Afrique

Centrafrique: A Boda, les diamants ne brillent plus pour les musulmans

L'annonce de la reprise officielle de l’exportation de diamants après trois ans d'embargo a redonné espoir aux populations des zones diamantifères sauf aux musulmans, hier maîtres du secteur et aujourd'hui menacés.

Esma Ben Said  | 15.07.2016 - Mıse À Jour : 16.07.2016
Centrafrique: A Boda, les diamants ne brillent plus pour les musulmans

Bangui

AA/ Bangui/ Pacôme Pabandji

Regard vif et sourire franc, Carl à l’air d’être un chercheur expérimenté. Les pieds trempés dans une eau boueuse, le dos courbé, il secoue son tamis poussiéreux pour «laver les graviers sortis du trou» dit-il à Anadolu.

Carl n’a que douze ans, et pourtant cela fait cinq ans déjà qu’il cherche la précieuse pierre sur ce chantier de diamant de Boda, dans le sud-ouest de la Centrafrique.

Non loin de là, son père, installé sous une paillote à l’entrée du site d’exploitation, compte «la récolte».

«Elle est pas mal !» nous lance Séraphin Ngbawé qui, de temps en temps, jette un regard empli de fierté sur sa progéniture.

Séraphin est «le patron ici», dit-il de lui-même, dans un éclat de rire. Une situation qui n’a cependant pas été toujours aussi glorieuse.

«Les choses ont beaucoup changé à Boda avec la crise interconfessionnelle qui a secoué le pays durant plus de deux ans. Avant, le secteur du diamant était surtout dominé par les collecteurs musulmans, mais aujourd’hui c’est nous [chrétiens] qui avons repris les rênes», assure-t-il.

«Je suis prêt à continuer mes activités avec mes frères musulmans !» affirme-t-il, alors que la réconciliation est encore difficile dans la région.

Boda «revit» peu à peu depuis que la Centrafrique a officiellement repris, au début du mois de juin, la commercialisation - partielle - de ses diamants sur le marché mondial, après une suspension totale décidée par le système international de certification des diamants (SCPK, processus de Kimberley) de mai 2013 jusqu’en juillet 2015.

«La levée partielle de l’embargo sur les diamants et la relance de l’exploitation forestière ouvrent de nouvelles perspectives pour notre pays», avait déclaré, le 6 juin dernier face à la presse, le ministre centrafricain des Mines, Leopold Mboli Fatrane.

«La suspension du processus de Kimberley a été levée partiellement, et sous conditions, au mois de juin 2015, ce qui va nous permettre de reprendre la commercialisation du diamant provenant des régions Ouest et Sud-Ouest, dont Boda, et d’écouler les stocks (70 000 carats), dès que toutes les conditions seront remplies», avait-il annoncé.

«De quoi remotiver les 62% de la population locale qui effectuent des activités liées à l’exploitation du diamant» estime Consolation Tchénguélé, président de l’association des jeunes paysans centrafricains.

«Pendant l’embargo les jeunes se sont retrouvés sans activités, avec les conséquences que nous connaissons, la levée de celui-ci et désormais la commercialisation internationale redonne espoir», ajoute-t-il.

L'espoir, Christine Siribi, l'a retrouvé elle aussi.

C’est avec un large sourire et des yeux pétillants que cette mère de 37 ans, secoue son tamis.

«Si à la tombée de la nuit je sors d’ici avec quelques pierres, je suis assurée de garantir de meilleures conditions de vie pour mes enfants pendant plusieurs semaines» dit-elle.

«En Centrafrique, la richesse de notre sous-sol est notre principale espoir pour une meilleure vie ! Cet embargo constitue une asphyxie qui, nous espérons, sera bientôt de l’histoire ancienne», ajoute-t-elle.

Reste encore à ré-accepter la communauté musulmane qui compte quelques milliers de personnes, minoritaires dans cette ville de 60.000 âmes, comme dans tout le pays (10% environ), mais qui fut «Maître de la ville et des chantiers de diamants» avant la crise.

«La plupart des comptoirs de diamants de la ville sont encore fermés tandis que les musulmans craignent toujours d’aller au-delà de leur zone, de peur de se faire lyncher», indique Boaro Boubakari, négociant et collecteur de diamants, pour qui il est encore «impossible de reprendre son activité».

«Il est vrai que le conflit entre nous et nos frères chrétiens tire à sa fin mais il existe encore certaines limites qu’on ne peut dépasser, comme se rendre dans les chantiers, où les nouveaux collecteurs, des anciens anti-Balaka [milice chrétienne] nous menacent encore», s'est-il désolé.

En attendant la levée complète de l’embargo et le retour à la normale de la sécurité, les musulmans vivent des aides humanitaires, mais ne perdent pas espoir, ajoute-t-il.

La Centrafrique dont les recettes proviennent essentiellement de la vente des ressources minières, a une longue histoire avec le diamant. Les régions diamantifères les plus connues sont la formation de Carnot, située à l'ouest du pays et de Mouka-Ouadda, dans la partie est de la RCA.

La Centrafrique a produit en 2012, selon les dernières statistiques officielles en date, 365916 carats de diamants d’une valeur de 62 millions de dollars.

Le processus de Kimberley est un régime international de certification des diamants bruts, qui réunit gouvernements et industriels du diamant, dans l'objectif d'éviter notamment de négocier sur le marché mondial, l'achat des diamants présentés par des mouvements rebelles dans le but de financer leurs activités militaires.

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