Analyse, Afrique

En Libye, la France cherche à défendre ses objectifs économiques et géopolitiques avec Haftar (Analyse)

- Pour nombre d’experts, le chaos libyen découle de l’intervention française de 2011 pour faire tomber l’ancien dirigeant du pays.

Yusuf Özcan, Enes Canlı, Tuncay Çakmak  | 01.07.2020 - Mıse À Jour : 01.07.2020
En Libye, la France cherche à défendre ses objectifs économiques et géopolitiques avec Haftar (Analyse)

Ile-de-France

AA - Ankara

En Libye, la France cherche à atteindre et défendre ses objectifs économiques et géopolitiques à travers le général putschiste Khalifa Haftar, un soutien qui dérange la communauté internationale.

Alors que le gouvernement légitime libyen de Fayez al-Sarraj multiplie les victoires militaires sur le terrain contre les milices du putschiste Haftar, tous les yeux se tournent vers la France qui aujourd’hui, après avoir longtemps essayé de faire croire qu’elle avait une approche impartiale, se montre de plus en plus agressive.

Khalifa Haftar, dont l’offensive pour prendre le contrôle de Tripoli a échoué, trouve son plus grand soutien européen en France. Mais la France a toujours officiellement nié ce soutien, même si ces dernières semaines, les médias français soulignent l’existence de cet appui au putschiste.

Très silencieuse au moment de condamner les crimes de Haftar, Paris est autant muette quant aux aides financières et militaires de la Russie, de l’Égypte et des Émirats Arabes Unis à ce dernier.


- L’appétit libyen de Sarkozy au moment des Printemps arabes :


Après son élection, l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, a reçu en grandes pompes à Paris le chef du gouvernement libyen, le colonel Kadhafi.

Mais la justice française se penchera plus tard sur des accusations de financement occulte libyen de la campagne électorale de Sarkozy, à coup de dizaines de millions de dollars.

C’est dans ce contexte que Sarkozy, qui s’assura le soutien de l’Angleterre, pour renverser Kadhafi au moment du "Printemps arabe".

Pour nombre d’experts, le chaos libyen découle de l’intervention française pour faire tomber l’ancien dirigeant du pays.

Ainsi, Jean-Marc Four, journaliste à France Inter et directeur de l'information internationale de Radio France est l’un des premiers à mettre en exergue l’ingérence de la France dans la politique libyenne. Dans sa chronique du 23 juin sur France Inter, il estime que la France n’a pas de leçon à donner à la Turquie. Ainsi, il rappelle que le chaos libyen a été déclenché par Paris en 2011 en allant bien au-delà de la résolution de l’ONU. Rappelant par la suite, les ventes d’armes françaises à la Libye par des intermédiaires, il évoque la légitimité de la Turquie qui soutient un gouvernement reconnu par l’ONU.

Il rappelle en outre que la France s’engage aux côtés de partenaires douteux comme les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et la Russie et accuse le pays de ne pas avoir misé "sur le bon cheval".

Enfin, il conclut en soulignant que désormais ce sont "la Turquie et la Russie qui tirent les ficelles en Libye".

Par ailleurs, publié en 2019 et passé inaperçu jusqu’à présent, "Histoire secrète de la DGSE", le livre du journaliste Jean Guisnel détaille l’intervention de la France en Libye depuis 2011 et surtout à partir de 2014 avec le rapprochement du chef de la diplomatie française Jean-Yves le Drian avec Haftar.

En 2016, un accident d’hélicoptère à Bengazi en Libye, faisant 3 morts parmi des employés de la DGSE, fait dire à Haftar : "la France a sacrifié ses enfants pour nous".

C’est cette même année que la France intensifiera son appui à Haftar, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense sous François Hollande, et ministre des Affaires étrangères actuel de Macron, fut l’initiateur de cette politique.

- L’offensive de Haftar pour prendre Tripoli et le pouvoir par la force :

En plein cessez-le-feu en vigueur en Libye, Khalifa Haftar lance une offensive contre Tripoli le 4 avril 2019, le jour où le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres arrive à Tripoli pour les préparatifs d’une conférence nationale doit avoir lieu sous le patronage des Nations Unies.

Paris n’a jamais ouvertement cité le nom de Haftar dans ses condamnations, se contentant d’appeler les parties au calme.

Mais rapidement, des informations dans les médias de la région ont rapport un soutien sécuritaire de la France à Haftar.

Deux semaines seulement après le début de l’offensive, 13 citoyens français sont arrêtés à la frontière avec la Tunisie, voulant entrer dans ce pays sans "remettre leurs armes et munitions".

Les autorités tunisiennes n’ont alors pas confirmé les déclarations de l’ambassade de France à Tunis qui affirmait avoir informé les autorités sur ces personnes.

Le gouvernement légitime libyen décida dans ce contexte de suspendre ses différends accords avec la France.

De plus, en juin 2019, l’armée libyenne découvrira à Garian, libérée des forces de Haftar, des fusées américaines de type "Javelin", exclusivement vendues par Washington à Paris.

Des faits que Paris reconnaitre après que ces informations furent reprises par les médias français, expliquant cependant que ces fusées ont été utilisées en Libye dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

- Les intérêts économiques :

Paris a toujours montré beaucoup d’intérêt à la Libye.

Pour la France, l’instabilité de la Libye est une menace du point de vue des flux migratoires venant d’Afrique mais aussi du point de vue des intérêts stratégiques de la France dans les pays de la région sub-saharienne.

Mais la Libye, qui compte les plus grandes réserves de pétrole sur le continent africain, est aussi synonyme d’intérêts économiques.

Dans une tribune en 2018, le site d’information français Mediapart mentionnait la richesse en pétrole de la Libye.

"Nous savons que tout est lié au pétrole. Par exemple Total est fortement présent en Libye. Les anciens dirigeants libyens avaient promis de donner une priorité aux sociétés françaises et britanniques", pouvait-on lire dans cet article.

La radio RFI indiquait en 2019, qu’après la prise de contrôle des milices de Haftar des champs de pétrole en 2016, Le Drian rencontra plus régulièrement le maréchal Haftar.

Selon les données de l’INSEE, le pétrole en provenance de Libye a été multiplié par 2,5 entre 2014 et 2018.

Tout cela montre bien le critère économique de la politique française en Libye.

Par ailleurs, son voisinage avec la Tunisie et l’Algérie, de colonies françaises, donne une importance géopolitique à la Libye. A sa frontière sud, se trouvent le Niger, riche en uranium, et le Tchad, base essentielle pour la présence militaire française en Afrique.

- La politique libyenne de Macron :

Le président français actuel, Emmanuel Macron, s’est fortement engagé en Libye sous l’impulsion de Le Drian.

Il invita à Paris, dès le début de son mandat, les parties du conflit libyen pour restaurer "la paix et la stabilité" en Libye.

Ces initiatives, au visage diplomatique impartial, avaient aussi pour but de dissimuler le soutien français à Haftar. Mais ce soutien est connu de tous, en France comme à l’international.

Dernièrement, le journal Le Monde s’interrogeait sur les appels de la France à un cessez-le-feu, alors qu’elle soutient politiquement Haftar qui combat le gouvernement légitime libyen reconnu par les Nations Unies.

Après sa réunion avec la Chancelière allemande Angela Merkel, lundi, dans la capitale Berlin, Macron avait critiqué le rôle de la Turquie en Libye, précisant que "ce rôle menacerait l'Afrique et l'Europe", selon ses dires.

"Nous avons espéré que le président Macron exprimerait son rejet de l'agression de Haftar contre la capitale Tripoli, depuis 14 mois, c'est-à-dire depuis l'attaque perfide", a déclaré le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Taher Siala.

L’accord de coopération signé par le gouvernement libyen et la Turquie semble avoir profondément dérangé Paris, d’autant plus que les victoires de Tripoli à la suite de cet accord se sont multipliées face à Haftar.

Le soutien d’Ankara au gouvernement légitime libyen a complètement déstabilisé les plans français en Libye, menaçant ses intérêts conditionnés à Haftar.

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