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Du coup d’État aux urnes : la Guinée organise une élection historique avec le dirigeant de transition candidat

- « Sans réformes structurelles postélectorales dans la justice, la gouvernance et le développement socio-économique, la Guinée risque de retomber dans son cycle de crises institutionnelles », avertit l’experte

Mevlut Ozkan  | 27.12.2025 - Mıse À Jour : 27.12.2025
Du coup d’État aux urnes : la Guinée organise une élection historique avec le dirigeant de transition candidat

Istanbul

AA/Istanbul/Mevlut Ozkan

La Guinée s’apprête à organiser dimanche sa première élection présidentielle depuis le coup d’État de 2021, une étape clé dans le processus de retour à l’ordre constitutionnel.

Quelque 6,7 millions d’électeurs inscrits sont appelés aux urnnes de 7h à 18h, heure locale (GMT).

Ce scrutin intervient après le référendum constitutionnel organisé en septembre, qui a ouvert la voie à un retour au pouvoir civil et rendu possible la candidature du président de transition, le général Mamadi Doumbouya, 41 ans.

Ancien commandant des forces spéciales ayant une expérience à l’étranger, Mamadi Doumbouya avait mené un coup d’État sans effusion de sang le 5 septembre 2021, renversant le président Alpha Condé. Il est largement donné favori de l’élection.

Alpha Condé, aujourd’hui âgé de 87 ans, avait obtenu un troisième mandat en 2020 à la suite d’une révision constitutionnelle controversée, dans un contexte de mécontentement populaire et de difficultés économiques.

Le coup d’État a ouvert une période de transition qui a largement façonné le paysage politique du scrutin de dimanche. Neuf candidats sont en lice, mais plusieurs figures historiques de la vie politique guinéenne sont absentes.

Le processus de retour au pouvoir civil a suscité de nombreuses critiques, les engagements pris en 2022 avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), notamment une transition de 24 mois, ayant accusé d’importants retards.

« Les reports répétés et le manque de clarté autour du calendrier ont renforcé les doutes de la population et alimenté l’idée d’une gestion unilatérale de la transition par les autorités », a déclaré à Anadolu Aissatou Kanté, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité (ISS).

Ces derniers mois toutefois, notamment depuis l’annonce en avril de la date du référendum constitutionnel, les autorités ont accéléré le calendrier de transition, a-t-elle souligné, avec l’établissement du fichier électoral, la préparation du matériel et de la logistique électorale, ainsi qu’une campagne de sensibilisation autour de la nouvelle Constitution, adoptée avant la présidentielle.

Une élection sous une nouvelle Constitution

La nouvelle Constitution guinéenne introduit plusieurs changements majeurs, dont un mandat présidentiel de sept ans au lieu de six, renouvelable une seule fois, des conditions d’âge et de résidence pour les candidats, la possibilité pour des indépendants de se présenter, ainsi que la création d’un Parlement bicaméral composé d’un Sénat et d’une Assemblée nationale.

Selon Aissatou Kanté, ce texte remplace la Charte de la transition, qui interdisait aux membres du pouvoir de transition de se porter candidats, ouvrant ainsi la voie à la candidature de Mamadi Doumbouya et de certains membres du Conseil national de la transition (CNT).

Le processus électoral est supervisé par la Direction générale des élections, placée sous l’autorité du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, en coordination avec l’Observatoire national indépendant des référendums et élections (ONASUR), dont la direction a été nommée par décret présidentiel.

La chercheuse estime que le nouveau code électoral favorise le président de transition, en exigeant des candidats indépendants qu’ils obtiennent des parrainages auprès d’au moins 30 % des maires dans 70 % des communes. Or, la dissolution des conseils municipaux a conduit à leur remplacement par des délégations spéciales, dont les responsables sont nommés par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), dirigé par Doumbouya.

Candidats et climat politique

Plusieurs figures politiques majeures sont absentes de la course, notamment l’ancien président Alpha Condé, écarté en raison de la limite d’âge fixée à 80 ans, Sidya Touré de l’Union des forces républicaines (UFR), et Cellou Dalein Diallo de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), parti suspendu, tous deux en exil.

L’ancien Premier ministre Lansana Kouyaté et l’ex-ministre Ousmane Kaba ont également été exclus du scrutin.

En leur absence, Mamadi Doumbouya affronte huit candidats peu connus du grand public ou disposant d’une faible capacité de mobilisation politique, parmi lesquels figurent d’anciens ministres comme Abdoulaye Yéro Baldé, Hadja Makalé Camara et Ibrahima Abe Sylla.

Selon Aissatou Kanté, la position de Doumbouya en tant que président de transition lui confère des avantages allant au-delà de son passé militaire.

« Il bénéficie d’une image relativement positive auprès d’une partie de la population, celle d’un “bâtisseur” ayant obtenu des résultats visibles en quelques années », explique-t-elle.

Cette perception le distingue, selon elle, des responsables politiques traditionnels souvent jugés « éloquents mais peu enclins à tenir leurs promesses », le présentant davantage comme un « homme d’action que de paroles ». Une image qui contribue à expliquer le soutien croissant à sa candidature ces derniers mois, y compris au sein du CNRD et du gouvernement, avant même l’annonce officielle de sa participation au scrutin.

Climat de campagne et enjeux

Si les élections en Guinée ont traditionnellement été marquées par des tensions, la chercheuse Aissatou Kanté explique que la campagne présidentielle actuelle s’est déroulée dans un climat relativement calme, en grande partie en raison de « l’absence d’une véritable concurrence politique ».

Elle relève qu’une situation similaire avait été observée lors du référendum constitutionnel de septembre, qui, malgré les appels au boycott lancés par une partie de la classe politique et de la société civile, avait enregistré un taux de participation de 86 % des électeurs inscrits.

Selon Kanté, peu d’éléments laissent penser que cette dynamique évoluera lors de la présidentielle, les principales figures politiques étant absentes de la course, aucune ne donnant de consignes de vote, et les autorités s’appuyant, comme lors du référendum, sur un important dispositif sécuritaire pour encadrer le scrutin.

« Cette élection présidentielle revêt peu d’enjeux », estime l’experte, la victoire de Mamadi Doumbouya étant largement anticipée. « La principale question concerne davantage le taux de participation qui, s’il est élevé, renforcera la légitimité du président en exercice. »

Selon elle, l’enjeu central du scrutin est d’aider la Guinée à sortir du cycle de violences électorales récurrentes, un objectif illustré par le déroulement relativement apaisé du référendum de septembre.

La situation actuelle ne montre toutefois aucun signe de changement, malgré un consensus limité autour du processus électoral et la persistance de restrictions pesant sur l’espace politique et civique.

Défis et perspectives

D’après Aissatou Kanté, les programmes des candidats traduisent la nécessité de remettre la Guinée « sur la voie de la stabilité », rappelant que le coup d’État de 2021 est intervenu dans un contexte de forte contestation populaire contre les dérives passées, notamment la corruption, la mauvaise gouvernance et la manipulation des scrutins sur des bases ethniques et régionales.

La chercheuse met en garde contre la vague récente de coups d’État en Afrique de l’Ouest, soulignant qu’une gouvernance « marquée par le clientélisme, la corruption et l’autoritarisme » peut conduire à de nouvelles ruptures de l’ordre constitutionnel.

Dans ce contexte, la mise en œuvre de réformes structurelles majeures dans les domaines de la justice, de la gouvernance et du développement socio-économique afin de jeter les bases d’une stabilité durable constitue une « priorité cruciale de l’après-élection », souligne-t-elle.

« Sans de telles réformes, la Guinée risque de retomber dans le cycle des crises institutionnelles », avertit-elle.

Le retour à l’ordre constitutionnel représente, selon elle, un « moment charnière » qui exige une attention soutenue de l’ensemble des acteurs, notamment à travers un dialogue postélectoral visant à rouvrir l’espace démocratique et à garantir que les prochaines élections législatives et locales soient inclusives, transparentes et crédibles.

L’experte note également que le gouvernement de transition a récemment réaffirmé la souveraineté politique de la Guinée dans la gestion de ses processus électoraux, en particulier leur financement, soulignant que « la perception du rôle des puissances étrangères doit être guidée par le principe de non-ingérence ».

Enfin, la position stratégique de la Guinée en tant que grand producteur mondial de bauxite, combinée au « pragmatisme géopolitique » des autorités dans un environnement multipolaire, permet au pays de préserver ses intérêts économiques et politiques, explique-t-elle.

Tout en affichant leur solidarité avec les pays du Sahel, les autorités guinéennes ont évité toute confrontation directe avec les puissances étrangères, contournant en grande partie les rivalités d’influence régionales grâce à un équilibre de partenariats avec les pays occidentaux, notamment la France, mais aussi avec la Chine, la Russie et la Türkiye.

*Traduit de l'anglais par Sanaa Amir



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