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Défis du changement climatique pour la Tunisie: il urge d’agir en amont

Wejden Jlassi  | 10.12.2021 - Mıse À Jour : 11.12.2021
Défis du changement climatique pour la Tunisie: il urge d’agir en amont

Tunisia

AA / Tunis / Wejden Jlassi

Le dérèglement climatique est trop souvent perçu en Tunisie comme une échéance certes redoutable, mais lointaine. Pourtant, il change d’ores et déjà la vie quotidienne de la population et même les plus sceptiques ressentent au moins les premiers effets de ce phénomène : modification du régime pluviométrique, déplacement des saisons, inondations, feux de forêt, sécheresses, et épisodes caniculaires…

Le climat de la Tunisie a changé au cours des dernières décennies et continuera à se modifier à l'avenir. L'impact de cette évolution sur l'homme et l'environnement est déjà perceptible et devrait s'accentuer, affectant dans la foulée beaucoup de secteurs névralgiques. Toutefois, ces sujets restent malheureusement hors des débats politiques, pourtant, la Tunisie se situe bel et bien dans l’une des régions les plus vulnérables : la Méditerranée.

Scientifiques, activistes, ONG et bénévoles…ils sont nombreux à tirer la sonnette d’alarme et à multiplier les engagements pour le climat. Mais, sans signal politique fort, la transition patine et les actions de l’Etat restent en deçà de l’urgence des enjeux.

Pour analyser la situation et évoquer les pistes pour, peut-être changer la donne, l’Agence Anadolu a contacté l’expert en environnement et développement durable et conseiller d'ONG spécialisées dans la protection de l'environnement en Tunisie, Adel Hentati.

« Ce qui se passe actuellement, c’est l’augmentation des extrêmes : soit des inondations, soit de la sécheresse. La Tunisie est exposée aux deux phénomènes. Elle figure aussi dans la catégorie des pays exposés au stress hydrique ce qui menace particulièrement un secteur vital qui est l’agriculture », affirme notre expert.

Il a souligné, dans le même sillage, que la production céréalière tunisienne est en forte baisse ces dernières années. En 2020, elle a baissé d'un tiers par rapport à 2019. L’impact du changement climatique sur les rendements céréaliers du pays est désormais indéniable. A l’échelle mondiale, le tout dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) indique une baisse de 4% de la production céréalière (orge, blé, maïs, riz) ce qui affecte durement les pays qui dépendent des importations de denrées alimentaires.

Gare à l’infiltration du sel et à l’érosion des plages

La Tunisie, comme beaucoup de pays du monde, devrait mener un combat acharné contre le sel. Un ennemi qui contamine les sols agricoles et décime les cultures. En effet, la salinité des sols due à l’élévation du niveau de la mer engendre des problèmes à l’agriculture côtière. Les exemples sur ce sujet abondent. Citons seulement les problèmes de la salinisation des terres agricoles au Cap Bon et au Sahel (Sousse, Monastir, Ksar Helal, et Mahdia).

« L’eau douce des nappes phréatiques est en proie à la pollution saline. Cette eau ne peut plus alors être utilisée pour l’irrigation. Le défi qu’on doit relever c’est de s’éloigner du littoral et de miser sur les zones agricoles à l’intérieur du pays si nous souhaitons poursuivre les productions issues de l'agriculture irriguée. Il convient de signaler que 50% de la production agricole provient des zones irriguées qui sont de 500 000 hectares sur les 5 millions d’hectares de terres arables en Tunisie », a soutenu l’environnementaliste.

Toujours selon l'expert, le réchauffement climatique en cours exacerbe l'érosion du littoral tunisien. En se basant sur un rapport de l’instance financière internationale (IFI), la Tunisie, avec sa façade maritime longue de 1 400 km, subit le taux d’érosion le plus important au Maghreb, avec un retrait annuel de près de 70 cm en moyenne.

Au-delà de l'aspect environnemental, cette érosion des plages pourrait avoir des conséquences économiques importantes. Pour un pays comme la Tunisie dont le tourisme a toujours reposé essentiellement sur la douceur du climat et la splendeur des plages, en tant qu’atout majeur pour le secteur et les loisirs, l’enjeu est à la fois climatique, économique mais surtout humain.

Lutte contre les changements climatiques: des engagements a minima

Il incombe individuellement à chaque citoyen de s’adapter au changement climatique. Mais, toutes les composantes de l’Etat doivent également agir collectivement. Il est urgent que l’Etat prenne acte de l’ensemble des changements qui affectent l’environnement, qu’il réagisse face au changement climatique et qu’il adapte ses capacités. Le dérèglement climatique et les conditions météorologiques extrêmes auront de plus lourdes conséquences pour l’avenir. La Tunisie est alors appelée à développer une stratégie adéquate en vue de réduire les impacts négatifs de ces changements.

Pour l’expert, la Tunisie, signataire de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, ne fait pas partie des grands émetteurs de gaz polluants, mais subit de plein fouet ses conséquences et elle se trouve contrainte à payer les pots cassés par des Etats drastiquement pollueurs et autrement plus avantagés. Les émissions polluantes de la Tunisie ne représentent, en effet, que 0.07% de l’ensemble des émissions à l’échelle mondiale.

Lors de la conférence ministérielle de la Cop26 à Glasgow (Ecosse), la délégation tunisienne conduite par la ministre de l’environnement, Leïla Chikhaoui, a indiqué que le pays a mis à jour sa contribution nationale au cours de l’année 2021, et a augmenté ses ambitions à travers la réduction de l’intensité carbone à 45 % en 2030 par rapport à 2010, et ce en comptant essentiellement sur ses propres moyens.

La responsable tunisienne a insisté que le parachèvement de ces objectifs requiert la garantie des financements convenus au congrès de Copenhague, tout en fixant un objectif international de financement à partir de l’année 2025, en renforçant les mécanismes de soutien technologique et en dotant les pays en voie de développement de moyens propres.

Interrogé sur le rôle des ONG dans la lutte contre les dérèglements climatiques, Hentati a souligné que les actions des ONG sont louables mais demeurent limitées étant donné que ce sont les entreprises et les décideurs qui doivent agir et instaurer une stratégie efficace au niveau de chaque secteur économique.

Dans ce contexte, Nicolas Planchenault, consultant dans le domaine des énergies renouvelables et du changement climatique pour le bureau d'études Kandeel, déplore, dans une déclaration à Anadolu, une faible compréhension du dérèglement climatique en Tunisie (ses causes, ses impacts, les mécanismes de lutte contre le phénomène...), le manque d'expertise conjugué à l'approche très normative et réglementaire de l'administration tunisienne sur ce sujet, ainsi que la lenteur du processus de la transition énergétique.

Il a, à ce propos, mis en avant le dynamisme de la jeunesse qui se mobilise pour le climat, en organisant des actions de reboisement, de nettoyage, de tri sélectif et de recyclage dans le but d’instaurer un mouvement vert solidaire et conscient et dans l'intention de pousser les citoyens à développer des comportements pro-écologiques. Il a souligné que la motivation des jeunes en faveur du climat doit être corollaire de moyens et d’outils qui vont leur permettre de passer de l’engagement associatif à l’action civile efficace et durable.

Ces initiatives restent tout de même incomplètes et insuffisantes en l'absence d'une véritable politique environnementale et de perspectives gouvernementales. Les pouvoirs publics se montrent malheureusement impuissants ou plutôt passifs, face au spectre d'une crise écologique redoutable qui plane.



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