
Tunisia
AA/Tunis/Houcine Ben Achour
«Concernant le franc CFA, la France n’en est pas le maître, mais elle en est le garant. Personne n’oblige un Etat à en être membre».
Voilà ce que fut la réponse du président français Emmanuel Macron à une question posée par un étudiant burkinabé sur l’avenir de cette monnaie, lors de la récente visite officielle du président français au Burkina Faso, à la veille de la tenue du 5e Sommet Union africaine-Union européenne, à Abidjan en Côte d’Ivoire, les 29 et 30 novembre dernier.
Il est vrai que le débat sur le Franc CFA, récurrent depuis sa création, au sortir de la seconde guerre mondiale, a pris une ampleur inédite depuis l’été dernier lorsque, à Dakar, un farouche critique contre le Franc CFA a été incarcéré, puis relaxé, pour avoir mis le feu à un billet de 5 000 FCFA lors d’un rassemblement.
Le débat s’est brusquement enflammé sur les réseaux sociaux entre ceux qui dénoncent cette monnaie, instrument de «servitude monétaire», une survivance coloniale devenue symbole du néo-colonialisme, et ceux qui défendent la stabilité monétaire affichée par les pays qui l’ont adopté.
Une histoire mouvementée
La zone Franc a été créée en 1945 par le général De Gaulle. Elle réunissait les colonies françaises. Le franc CFA signifiait alors le franc des colonies françaises d'Afrique.
Aujourd'hui, les Français ont redéfini le franc CFA comme le «franc de la communauté française d'Afrique. Certains pays avaient choisi, lors de leur indépendance ou après, de quitter la zone franc coloniale : l'Algérie(1963), le Maroc(1959), la Mauritanie(1973), Madagascar(1973), l'ex-Indochine (Cambodge, Laos et Vietnam) en 1954 et la Tunisie, bien entendu (1958).
Le Mali a quitté la zone Franc en 1962 pour la réintégrer en 1984.
Aujourd'hui, la zone franc compte 15 pays repartis comme suit: les pays de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cameroun, Tchad, Gabon, Congo-Brazzaville, Centrafrique, Guinée équatoriale), les Etats de l'union monétaire et économique de l'Afrique de l'Ouest (Sénégal, Burkina-Faso, Mali, Côte d'ivoire, Togo, Niger, Guinée-Conakry, Guinée Bissau) et l'union des Etats des Comores. A ces trois regroupements, correspondent trois Banques centrales (la BEAC, la BCDEAO et la Banque centrale des Comores (la BCC).
La zone franc CFA a quatre principes de fonctionnement: la centralisation des réserves de changes ou compte d'opérations, la libre convertibilité du franc CFA en franc français hier et aujourd'hui en euros, le principe de la libre transférabilité des capitaux de la zone CFA vers la France.
En ce qui concerne le compte d'opérations, conformément aux accords monétaires entre la France et l'Afrique, il fonctionne de la manière suivante: les Africains doivent déposer, et, ils déposent effectivement l'intégralité de leurs recettes d'exportations dans des comptes ouverts à la Banque de France.
De 1945 à 1973, quand les pays de la zone exportaient, par exemple, des matières premières pour 100 milliards de dollars, ils déposaient la totalité, soit 100 milliards de dollars dans les caisses du Trésor français; de 1973 jusqu'en 2005, s'ils exportaient pour 100 milliards de dollars, les Etats de la zone CFA avaient l'obligation de déposer 65 milliards de dollars au trésor français dans le fameux compte d'opérations.
Depuis le 20 septembre 2005 jusqu'à aujourd'hui, le dépôt obligatoire est passé à 50% de la somme. Il convient de préciser que ce dernier montant est rémunéré à un taux d’environ 0,25% actuellement.
Une question de souveraineté
Il est vrai que le franc CFA pose une réelle question de souveraineté.
La monnaie constitue le symbole par excellence de la souveraineté et de l’indépendance d’une nation.
Elle l’est d’autant plus, aujourd’hui que les frontières se sont démantelées avec la mondialisation et la globalisation des échanges.
Or, c’est ce que donne à penser la zone CFA, dès lors que les pays qui la composent n’ont aucune maîtrise sur leur politique monétaire.
Cependant, le fait de jouir d’une monnaie commune, stable de surcroît, constitue un véritable atout d’intégration. Les mécanismes de la zone franc devraient, logiquement, permettre une ouverture sur l’extérieur, facilitant ainsi les importations et l’attrait des investissements étrangers.
Sauf que cette configuration de la zone ne s’est pas réalisée. «Le mécanisme d’assurance qu’offre le Trésor français à la zone franc est un mécanisme qui permet de s’assurer contre les défaillances de la gouvernance économique et politique en Afrique. Ce n’est pas un mécanisme qui peut permettre à l’Afrique d’enclencher sa transformation structurelle.
Donc, cette question de la souveraineté monétaire de l’Afrique est une question cruciale », indique d’ailleurs l’économiste Kako Nubukpo, co-auteur d’un ouvrage collectif intitulé «Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA».
Cet ancien ministre togolais chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques, virulent opposant au franc CFA, estime que le système ne profite nullement aux pays de la zone, mais en revanche, bénéficie outre mesure à la France.
Il n’est d’ailleurs pas le seul responsable politique qui met ouvertement en cause le système.
En 2015, le Président tchadien Idriss Déby n’y ait pas allé de main morte affirmant qu’« il faut maintenant que, réellement dans les faits, cette monnaie soit la nôtre», que certaines clauses qui la régissent sont dépassées et qu’«il faudra les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et dans l’intérêt aussi de la France», car elles «tirent l’économie de l’Afrique vers le bas».
A l’inverse, cela ne semble pas être l’avis du Premier ministre béninois qui considère que «le franc CFA est une monnaie d’intégration qui est de nature à développer des grands marchés intérieurs».
Débat de fond ou débat idéologique
Que faire alors face à ces divergences au sein même des pays de la zone ?
Il faut soustraire le débat de fond des considérations idéologiques et établir une évaluation objective des coûts-avantages de l’expérience.
C’est ce que prône Etienne Giros, président-délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique, structure qui regroupe l’essentiel des entreprises françaises installées en Afrique.
«Le franc CFA facilite la consommation intérieure des Africains, puisque les importations ne sont pas trop chères», compte tenu de l’arrimage de cette monnaie à l’euro, mais cela «empêche les industries de transformation et les exportations africaines de se développer», posant de fait la problématique non point du franc CFA en soi, mais de sa parité.
«On pourrait envisager une parité du franc CFA, non plus par rapport à l’euro, mais par rapport à un panier de monnaie dans lequel on trouverait du dollar, de la livre sterling, du yuan, autorisant de la sorte une certaine flexibilité de cette monnaie», plaide Serge Michaïlof, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et ancien directeur à la Banque Mondiale.
«Jouer sur la parité de la monnaie est le premier instrument qu’on utilise quand on est soumis à des chocs externes comme la baisse brutale des cours des matières premières. Le fait que les pays de la zone ne peuvent pas toucher à cette parité handicape leur réactivité. Il faut qu’un nouveau mécanisme soit mis en place et qu’il soit géré quand-même par les Africains pour les Africains », ajoute-t-il, suggérant que la politique monétaire de la zone ne peut plus être gérée par le seul Trésor public français, mais par les responsables africains.
Cependant, d’autres voix se font entendre de plus en plus qui évacuent la tension autour du franc CFA.
Elles soulignent que le problème ne réside pas dans la création de monnaie autonome, mais dans l’obligation qu’ont les pays de la zone franc CFA de «créer de la valeur ajoutée en transformant les matières agricoles, minières et énergétiques sur le continent».
L’important est de savoir manufacturer et profiter du pouvoir d’achat actuel du franc CFA et prioritairement s’équiper en machines et outils de production ainsi qu’en transfert technologique.
C’est lorsque tout cela est réalisé qu’une monnaie autonome prend alors tout son sens et sa réelle utilité.
Décidément, la fin du franc CFA n’est pas pour demain. Elle prend l’allure de l’Arlésienne qu’on attend toujours mais qui ne vient jamais ou plutôt pas encore.