Afrique

Des marabouts de Dakar, ces faux guérisseurs que rien n'arrête

Au cœur de la capitale Dakar et dans d'autres régions du Sénégal, les charlatans et autres fabricants de gris-gris usent de la crédulité des gens et d'une bonne dose de mysticisme pour fructifier un commerce particulièrement porteur.

Nadia Al Chahed  | 23.10.2015 - Mıse À Jour : 26.10.2015
Des marabouts de Dakar, ces faux guérisseurs que rien n'arrête

Dakar

AA/Dakar/ Amadou Ndiaye 

Le Stade Iba Mar Diop en plein centre de Dakar a un curieux décor. La muraille qui lui sert de clôture est bardée d’échoppes rustiques, sortes de huttes sommaires, équipées juste d'un toit en gros tissu tendu par des cordes et sous lequel une table basse fait office de boutique.

Ils sont plusieurs dizaines de marabouts, cordonniers et vendeurs de gris-gris, à officier dans ce coin délabré de la capitale sénégalaise recevant chaque jour des centaines de personnes qui y viennent mues par le même espoir.

 Dans le bric-à-brac exposé sur les étales, on retrouve pêle-mêle : Des têtes de charognards (mammifères mangeurs de cadavre), des têtes de perroquets, des hérissons séchés, des épines de porc-épic, des pattes d’hyène, des peaux de grands fauves, des dépouilles d’animaux rampant, volant, aquatiques et bien d'autres curiosités du même genre. 

Au Sénégal les vendeurs de gris-gris jouent sur la crédulité d'une clientèle souvent imprégnée par un héritage à la fois païen et animiste dont les relents ne se sont pas encore dissipés malgré l’islamisation quasi-totale et la forte présence chrétienne dans le pays, relève Moussa, un jeune étudiant  en sociologie, de confession musulmane et qui déplore ce recours massif aux charlatans.

La population sénégalaise (estimée selon le dernier recensement à 13,7 millions) compte 94% de Musulmans,  5 % et seulement 1% d'animistes.

Barham Thiam, Muezzin (qui assure l'appel à la prière) à la grande mosquée de la Gueule Tapée à Dakar, précise que le port de gris-gris et d'amulettes, est interdit en Islam ajoutant que "le besoin de se protéger contre le mauvais oeil  et autres malédictions que développent beaucoup de personnes ne justifie pas ces pratiques animistes". 

En ce qui concerne les décoctions et autres plantes médicinales, il explique que l'Islam n'interdit pas leur usage.

Les faits d’armes de ces marabouts sont grandiloquents et leurs cartes de visite chargées de promesses déroutantes: Gris-gris pour l’invulnérabilité ou contre les armes à feu, contre le mauvais œil ou encore les accidents de la circulation, séduisent la clientèle, ajoute Moussa.

Ismaëla Diaby, originaire de Sédhiou, dans le Sud du pays, précise, dans un Wolof approximatif (langue parlée au Sénégal) , avoir hérité son «savoir» de son père, qui l'a, lui-même, hérité de son propre père, affirmant que plusieurs maladies n’ont plus de secret pour lui. Assis devant sa table, il parade fièrement: «Je peux guérir le diabète, le mauvais œil, l’asthme, l’hypertension, l’incontinence nocturne…».

Sa recette? Un assortiment de plantes, de cadavres d’animaux et d'autres breuvages, le tout assaisonné avec des incantations mystiques (emploi de formules magiques visant à produire un charme, un sortilège).

Un mélange qui peut surprendre les plus avertis, relève Moussa, avant d'ajouter "pourtant ce commerce bénéficie d’une incroyable notoriété. Au Sénégal, presque tout le monde y a eu recours un jour ou l'autre".

La population qui va voir ces marabouts est variée, on trouvera aussi bien des jeunes bacheliers que des diplômés qui cherchent un emploi en passant par les prétendantes au mariage qui ne trouvent toujours pas chaussure à leur pied. 

Les marabouts attirent aussi les sportifs en quête de victoire et les politiciens en quête de popularité. 

Conscients de leur réussite, les marabouts redoublent d'ingéniosité afin d'offrir à leurs clients toute sorte d'objets et autres gris-gris qu'ils vendent au prix fort.

En effet, beaucoup d’entre eux confectionnent des gris-gris et des amulettes, très souvent cousu, suivant les indications du charlatan, dans un morceau de peau d’animal. Le prix varie en fonction de la rareté et de la taille de la peau d’animal utilisée. Fodé Sylla, explique : «Par exemple pour faire un petit gris-gris en peau de lion, il faut prévoir 1000 francs CFA pour la peau et au moins 500 francs pour la main d’œuvre.»

Pour la cordonnerie, leur savoir-faire est un mélange de dextérité et de connaissances occultes. Fodé Sylla, 40 ans, cordonnier qui confectionne des gris-gris et des amulettes, qui a son échoppe près du stade  Iba Mar Diop affirme : "Nous obéissons à la volonté des clients qui se fient aux recommandations de leurs marabouts. Pour réaliser  certains gris-gris, certains nous demandent de le faire à la pleine lune, ou dans un cimetière... Ce sont des pratiques mystiques  que nous devons respecter".

"Nos efforts sont finalement bien récompensés et certains jours nous avons une recette qui va jusqu'à10 mille FCFA (20 dollars USD)", ajoute encore Sylla.

Mais quel est le poids réel de ces gris-gris, amulettes, formules incantatoires. Issa Ngoundiane, jeune lutteur y croit dur comme fer. Il assure : «Il est hors de question pour moi de descendre sur l’arène sans me protéger mystiquement. Je porte plusieurs gris-gris pour me prémunir contre le mauvais œil, contre mon adversaire qui peut tenter de m’anéantir mystiquement».

Cependant ce mysticisme de bon ou mauvais aloi ouvre la porte à tous les escrocs qui voient là une façon de s’enrichir en profitant de la crédulité de certaines personnes,  particulièrement fragiles, indique une source judiciaire à Anadolu.

Selon cette même source, le Tribunal des flagrants délits de Dakar se retrouve, trés souvent, appelé à juger des cas de charlatanisme dans lesquels un marabout très peu scrupuleux a fini par dépouiller de tous ses biens un candidat à l’émigration ou une femme qui souhaitait rendre son époux encore plus amoureux...

Tournant le dos à toutes les critiques, les charlatans attirent toujours autant de clients. Confiant, Fodé Sylla dégaine un sourire extatique: «Tout le monde passera ici. Si ce n’est pas le jour, ce sera alors la nuit. Nous avons confiance".

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