Analyse, Afrique

Cessez-le-feu en Libye – Est-ce (vraiment) la fin de la guerre ? (Analyse)

-Même s'il s'agit d'un pas positif qui permettra de faciliter l’aboutissement à une solution politique, il n'en demeure pas moins que le respect de l’accord de cessez-le-feu demeure la principale entrave à la sortie de crise.

Mona Saanouni  | 28.10.2020 - Mıse À Jour : 29.10.2020
Cessez-le-feu en Libye – Est-ce (vraiment) la fin de la guerre ? (Analyse)

Libyan

AA / Istanbul

La signature par les protagonistes libyens d'un accord global et durable de cessez-le-feu représente une fin « officielle » de la guerre lancée, depuis 2014, par le général putschiste Khalifa Haftar, dans le but de s’emparer du pouvoir, mais cela demeurera lettre morte tant que l'accord ne sera pas concrétisé sur le terrain.

En effet, le principal défi auquel font face les libyens consiste à savoir si Haftar retirera effectivement ses milices et mercenaires de la compagnie russe « Wagner » de la ville de Syrte et de la province d'al-Joffra (Centre), en vertu de la teneur de l'accord.

De plus, l'accord prévoit le départ des mercenaires et des combattants étrangers du territoire libyen, dans un délai de 90 jours, à compter de la signature de l'accord.

* La Russie renoncera-t-elle à son projet dans le Sud de la Méditerranée ?

Ce qui soulève des doutes, c'est le fait que Moscou renonce facilement à son projet d'établir une présence militaire « permanente », dans le Sud de la Méditerranée, pour cerner l’aile sud de l'OTAN, à partir du sud et ce, en réaction au bouclier antimissile installé par l'alliance transatlantique face aux frontières ouest de la Fédération de la Russie.

Le retrait des mercenaires de Wagner de Libye est peu probable, dès lors que cette compagnie dispose de son propre agenda, et certains doutent de la capacité de Haftar à contraindre Wagner à quitter la Libye, quand bien même le général putschiste le souhaiterait, voire le déciderait.

En effet, la question est de loin plus complexe que cela n’apparaît en réalité, en particulier lorsque nous savons que Wagner poursuit, inlassablement, le renforcement de ses positions dans l'est et dans le sud de la Libye, et ce contrairement aux orientations du processus de dialogue à Genève.

De plus, Haftar a longtemps esquivé des accords qu’il a lui-même conclu et violé de précédents arrangements, dont le dernier en date, et à sept reprises, l’accord de cessez-le-feu du 21 août dernier.

En réalité, il n'existe pas de garanties suffisantes pour appliquer et faire respecter l'accord conclu à Genève, même s'il sera entériné par le Conseil de sécurité international, dans la mesure où deux alliés de Haftar, en l’occurrence la Russie et la France, disposent du droit de veto.

Cela signifie que Haftar bénéficiera d’une protection contre toute sanction internationale, même s'il ne respectera pas l'accord conclu sous les auspices onusiens.

C’est la raison pour laquelle le ministre libyen de la Défense, Slaheddine al-Namrouche a demandé aux Nations Unies de mettre en place des garanties pratiques et effectives, l’objectif étant de faire respecter la teneur de l’accord, contrairement à ce que qui s’est passé plus d’une fois.

C'est ce qui a incité aussi le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à afficher un optimisme réservé, pour deux raisons au moins. La première consiste à ce qu'il s'agit d'un accord qui n'a pas été conclu « au plus haut niveau », et la seconde est motivée par l’incertitude quant au retrait des mercenaires, d'ici trois mois.

En effet, les signataires de l’accord de cessez-le-feu sont des « seconds couteaux », des chefs militaires du troisième ordre voire moins, ce qui affaiblit et fragilise l’accord et ne l’investit pas de la force requise.

Le président turc a relevé la récente violation par l'Arménie d'un accord de cessez-le-feu conclu avec l'Azerbaïdjan, ce qui invite à faire preuve de prudence quant à une possible récurrence d’une pareille violation en Libye et ce, malgré les différents contextes qui caractérisent chaque région.
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* Sanctionner les criminels de guerre

De son côté, le président du Conseil présidentiel du gouvernement libyen, Fayez al-Sarraj a exigé de « ne pas négliger la reddition des comptes par quiconque aurait commis des crimes à l'endroit des Libyens, et dont le retrait a généré des charniers et des mines ».

Il est peu probable que Haftar acceptera de sanctionner ses acolytes et ses mercenaires russes, pour avoir planté des mines dans les quartiers sud de la capitale Tripoli, avant leur retrait, au mois de juin 2020, et pour les charniers, dont la majorité a été découverte dans la ville de Tarhouna, située à 90 kilomètres au sud-est de Tripoli.

Haftar a appuyé et continue à abriter jusqu’à aujourd'hui les milices du 7ème régiment dans ses bastions de l'est du pays, bien que ces milices aient été accusées d'être à l'origine de la majorité des charniers de Tarhouna.

Parmi les principaux points qui incitent à la vigilance et qui laissent sceptiques quant à l’application par Haftar de l’accord de cessez-le-feu figure les déploiements et la mobilisation constante de ses milices dans trois bases aériennes. Il s'agit des bases d’al-Kordhabiya à Syrte (450 Km à l'est de Tripoli), d'al-Joffra (650 Km au sud-est de Tripoli et de Barrak al-Chott (700 Km au sud de Tripoli).

Des experts militaires, parmi eux l'ancien chef d'Etat-major de l'armée égyptienne, Saad Eddine Chazli, estiment que « Si vous constatez que les déclarations politiques sont antinomiques à la situation militaire sur le terrain, ne les prenez point en considération et faites peu de cas de ces déclarations ».

Malgré cela, l'accord demeure un pas important pour construire la confiance. En effet, vu d'un autre angle, la conclusion d'un accord de cessez-le-feu représente une journée historique, d'autant plus que cela est intervenue au cours d'une rencontre directe entre les délégations des deux parties et non pas à travers des pourparlers indirects par médiation onusienne.

En effet, après neuf ans de combat, les différents protagonistes libyens sont parvenus à la profonde conviction en vertu de laquelle aucune partie ne peut remporter une victoire militaire franche, en particulier avec l'entrée en jeu d’acteurs régionaux et internationaux pour soutenir chacun des camps.

Le fait que la bataille des morsures de doigts ait atteint le point où aucune partie ne peut en supporter davantage a incité le peuple libyen, que ce soit à l'est, à l'ouest ou au sud, à participer à de violentes manifestations pour protester contre ses conditions économiques et sociales insupportables.

La poursuite de la confrontation militaire en Libye est synonyme de l'effondrement entier et intégral de l'Etat, ce qui laisse le pays en proie à l'émiettement, voire à la dislocation ou à la division, un spectre que rejettent l’ensemble des Libyen, toutes catégories et appartenances confondues. Cette hantise pourrait expliquer les concessions faites par chacune des parties, ce qui était chose impensable, il y a de cela à peine une année.

En effet, la seule signature d'un accord de cessez-le-feu, l'aménagement de zones démilitarisées à Syrte et al-Joffra et la sortie des mercenaires et des combattants étrangers de la Libye, en l'espace de trois mois, sont autant de mesures positives qui seront à même de renforcer la confiance entre les deux parties et qui baliseront la voie à un accord politique attendu en Tunisie, au cours du mois de novembre prochain.

Il est attendu que les discussions de Tunis aboutiront à l'élaboration d'une feuille de route pour une phase durable, qui commencera par un referendum sur la Constitution et qui sera parachevée par la tenue d’élections présidentielle et législatives qui mettront fin à quatre phases transitoires, qui se sont succédé, durant neuf maigres années dans un pays…riche en pétrole.

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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