Politique, Afrique

Elections locales : Le processus de "reconstruction" de la Tunisie sera-t-il mené à bien ?

- Le chef de la Commission électorale a annoncé que les élections locales auront lieu le 17 décembre

Adel Bin Ibrahim Bin Elhady Elthabti  | 21.09.2023 - Mıse À Jour : 22.09.2023
Elections locales : Le processus de "reconstruction" de la Tunisie sera-t-il mené à bien ?

Tunisia

AA / Tunis/ Adel Elthabti

La Tunisie s'apprête à achever les dernières étapes de la construction de la “Troisième République“, avec l’organisation des élections locales, l’installation des conseils locaux puis des conseils régionaux, avant d’élire la deuxième chambre du Parlement (le Conseil national des régions et des districts).

Ces mesures attendues interviennent après la tenue d'un référendum sur la Constitution en 2022, l'achèvement de l'élection de la première chambre du Parlement (l'Assemblée des représentants du peuple, composée de 217 membres) début 2023 et la formation d'un nouveau gouvernement dirigé par Ahmed Hachani, en août dernier.

Le 10 septembre courant, le président de la Haute Autorité indépendante pour les élections (ISIE), Farouk Bouaskar, a annoncé que les élections locales devraient avoir lieu le 17 décembre.

Dans des déclarations rapportées par l'agence Tunis Afrique Presse (TAP/Officiel), Bouaskar a déclaré : "Les élections locales sont la première étape d'un long processus électoral visant à compléter les éléments du gouvernement local".

“Cela sera suivi par la création de conseils locaux dans 24 gouvernorats, puis des conseils régionaux, conduisant à la création de la deuxième chambre parlementaire, représentée par le Conseil national des régions et des districts, complétant ainsi la fonction législative telle qu'approuvée par la Constitution", a expliqué le président de l’ISIE.

Bouaskar a ajouté : "Il y aura environ 5 000 centres de vote, comptant environ 11 000 bureaux de vote".


* 2 155 circonscriptions électorales


Selon Bouaskar, "les élections auront lieu dans 2 155 circonscriptions électorales, dans 2 085 secteurs (Imada / une subdivision administrative inférieure à une délégation) pour former 279 conseils locaux (le même nombre que celui des délégations)."

"Le plus petit conseil local est composé de 6 membres, dont 5 élus, et d'une personne handicapée", a fait savoir Bouaskar.

Selon le décret réglementant les élections des conseils locaux et la composition des conseils locaux et régionaux, chaque secteur est considéré comme une circonscription électorale, élisant un représentant pour celui-ci, et le conseil régional (du gouvernorat) est élu par tirage au sort, parmi les membres du Conseil local.

Quant au Conseil régional, il est nommé par les membres élus des conseils locaux, et chaque conseil local élit un représentant au Conseil régional.

Chaque conseil régional élit également 3 membres pour représenter leur région au Conseil national des régions et des districts.

Les membres du conseil de chaque région élisent un représentant au Conseil national des régions et des districts.


* Reconstruire l'État


L'analyste politique Hicham Hajji a déclaré : “Il est clair que le président Kaïs Saïed va de l'avant dans la mise en œuvre de son projet, qui vise à changer et à reconstruire la structure institutionnelle et administrative de l'État“.

Hajji a expliqué à Anadolu qu’“en principe, des conseils de proximité sont nécessaires, mais peuvent-ils réussir et être efficaces dans un climat politique dont la caractéristique fondamentale est une faible participation populaire ?“.

Il a évoqué "un état d'indifférence qui s'est manifesté dans le taux de participation au référendum sur la Constitution et aux élections législatives, une absence totale de dialogue sur les affaires politiques et une absence de partis".

"Nous ne nous sommes pas encore débarrassés de l'influence de l'argent sale et du népotisme", a-t-il affirmé.

Hajji a également soulevé “des questions sur la légitimité de la Haute Commission électorale indépendante“, faisant référence à la nomination de ses membres par le président au lieu de les élire, comme c'était le cas avec la Constitution de janvier 2014, avant les mesures extraordinaires mises en place par le président à l'été 2021.

Soulevant la question des risques d'échec des élections locales, Hajji a déclaré : “C'est une nouvelle expérience, même si les institutions issues de la Troisième République, à savoir le gouvernement et la Chambre des représentants, ont eu un rendement en dessous du niveau requis“.

Il a conclu qu’"il s'agit d'un effort qui semble être une forme de concentration de la démocratie locale, mais dont l'essence est de démanteler davantage les liens de l'État et d'élargir le fossé entre les citoyens et les institutions politiques".


* Achèvement du processus du 25 juillet


Mahmoud Ben Mabrouk, porte-parole du parti “Voie du 25 juillet“, qui soutient le président Kaïs Saïed, estime que “parachever le processus électoral en organisant les élections locales est considéré comme un signe du “respect du président de la République vis-à-vis de la feuille de route qu'il a annoncée suite aux mesures d’exception du 25 juillet 2021“.

Ben Mabrouk a déclaré à Anadolu qu’“il est nécessaire de se concentrer sur les conseils locaux et régionaux, jusqu'aux conseils des districts, pour concentrer l'attention sur la deuxième chambre législative“.

“Pour que le Parlement devienne une chambre bicamérale qui approuve le budget et les projets de lois, et qui demande même des comptes au Premier ministre“, a-t-il fait savoir.


* Quel rôle dans le développement ?


Hicham Hajji a, cependant, minimisé l'apport de ces Conseils dans la promotion du développement en déclarant : “En l'absence d'une vision de développement par le centre, les conseils locaux ne peuvent être qu'un espace pour soumettre des suggestions et des projets utopiques“.

Il a ajouté que "depuis 2011, nous parlons de districts, mais nous ne savons pas comment le pays sera divisé en districts".

Hajji a souligné que “depuis 2019, le président n’a pas présenté de vision de développement, en plus du fait que l’Etat a abandonné la planification". "Tout cela pourrait mener à un effet inverse“, a-t-il noté.


* Régions géographiques


Mahmoud Ben Mabrouk semblait, quant à lui, bien convaincu de la clarté du découpage des régions, affirmant que “l'importance de ces conseils réside dans le fait qu'ils sont très proches des citoyens, car ils sont constitués de petits et très petits secteurs, plus étroits que la subdivision municipale et que la subdivision qui s’est produite lors des élections législatives.

Et d’ajouter : "Plus de 2 155 nouveaux départements économiques transféreront les problèmes localement au niveau régional, et les conseils régionaux transféreront les problèmes existants au Conseil des districts, jusqu'aux deux chambres du Parlement".

Concernant les districts, Ben Mabrouk a déclaré : “Ils sont géographiques, comme le nord-est, le sud-ouest et autres, et elles regroupent 4 ou 5 gouvernorats dans un district“.

"Pour assurer la facilité des mouvements économiques et des investissements, un district doit disposer d'un aéroport, d'un port, d'une usine pour un matériau vital, etc.", a détaillé Ben Mabrouk.

"Il est prévu que le président annonce ces districts après la consolidation des conseils régionaux, et la division est liée à la dimension économique et au développement", a-t-il encore relevé.


* Quel est le paysage des élections locales ?


Concernant le paysage politique que pourraient produire les élections locales, Hajji a déclaré que “tout est possible, d'autant plus que les partis pratiquent la logique de taqiyya (discrétion), et cela était clair à la Chambre des représentants, puisque même les partis proches du président ne disposent pas d’une majorité claire à la Chambre".

"Ce conseil pourrait produire soit des personnalités non affiliées, soit des blocs et orientations politiques divers, et cela est normal, car il est difficile de distancier ceux qui s'intéressent aux affaires publiques de l'affiliation idéologique et de la logique partisane", a-t-il expliqué.

Ben Mabrouk a, quant à lui, nié les affirmations de Hajji selon lesquelles il n’y avait pas de majorité soutenant le président au Parlement, affirmant que “le bloc le plus important au Parlement est celui qui soutient le président“.

Il a souligné qu'il s'agit d'un "bloc influent qui prend des décisions et, lorsqu'il s'agit d'approuver des prêts de l'État ou des accords internationaux, le vote est unanime, ce qui prouve qu'il y a de nombreux partisans du président au sein du Parlement".

Ben Mabrouk a estimé que “pour les conseils locaux et régionaux, il y a des obstacles juridiques dans le décret qui empêchent certains de se présenter aux élections, et s'il n'y a pas d'obstacles, ils demeurent des citoyens“.

Ce qui est nouveau, selon Ben Mabrouk, c'est que "les conseils régionaux délibèrent tous les six mois, et la candidature au conseil régional se fait par tirage au sort, et ici les calculs politiques sont absents, et l'égalité des chances est présente".

Les partis d'opposition en Tunisie refusent de participer aux élections locales parce qu'elles s'inscrivent dans la trajectoire et les procédures du président Saïed qu'ils considèrent comme “illégitimes“.

En août dernier, le porte-parole du parti Al Joumhouri, Wissam Sghir, a considéré, dans des déclarations à la presse, que “le déroulement des élections au Conseil des régions et des districts ne différera pas du déroulement des élections législatives, et nous avons vu la réalité de la Chambre des représentants, qui est figurative sans aucun caractère décisionnel“.

Le leader du Front de salut national, parti d'opposition, et porte-parole du parti “HarakTounes Al-Irada“ (Mouvement Tunisie Volonté), Omar Sifaoui, a confirmé dans des déclarations à la presse en août dernier que “l'opposition radicale au coup d'État boycottera ces élections et ne se préoccupe que de restaurer la voie démocratique et restaurer la Constitution démocratique qui garantit le système démocratique, et l’opposition ne reconnaît pas les institutions nées de la Constitution du coup d’État de 2022.

Depuis le 25 juillet 2021, la Tunisie est le théâtre d'une crise politique, quand Kaïs Saïed a imposé des mesures d’exception, comme notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et du Parlement, l'adoption de lois par décret présidentiel, l'approbation d'une nouvelle Constitution par référendum en juillet 2022 et la tenue d’élections législatives anticipées en décembre de la même année, et en janvier 2023.

Certains mouvements politiques, dirigés par le Front du salut national, considèrent ces mesures comme une “consolidation du pouvoir autocratique“, alors que d’autres mouvances politiques les considèrent comme une “restauration de la révolution de 2011“ qui a renversé le président Zine el-Abidine Ben Ali (1987-2011).

Kaïs Saïed, qui a entamé un mandat présidentiel de cinq ans en 2019, a, pour sa part, déclaré que ses mesures étaient “nécessaires et légales“ pour sauver l’État d’un “effondrement total“.


* Traduit de l’arabe par Mounir Bennour.

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