Gambie: Yahya Jammeh se place hors de portée de la CPI (Analyse)
- Le pays de Teodoro Obiang Nguema n'a pas ratifié le traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction internationale habilitée à statuer sur les violations des droits humains et les crimes contre l’humanité.

Tunis
AA/ Tunis/ Mohamed Abdellaoui
Le choix du président gambien sortant, Yahya Jammeh, de s’exiler en Guinée-équatoriale, aux dépens de la Guinée-Conakry, du Nigéria, de la Mauritanie, du Maroc et du Qatar, serait l’aboutissement d’une réflexion qui n’aurait rien laissé au hasard.
Anadolu a interrogé deux spécialistes des questions africaines pour mieux comprendre les tenants et aboutissants qui auraient poussé Jammeh à parcourir 3104 km au lieu de 539 (distance qui sépare Banjul de Conakry), afin de trouver refuge. La capitale guinéenne ayant été sa première destination, aussitôt parti de Banjul.
Après 22 ans au pouvoir, l’ex-numéro 1 en Gambie a quitté Banjul, samedi dernier, pour s’exiler en Guinée équatoriale. Il a ainsi cédé le pouvoir à Adama Barrow, mettant fin à six semaines de crise politique et épargnant à son pays un bain de sang.
En optant pour la destination équato-guinéenne à l’issue d’un blocage politique dû à son refus de reconnaître sa défaite à la Présidentielle du 1er décembre face au candidat de l’opposition Adama Barrow, Jammeh semble avoir sciemment pensé sa condition au soir de sa vie.
• Loin de la Cour pénale internationale
De l’avis de Yanick Yemga, Coordonnateur de la rédaction de l’édition camerounaise « l’Oeil du Sahel » et spécialiste des questions africaines, l’ex-dirigeant gambien a opté pour la destination la plus sûre pour lui.
C’est que le pays de Teodoro Obiang Nguema n'a pas ratifié le traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction internationale habilitée à statuer sur les violations des droits humains et les crimes contre l’humanité. D’autant que le président équato-guinéen a récemment mené une campagne appelant les pays africains membres de la CPI à se retirer.
« La Guinée équatoriale n’est pas membre de cette Cour, moi je ne suis pas d’accord avec elle depuis fort longtemps », a déclaré Nguema, lors d’une sortie publique.
« Yahya Jammeh semble avoir passé au crible toutes les pistes qui lui ont été proposées. S’il a renoncé au Nigéria, c’est qu’il n’a pas oublié le traitement qu’avait eu l’ex-président libérien Charles Taylor dans ce pays. Exilé au Nigéria depuis août 2003, Taylor a été extradé à son pays en mars 2006, sur ordre du président nigérian de l’époque Olusegun Obasanjo. Ce dernier a pris cette décision alors qu’il était en visite officielle aux Etats-Unis », explique Yemga.
Charles Taylor a ensuite été transféré au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, juridiction mixte soutenue par l'ONU installée à Freetown, qui l'a inculpé en 2003 de « crimes contre l'humanité » et de « crimes de guerre ».
• Considérations géopolitiques
La destination marocaine n’était pas plus sûre pour l’ex-chef d’Etat gambien accusé de « graves violations des droits de l’homme » par l’opposition gambienne et des ONG locales et étrangères. De ce point de vue, l’analyste camerounais fait observer que l’expérience de l’ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, dans ce pays aurait dissuadé Jammeh.
« Chassé du pouvoir vers la fin de 2014, à la suite d’une insurrection populaire, Compaoré s’est réfugié au Maroc avant de s’envoler vers la Côte d’Ivoire. L’opinion publique marocaine était de la partie », dit Yemga.
Le Qatar aurait été une alternative de choix pour Jammeh n’eussent été ses relations développées avec certains pays occidentaux, dont les Etats-Unis et la France. Tel que l’appréhende le spécialiste camerounais, le Gambien de 52 ans n’aurait pas omis de passer à la loupe tous les choix, en focalisant sur le volet géopolitique.
Le pays le plus sûre pour lui, aura été le plus inaccessible à la CPI, mais aussi celui où le camp au pouvoir aura encore des années devant lui, étant donné que le vice-président de la République n’est autre que le fils (Téodorin Obiang Nguema).
Les mêmes considérations géopolitiques s’appliquent aussi aux choix guinéen et mauritanien, où l’influence de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est très ressentie, fait observer Yemga.
• Risques de contamination quasi-infimes
A la question de savoir si l’exil de Jammeh ne présente le risque d’inciter l’opposition et le peuple équato-guinéens à glisser sur la même pente que les Gambiens, pour essayer de déloger le président Nguema qui cumule plus de 36 ans au pouvoir, le géopoliticien camerounais, Owona Nguini, a répondu que le dirigeant de ce pays gère toujours d’une main de fer la Guinée-équatoriale. Les risques de contamination sont, par conséquent, quasi-infimes, selon lui.
« Ce régime très répressif qui garde la même prise sur les arcanes du pouvoir est encore redouté dans ce pays », affirme l’analyste.
Parmi les neuf pays qui font l'objet d'une enquête par la Cour pénale internationale, huit sont africains, selon des rapports de la presse africaine.
La République démocratique du Congo (RDC), l’Ouganda, le Soudan, le Kenya, la Côte d’Ivoire, la Libye, la Centrafrique et le Mali sont les pays concernés.
Les enquêtes les plus en vue se rapportent au président soudanais Omar El-Béchir qui fait l’objet de mandats d’arrêt datant de 2009 et 2010 pour « crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide » ainsi qu’au dirigeant kenyan, Uhuru Kenyatta, également pour supposés « crimes contre l’humanité ».
Il y a aussi le cas du premier ex-chef d’État remis à la CPI, l’Ivoirien Laurent Gbagbo. Il est écroué à La Haye depuis le 30 novembre 2011, pour des « crimes contre l’humanité », commis lors des violences post-électorales entre décembre 2010 et avril 2011.