L’armée relevant du Front national rwandais, dirigé par le président actuel du Rwanda, Paul Kagame, a réussi à prendre le contrôle de Kigali et de Butare, le 4 juillet 1994.

Le 17 juillet, l’armée a annoncé la prise de contrôle de l’ensemble du pays après 3 mois de confrontations, faisant 800 000 victimes selon l’ONU. Des sources rwandaises indiquent, par contre, que le nombre a dépassé 1 million entre les Tutsis et les Hutus.

  1. Les criminels devant la Justice

Plusieurs survivants du génocide ont déposé des plaintes contre les criminels de guerre auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda et des tribunaux belges et français.

Quatre-vingt-treize accusés ont comparu devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, dont 14 ont été acquittés.

Un deuxième groupe de Rwandais survivants des massacres a, dernièrement, porté plainte contre la Belgique, accusant les soldats belges de n’avoir pas protégé l’une des écoles rwandaises lors de la guerre, ce qui avait entraîné près de 2000 morts parmi les Tutsis.

Trois associations civiles en France ont publié un communiqué, en 2019, indiquant que la banque française BNP Paribas avait autorisé le transfert d’une somme d’argent au Rwanda pour l’achat d’armes, en dépit de la décision d’interdiction prise par le Conseil de sécurité.

  1. Le président rwandais accuse la France

Le président rwandais Kagame avait accusé la France, en 2006, d’avoir soutenu le génocide.

Le comité rwandais de lutte contre le génocide ethnique a, pour sa part, présenté une liste de 22 soldats français impliqués dans le génocide.

Le cabinet d'avocat américain « Cunningham Levy Muse » a souligné, dans un rapport relatif à l’affaire du génocide rwandais, que la France avait envoyé de l’argent aux extrémistes à travers la République Démocratique du Congo (RDC), malgré la décision d’interdiction de l’envoi d’armes.

Dans le même contexte, le journaliste français, Patrick de Saint-Exupéry, a mis l’accent, dans un article publié par la revue XXI, sur l’implication de son pays dans le génocide commis au Rwanda.

L’article, intitulé « Nos crimes en Afrique » a expliqué que la France avait lancé « l’Opération turquoise » pour renforcer l’armement des groupes Hutus et non pas pour créer une zone sécurisée comme l’avait annoncé Paris.

Il a souligné que la décision de fournir les armes aux Hutus avait été approuvée par l’ancien Secrétaire général du l’Elysée, Hubert Védrine.

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