Afrique

Farhat Hached, l’homme qui aimait son peuple (portrait)

Mourad Belhaj  | 05.12.2019 - Mıse À Jour : 06.12.2019
Farhat Hached, l’homme qui aimait son peuple (portrait)

Tunisia


AA / Tunis / Mourad Belhaj

Le 5 décembre 1952, un guet-apens sur une route de la périphérie de Tunis, sonnait le glas de l’ère coloniale de la France au Maghreb.

Ce jour-là, Farhat Hached, leader nationaliste Tunisien, fondateur de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), tombait sous les balles meurtrières d’un commando terroriste baptisé « la Main Rouge ».

Abdelaziz KACEM, intellectuel, poète et essayiste tunisien, déclare à ce sujet : « à la veille de son assassinat, Farhat Hached était le patriote le plus unanimement reconnu. Sa mort a été celle d'un juste, d'un saint et d'un symbole. Son martyre a accéléré le processus de l'indépendance. Plus qu'un crime, la [Main rouge] a commis une faute fatale à la survie de la colonisation ».

Farhat Hached est originaire de l'île de Kerkennah, dans le gouvernorat de Sfax (centre-est), où il est né le 2 janvier 1914, dans une famille démunie.

Ayant dû quitter l'école très tôt, après le décès de son père, il intègre, en 1930, la Société du transport du Sahel, basée à Sousse, où il est affecté à un poste de convoyeur.

Il crée la même année au sein de son entreprise un syndicat de base, affilié à la Confédération générale du travail (CGT) française, entamant par la même occasion ses débuts dans le mouvement syndical tunisien.

Au congrès de l'Union départementale de la CGT, tenu en mars 1944, devant l'incapacité du syndicalisme métropolitain et de ses branches socialistes et communistes à apporter des réponses adaptées aux travailleurs tunisiens, il démissionne de la CGT.

Le 20 janvier 1946, le congrès constitutif d'une organisation commune regroupant les syndicats autonomes du Nord et du Sud et la Fédération générale tunisienne du travail fondée en 1936, crée l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). Hached est élu à l'unanimité comme le premier secrétaire général de la nouvelle centrale, à l'âge de trente-deux ans.

L’adhésion de l'UGTT en 1949 à la Fédération syndicale mondiale lui garantit une représentation internationale. Désormais, la création d'une union syndicale nord-africaine devient une priorité pour Hached, qui encourage les syndicalistes marocains et algériens à créer des syndicats autonomes et les Libyens à mettre en place des structures syndicales.

L'année 1952 voit l'échec des négociations directes entre les gouvernements français et tunisiens suivi de la répression : arrestation d’Habib Bourguiba et de tous les leaders nationalistes.

L’UGTT se retrouve ainsi en première ligne en assumant la responsabilité de diriger la résistance politique et armée contre les autorités du protectorat.

Hached prend contact avec la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) à Bruxelles, puis s’envole aux États-Unis (Washington et New York) pour porter la voix de la Tunisie au moment où les questions tunisiennes et marocaines sont débattues au Conseil de sécurité de l’ONU.

Le gouvernement français se trouve alors acculé à présenter un nouveau plan de réformes, et Hached devient depuis l'homme à abattre en raison du danger qu'il représente pour les intérêts de la colonisation en Tunisie et en Afrique du Nord en général.

Dès le mois d'octobre, des officines diverses au sein des services secrets français commencent à étudier divers plans pour se débarrasser de lui et les menaces se multiplient à travers des tracts signés de l'organisation colonialiste de « La Main Rouge ».

Les Tunisiens sont réveillés le matin du 5 décembre 1952 par l'annonce du décès du dirigeant syndical Farhat Hached.

Le leader syndical est mort, la légende Farhat Hached naissait ce jour-là !

A l’annonce de sa mort, un soulèvement populaire embrasa tout le pays.

Des manifestations ont lieu dans plusieurs villes du monde, du Caire, à Damas, jusqu’à Jakarta, Milan, Bruxelles et Stockholm.

Evoquant les émeutes de Casablanca, le journal socialiste Nord-Matin titrait : « Émeutes sanglantes à Casablanca. 40 morts et nombreux blessés. Après l'assassinat de Farhat Hached et les maladresses du résident, les troubles s'étendent à l'Algérie et au Maroc ».

Après sa mort, l'enquête judiciaire se perd dans des instructions successives, et le dossier Hached est officiellement clos sur le plan juridique en 1955, sans avoir déterminé avec certitude les coupables de l'assassinat.

Plusieurs théories circulent alors sur les commanditaires de son assassinat, cependant, c'est la piste du complot d'État qui reste privilégiée.

« Les autorités du protectorat, en connivence et sous l'influence directe de colons radicaux, auraient planifié et organisé cet assassinat », selon Charles-André Julien, historien et journaliste français, spécialiste de l'Afrique du Nord (Maghreb) et militant anticolonialiste.

Lors de sa visite en Tunisie en l’année 2013, le président français, François Hollande, a rencontré la veuve du martyr Farhat Hached.

Lors de cette rencontre, le président français a demandé pardon à Mme Emna Om el Khir Hached, pour l’assassinat, le 5 décembre 1952, de son époux et promis, au nom de la France, de révéler toute la vérité sur son assassinat.

Il a également affirmé avoir ordonné l’ouverture des archives sur l’assassinat exécuté par l’organisation paramilitaire « la Main Rouge » qui était liée à l’appareil de sécurité des autorités coloniales françaises.

Le fils de Farhat Hached, évoquant les circonstances de l'assassinat de son père souligne que le projet pour lequel ce dernier a sacrifié sa vie, l'UGTT, demeurait toujours vivant.

Mais le legs de Farhat Hached dépasse son action syndicale.

Hached était une école de vie, il a inspiré les générations qui ont continué son combat pour le pays.

En 2015, le « Quartet » du dialogue national en Tunisie, composé de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA), du Conseil de l'Ordre national des avocats de Tunisie et la Ligue tunisienne des droits de l’homme, obtient le prix Nobel de la paix !

Sacrant son succès dans la mission qu’il s’était donné d'organiser des négociations entre les partis politiques tunisiens, pour assurer la transition du régime de l'Assemblée constituante de 2011 vers un régime démocratique permanent, qui a abouti à la tenue des élections présidentielle et législatives, ainsi qu'à la ratification de la nouvelle Constitution en 2014.

Ce prix est le premier Nobel attribué à un ressortissant ou organisation de la Tunisie après son indépendance.

Ouided Bouchamaoui, présidente de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA) entre 2011 et 2018, et prix Nobel de la paix, évoque ainsi le leader syndical Farhat Hached, à l’occasion du 67ème anniversaire de son martyre :

« Farhat Hached demeure le symbole de la lutte pour la justice sociale et l'amélioration des conditions des travailleurs. Issue du secteur privé, je reste convaincue que Hached était un visionnaire ! Il luttait pour ce que tout entrepreneur responsable souhaite : organiser le travail et ses codes.


Certains événements m'ont permis de mieux comprendre les positions des syndicalistes et, par conséquent, faciliter le dialogue avec leurs représentants. Les canaux de communication se sont solidifiés grâce à mon rapprochement avec l’UGTT et la signature du contrat social en 2012 ainsi que le dialogue national de 2013.

Le modèle économique de la Tunisie doit s'adapter à l'évolution technologique mondiale, donner plus d'opportunités aux jeunes entrepreneurs et soutenir l'innovation, la recherche et l'éducation.

Ce nouveau modèle ne doit en aucun cas négliger les intérêts du citoyen. C'est pour cette raison que nous sommes dans l'obligation de mener un vrai dialogue sur cette question fondamentale dans le calme et le respect.

Hached, cette figure emblématique de la lutte pour la justice sociale, doit inspirer la prochaine étape de l'histoire de la Tunisie».



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