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Crise de la lecture en Tunisie : Désintérêt ou manque de moyens ?

- A la Foire internationale du livre de Tunis, les centaines de stands garnis de près de 500 000 titres ne drainent pas les foules.

Hajer Cherni  | 03.05.2023 - Mıse À Jour : 03.05.2023
Crise de la lecture en Tunisie : Désintérêt ou manque de moyens ?

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AA / Tunis / Hajer Cherni

À chaque foire du livre en Tunisie, un triste constat refait surface : le livre perd peu à peu son statut de meilleur compagnon dans la vie. A l’ère du numérique, les jeunes comme les adultes, sont de plus en plus sur leurs écrans : smartphones et tablettes. Ils disposent aujourd’hui d’une large palette de choix…Le marché des bouquins numériques a trouvé sa place et progressé et l’accès aux derniers ouvrages publiés à travers le monde, via des livres audio, et des documents téléchargés gratuitement en ligne, s’est imposé dans le monde de la littérature.

Cependant, certains lecteurs restent attachés à la version papier. Pour eux, rien n’égale un livre palpable, feuilleté dégageant l’odeur du papier. Prendre un livre entre les mains, c’est sentir son odeur et scruter sa couverture.

Pourquoi les Tunisiens ne lisent pas ? Telle est la question que posent un bon nombre de férus de lecture, qui trouvent que cette problématique menace l'avenir de la culture de tout un pays et le niveau instructif des générations actuelles.

Ce manque de passion à la lecture censée solliciter l’esprit d’analyse chez l’enfant, s’amplifie davantage. Pour connaître les raisons, Anadolu est allée à la Foire du livre au Kram à Tunis, pour mieux comprendre le rapport du Tunisien au livre.

La Foire du livre qui a ouvert ses portes le 28 avril accueille jusqu’au 7 mai 2023, près de 500 000 titres et 128 exposants tunisiens. Ce rendez-vous culturel réunira, également, 124 exposants de pays arabes, 24 de pays étrangers et trois organisations non gouvernementales ainsi que plus de 300 manifestations de 18 pays, au programme de cette édition qui rend hommage à Béchir Ben Slama (1931-2023), écrivain et ancien ministre de la Culture.

A l’ouverture de l’événement, des stands et des pavillons ont commencé à accueillir les premiers visiteurs. Un simple tour dans les différents stands de la foire suffit de constater qu'ils sont quasiment désertés. Une affluence timide et les quelques lecteurs croisés étaient en quête de livres convenant à leurs bourses.

Ces visiteurs, ou habitués des manifestations littéraires, semblent être insatisfaits de l'organisation et des prix des livres qui ne rentrent pas dans le budget.

‘’Les prix sont élevés pour les petites bourses’’, nous a confié Dr Jamel Zran, professeur universitaire à l’Institut de presse et des sciences de l’information. Selon lui, les raisons qui empêchent les Tunisiens de ne pas se ruer sur les livres sont, principalement, leur coût très élevé.

Croisé au stand de la maison d’édition Cérès, Jamel Zran a expliqué à Anadolu que le désintérêt pour la lecture s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs, notamment l’environnement familial et le milieu socio-économique.

''Le Tunisien veut lire mais il n’a pas les moyens. Un lecteur potentiel hésite, de nos jours, à acheter un livre qui coûte cher. Même ceux qui ont eu la chance d’être scolarisé. En effet, 69% des Tunisiens n’ont pas d’autres livres que le Coran ou d'anciens journaux chez eux. Alors que 86% autres n’ont pas acheté un livre en 2021. Il est impératif d’inscrire la lecture comme une priorité de société et de rendre les livres accessibles à tous. On oublie le livre une fois les études terminées’’, a-t-il souligné.

Jamel Zran a avoué que les maisons d’édition s’adressent à une clientèle très limitée, une classe sociale bien particulière.

‘’On parle d’une niche d’intellectuels qui se permettent d’acheter des livres, sans trop regarder les prix'', a-t-il ajouté.

Un avis que ne partage pas l’attachée de presse de la maison d’édition Cérès, Wided Ben Yahmed.

‘’Pas un seul cours incitant à la lecture n’est programmé dans nos écoles. Le prix des livres n’est pas un obstacle. C’est plutôt, la culture du livre qui est inexistante chez nous. Les enfants ne lisent plus pour le plaisir’’, a-t-elle regretté.

Interrogée à propos de ceux qui fuient la lecture et comment initier son enfant à bouquiner, Wided Ben Yahmed a appelé les parents à faire découvrir les livres aux enfants, en les amenant dans les bibliothèques publiques et les librairies.

‘’La lecture, ce moment solennel, nous permet de voyager et de rêver rien qu'en restant dans son salon, dans un café ou sur la plage. Une habitude que l'on initie dès le plus jeune âge. C’est un océan de nouvelles expressions et d’un vaste vocabulaire. La lecture doit se faire en parallèle avec l’apprentissage et l’éducation’’, a lancé l’attachée de presse.

Pour elle, ‘’le livre papier reste à privilégier puisque les écrans ne sont pas recommandés durant la petite enfance. Il est palpable et se sent. Tenir un livre dans sa main, c'est le feuilleter et sentir son odeur''.

Outre la cherté des prix des livres, les maisons d’édition souffrent d’une crise du papier, parfois qualifiée de pénurie.

‘’On est otages de la hausse des prix'’, a expliqué Wided Ben Yahmed.

Pas loin, une foule d’écoliers se précipitent vers des stands colorés et animés plutôt que sur leurs auteurs prisés, car ils ne s’intéressent qu’au prix du livre. Près d’un stand dédié à l’édition numérique, un des élèves s’est plaint de ‘’la corvée de feuilleter une masse de papier’’.

‘’Lire un livre numérique et feuilleter un livre papier n'offre pas le même ressenti ni le même plaisir’’, a-t-il dit.
Dans ce contexte, le cofondateur de la startup ‘’Clik2Read’’, Sami Meski est revenu sur ce sujet. Il assure, à travers ce projet, avoir mis en place une panoplie de choix très vaste et rendu accessibles des livres qu’on ne trouve pas dans les librairies.

‘’Pour encourager les jeunes à lire, nous avons proposé un premier essai. Ils auront un livre gratuit. De plus, ils sont moins chers et faciles d’accès. Il suffit de s’inscrire sur la plateforme et cliquer pour les acheter ou les télécharger’’, nous a-t-il expliqué.


La lecture reste une des rares activités dont il ne faut jamais perdre la valeur. La crise des livres pourrait se résoudre grâce aux éditeurs et libraires qui luttent pour préserver cette passion.

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