Chef de parti politique : la solution en Tunisie est tributaire d’un vote favorable à la Constitution (Interview)
- Le secrétaire général du « Mouvement Tunisie en avant », Abid Briki, a prévu une affluence « intense », le jour du vote

Tunis
AA / Tunis / Adel Thebti
Le secrétaire général du « Mouvement Tunisie en avant » (gauche), Abid Briki, a considéré que « La solution exclusive pour la Tunisie, passe par un vote favorable au texte de la nouvelle Constitution », le jour du référendum, lundi prochain.
Abid Briki, un ancien ministre, a, dans une interview accordée à l’Agence Anadolu, qui s'est déroulée au siège de son parti dans la capitale Tunis, souligné que « le vote par « Oui », a pour but de passer de la phase de l'instabilité à celle de la stabilité ».
La campagne référendaire en Tunisie a démarré, officiellement, le 3 juillet courant, selon les délais arrêtés par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).
Le 5 juillet courant, le président tunisien, Kaïs Saïed, a appelé ses concitoyens à voter par « Oui » au projet de Constitution, lors du référendum qui se tiendra lundi 25 juillet 2022.
Dans une déclaration mise en ligne sur le site de la présidence de la République, Saïed a écrit : « Il n'y a pas de craintes sur le sort des droits et des libertés si les textes de loi sont élaborés par la majorité sous le contrôle et la surveillance du peuple, que ce soit au sein de l'Assemblée législative ou dans le Conseil national des régions et des territoires ».
Il a ajouté « Celui qui a été marginalisé œuvrera à élaborer des textes de loi qui vont l'extraire du cercle de la marginalisation et de l'exclusion ».
Le nouveau projet de Constitution compte 142 articles et accorde de larges prérogatives au président de la République, contrairement à la Constitution de 2014, qui prévoyait un système quasi-parlementaire.
Selon le projet de Constitution, le régime de l’Etat tunisien est un régime républicain et le président désigne le Chef du gouvernement et ses membres sur proposition de ce dernier.
Selon le même texte, le président de la République met fin aux fonctions du gouvernement ou d'un membre de celui-ci par sa propre initiative ou sur proposition du Chef du gouvernement, et il n'est pas responsable des actes qu'il a entrepris dans l'exercice de ses fonctions.
** Le meilleur de la Constitution
Briki, qui avait occupé le poste de secrétaire général adjoint de l'Union générale tunisienne du Travail (UGTT - Centrale syndicale), et représenté le mouvement syndical au sein de « l'Instance supérieur pour la Réalisation des objectifs de la révolution, de la Réforme politique et de la Transition démocratique », a indiqué qu'il fait partie d'un « groupe politique qui traite de manière critique le processus post 25 juillet (après le référendum), et qui est convaincu que l'avenir sera meilleur que la situation actuelle ».
Il a estimé que « Les meilleurs aspects dans la nouvelle Constitution est que ce texte ouvre la voie pour un nouveau processus différent de l'antérieur », tout en concédant l'existence d'une « scission au sujet du vote sur le projet de la Loi fondamentale ».
« Celui qui considère le 25 juillet comme un coup d'État ne reconnaîtra pas ce qui se produira après cette date, même si on lui apportera lune et soleil », a-t-il dit, dans une allusion faite aux appels au vote par « Non » lancés par nombre de forces politiques tunisiennes.
Au sujet de ceux qui appellent à boycotter le référendum, Briki a répondu : « Celui qui dit qu'il va boycotter, cela veut dire qu'il a choisi sa voie, celle du retour à l’ancien système avant le vote ».
S'adressant à ceux qui appellent à voter par « Non » et à boycotter le référendum, Briki a lancé qu’il « N'est pas possible d'évoluer à l’encontre de la volonté du peuple, même si comme certains l'accusent, notre peuple est dépourvu de maturité et est inconscient ».
Au cours de la campagne référendaire, la scène politique tunisienne a été marquée par trois positions fondamentales, l'appel à voter « Oui », l'invitation à voter « Non », et une troisième partie qui a choisi de boycotter le référendum.
Briki a prévu que « L'affluence pour le vote sera intense », considérant que le « Vote par « Oui » permettra à la Tunisie de s'extirper de sa situation actuelle vers une meilleure situation à l'avenir ».
A la question de savoir si le référendum aboutira à une « dictature » comme l’estime l'opposition, dans une allusion aux prérogatives accordées au président de la République, Briki a rétorqué : « Certes, le président Saïed avait dans des déclarations antérieures relevé que le référendum aboutit dans les pays arabes à une dictature ».
« La Tunisie, a-t-il poursuivi, a vécu avec (le président disparu Zine El Abidine Ben Ali) au cours du référendum de 2002 une expérience dictatoriale, lorsque l'ancien chef de l'État avait amendé les conditions de candidature à la présidence de la République mais, je pense que la comparaison n'a pas lieu d'être ici », dans une allusion faite au référendum sur la nouvelle Constitution.
Briki a expliqué sa position en disant que « La Tunisie a traversé une révolution, ce qui la différencie des autres pays arabes, dans la mesure où nous disposons d’une atmosphère de liberté et de démocratie, tandis qu’à l'époque de Ben Ali, personne n’osait dire non ou boycotter ».
« Aujourd'hui, les chaînes de télévision et les médias sont ouverts à ceux qui disent « Non » et à ceux qui boycottent, raison pour laquelle le référendum sur la nouvelle Constitution se déroulera dans une atmosphère démocratique », a-t-il ajouté.
**Le régime présidentiel pour la stabilité
Briki a estimé que « La Tunisie a traversé la phase de l'instabilité politique pour le motif que nous ne savons pas qui gouvernait ».
« Dans la Constitution de 2014, a-t-il expliqué, le président disposait de prérogatives limitées et pratiquement il ne gouvernait pas le pays. De même pour le Parlement (dissous) qui regorgeait de problèmes en raison de la composition du paysage et de l'échiquier politique et partisan, en plus du gouvernement qui prétendait que son action était entravée par le Parlement ».
« Le temps est venu pour fonder une stabilité politique à travers la prise d’une série de mesures, au premier rang desquelles figure la mise en place d'un régime présidentiel », a-t-il insisté.
Au sujet de l'absence d'imputabilité du président de la République selon le nouveau projet de Constitution, tel qu’interprété par l'opposition, Briki a réagi en déclarant : « Personnellement, je dis que le président est imputable de ses gestes et actes et plus sévèrement encore ».
Il a expliqué son idée en indiquant que « Le président est celui qui désigne le gouvernement, qui mettra en œuvre le programme présidentiel de réformes économiques et sociales. Le gouvernement répond de sa politique devant le Parlement et s'il sera dissous, celui qui sera également sanctionné est le président qui l'avait nommé ».
** Pas de danger pour les partis, les syndicats et les associations
Briki a balayé d'un revers de main tout risque que pourrait représenter la nouvelle Constitution sur l'existence des partis politiques, des associations et des syndicats, en indiquant que « Notre présence en tant que parti n'est pas menacée dans la mesure où un article de la nouvelle Constitution accorde le droit à l'organisation partisane, associative et syndicale ».
« Les dangers du régime de base ont été tranchés par la phrase ajoutée, la veille de l'Aïd al-Adha, (amendement du projet de la nouvelle Constitution, publié en date du 8 juillet courant) qui évoque que les membres de la Chambre des députés sont élus au suffrage universel et à bulletins secrets », a-t-il estimé.
Il a souligné que « L'ajout d’une deuxième chambre au Parlement (le Conseil national des régions et des territoires) est une question positive dans le processus de détermination de l'avenir politique, dans la mesure où ce mécanisme permettra aux régions d'exprimer directement leurs points de vue en ce qui concerne le budget de l'Etat et dans le Rapport annuel du développement ».
Au sujet de la désignation par le chef de l'État du gouvernement et des modalités de la nomination, et le fait de n'avoir pas fait mention de la personnalité chargée de présider le gouvernement et s'il s'agit du parti vainqueur aux élections, Briki estime que « L’essence même du régime présidentiel consiste à ce que le chef de l'État désigne le gouvernement et il est certain que cette question sera déterminée par la suite dans le cadre de la loi électorale ».
« Nous sommes favorables au scrutin uninominal du moment que lors des précédents scrutins, les personnes choisies étaient désignées par les structures centrales au sein des partis sur la base de la loyauté », a-t-il justifié.
Et Briki d'ajouter : « Aujourd'hui, les critères vont changer et même le parti politique choisira les meilleurs parmi ses éléments dans les délégations, dans la mesure où la concurrence sera rude à l'intérieur et c'est un aspect positif dans la détermination de la composition du Parlement à l'avenir ».
** Religion et État
S'agissant des appréhensions affichées par les modernistes, camp que revendique Briki, au sujet de l’absence de séparation entre la religion et l'État dans le nouveau projet de Constitution, qui évoque « les objectifs finaux de l’Islam », notre interlocuteur a répondu : « Le point relatif aux objectifs finaux de l'Islam a créé une polémique ».
« Tahar Haddad (réformateur tunisien de la première moitié du XXe siècle) appartenait au courant moderniste et avait traité la question de la femme via le prisme des objectifs finaux de la Charia et de l'Islam. Ainsi, les objectifs finaux revêtent une dimension marquée par des valeurs et ne sont point politiques », a-t-il expliqué.
« De plus, a-t-il poursuivi, le courant moderniste garantit la réconciliation des Tunisiens avec la religion mais est-ce que l'article 5 de la nouvelle Constitution garantit cela? Je répondrai par la positive dans la mesure où cet article dispose que l'État est responsable de la religion ».
« L'époque des fatwas (Avis religieux) et des cheikhs de la discorde est bel et bien révolue. Il n'y aura plus de partis politiques responsables de la religion », a-t-il lancé.
Briki a ajouté que l'État est imputable de cela et le président y a répondu dans l'amendement introduit la veille de l'Aïd al-Adha en indiquant que cela se déroulera dans le cadre de l'État démocratique ».
« L’État démocratique, insiste Briki, préserve le droit des minorités à l'exercice de leur religion à travers un autre article de la Constitution qui garantit la liberté de conscience et de croyance ».
L'article 5 du premier chapitre de la Constitution dispose que « La Tunisie fait partie intégrante de la Nation (Oumma) islamique et que l'État, seul, doit œuvrer à garantir les objectifs finaux de la religion islamique ».
S'agissant de la condition stipulant que le président de la République doit être de confession musulmane, Briki a indiqué que « Pour le gouvernement, cette condition n’est pas requise, mais elle l’est pour le chef de l'État et je me pose la question suivante : Est-ce que le peuple tunisien acceptera un président qui embrasserait une religion autre que l'Islam. L’Islam fait partie des attributs de notre pays ».
« Cette question n'est pas soumise à la polémique dès lors qu'il est impossible que les Tunisiens acceptent un président qui ne serait pas de confession musulmane », a-t-il tranché.
** Justice sociale
En réponse aux critiques soulevées par des partis de gauche proches des thèses défendues par le parti de Briki, s’agissant de « l'absence » de l'approche économique et sociale dans le projet de Constitution, notre interlocuteur a démenti cela.
« Je n'utiliserai pas le terme absence. Ce qui nous intéresse dans la Constitution c'est que l'article premier affirme l'importance de la souveraineté nationale et cela signifie que nous cherchons des ressources en interne avant de recourir à la dette extérieure, dans la mesure où le pays a été pris en otage par l'étranger à travers les dettes qui ont été contractées pour le remboursement des prêts et nous sommes entrés ainsi dans une spirale à laquelle il faut mettre fin ».
« Evoquer la justice sociale n'a pas lieu d'être si ce n’est pas intimement lié à la souveraineté nationale. Si, malgré les difficultés, tu n’es pas chef de ta décision, tu ne seras pas en mesure de gérer tes richesses parce que tu seras soumis aux diktats du FMI », a-t-il estimé.
« Il existe plusieurs articles qui évoquent le volet social. Il y a un article d'une importance majeure qui intègre les libertés politiques dans la justice sociale, dès lors qu'il s'agit de la principale revendication des Tunisiens », a-t-il poursuivi.
Briki a ajouté que « Ce qui a détruit la Tunisie à l'époque de l'ancien président Habib Bourguiba (1957-1987) et sous l'ère Ben Ali (1987-2011) ce sont deux questions extrêmement importantes : Il s'agit premièrement de l'absence de démocratie dans son acception politique, à travers l'amendement de la Constitution du temps de Bourguiba pour lui ouvrir la voie vers la présidence à vie, ainsi qu’à l'époque de Ben Ali, et deuxièmement, l'absence de justice sociale et de répartition équitable de la richesse qui était monopolisée par un certain nombre de familles », a-t-il poursuivi.
« Le résultat inéluctable était des troubles sociaux vécus en Tunisie en 1978 (protestation syndicale), en 1984 (révolte du pain), en 2008 (soulèvement du bassin minier à Gafsa), et en 2010, le grand séisme (la Révolution) », a-t-il énuméré.
« La Tunisie doit se fonder sur deux éléments fondamentaux qui illustrent la démocratie. Le premier dans son approche politique, en l'occurrence les libertés et l'alternance pacifique au pouvoir et le second dans son acception sociale et économique. Je ne comprends pas comment certains évoquent l'absence de la dimension sociale », s’est-il interrogé.
** Autocritique
Au sujet de sa participation au gouvernement de Youssef Chahed, en tant que ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance avant de démissionner (août 2016 - mars 2017), et de sa critique adressée à cette expérience à laquelle il a participé, Briki a souligné que « Des syndicalistes m'ont conseillé de participer au gouvernement et le slogan affiché « Nous devons nous dresser et nous mobiliser pour la Tunisie », a été alléchant et j'ai intégré le gouvernement ».
« J'ai peut-être commis une erreur à travers cette participation et celui qui n'ose pas avouer ses erreurs n’est pas éligible pour gouverner », a-t-il dit.
Il a toutefois nuancé ses propos en soulignant que « Les aspects positifs de cette participation gouvernementale sont importants, dans la mesure où je suis convaincu de manière catégorique que la réforme est tributaire de la mise en place d'un nouveau système ».
« L’ancien système qui, via une série de consensus fallacieux et dénaturés, a abouti à la Constitution de 2014, au sein de laquelle tout le monde s'est accordé avec leur lot d’antagonismes, et c'est la raison pour laquelle ce système n’a pas fait long feu », a-t-il dit.
« La Tunisie n'a pas besoin de consensus et d'arrangements mais plutôt d’accords et c’est le plus grand bénéfice de ma participation au gouvernement », a-t-il conclu.
La campagne référendaire pour le nouveau projet de Constitution prend fin samedi au milieu d'une désaffection et d'une attente du sort du pays après l'échéance du lundi.
L'appel lancé par le président tunisien à participer au référendum représente une partie d'un processus initié dans le pays, il y a de cela une année, soit le 25 juillet 2021, à travers une série de mesures d'exception annoncées par Kaïs Saïed, dont le limogeage du Chef du gouvernement, la dissolution du Parlement et du Conseil supérieur de la magistrature, la légifération par voie de décrets et l'organisation d'élections législatives anticipées, le 17 décembre prochain.
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou