Cameroun/crise anglophone : le lourd tribut de l’unité

Cameroon
AA/Cameroun/Peter Kum
Le 1er octobre 1961, le Cameroun francophone et anglophone se sont officiellement réunis pour former un seul pays, la République fédérale du Cameroun, après que les Camerounais anglophones ont voté pour rejoindre le Cameroun francophone lors d'un plébiscite organisé par les Nations Unies le 11 février 1961.
Soixante ans plus tard, ce contrat social est encore mal digéré et fait face à un climat de rancœurs historiques.
Le 1er octobre est la date commémorant la réunification en 1961 du Cameroun sous mandat français et le Cameroun britannique – Southern Cameroon) pour former un pays fédéral.
Le système de gouvernement fédéraliste convenu par les deux parties ne durera qu'une décennie.
Le pays l'a abandonné lors du référendum constitutionnel de 1972, installant un système centralisé qui a permis au pouvoir de se concentrer dans la capitale, Yaoundé.
« Les Anglophones disent avoir souffert d'une marginalisation accrue à la suite de ce référendum », a souligné maître Alice Nkom, avocate camerounaise.
Depuis 1972, les Anglophones qui représentent 20% de la population camerounaise, se sont mis à exprimer leurs frustrations car ils se sentaient largement marginalisés par la majorité francophone représentant 80% de la population.
« Pour faire établir certains documents, il fallait aller à la capitale Yaoundé. Pour sa retraite, il fallait y rendre aussi. Tout était centralisé dans la capitale camerounaise. Chose plus choquante, à Yaoundé, personne ne vous parle en anglais, tout le monde parle uniquement en français. C’était frustrant », a relevé, Ebah Joseph, enseignant dans la zone anglophone.
« Les Anglophones avaient demandé le fédéralisme mais le régime a plutôt proposé la décentralisation qui n’était même pas effective. Cette frustration nous a fait regretter ce référendum qui nous a relié aux francophones », a-t-il poursuivi ajoutant, « les Anglophones ont dont opté pour leur indépendance ».
En 2016, les frustrations se sont multipliées. Les avocats et les enseignants anglophones se sont mis en grève à Bamenda et Buea, les capitales des régions du nord-ouest et du sud-ouest.
Ils estiment que le gouvernement majoritairement francophone tente de détruire le système judiciaire de common law et l'enseignement en anglais pratiqué dans ces régions du pays.
Les militaires répliquent durement aux manifestations qui dégénèrent en violents affrontements.
Les anglophones commencent alors à réclamer plus d'autonomie. Un mouvement séparatiste émerge, exigeant la sécession pure et simple et la création d'un nouvel État qu'ils appellent "Ambazonia".
« Il fallait s’attendre à cette crise car les plus vieux en zone anglophone estiment que le mariage entre les anglophones et les francophones a été mal négocié. Ils ne voient plus la raison d’être de continuer dans cette union. Les plus jeunes se trouvent dans une situation qu’ils pensent être sans issue et pensent que l’indépendance serait une solution », a expliqué Akéré Muna, ancien vice-président de Transparency international Cameroun.
Le 1er octobre 2017, des dizaines de milliers d'Anglophones descendent dans les rues de plusieurs villes des deux régions anglophones pour proclamer l'indépendance de l'Ambazonie.
Le choix de la date n'était pas un hasard. Le 1er octobre 1961 étant le jour où les Camerounais du Sud ont obtenu leur indépendance de la Grande-Bretagne.
Plus de 20 personnes sont abattues par les forces de sécurité et des centaines arrêtées lors de cette manifestation, selon Amnesty International. D'après les chiffres du gouvernement, le nombre de morts s'élève à environ 10.
L'interdiction des manifestations pacifiques amplifie la colère des mouvements sécessionnistes, dont beaucoup prônent fermement la lutte armée en « autodéfense ».
Les installations gouvernementales et les forces de sécurité sont la cible d'attaques. Les séparatistes imposent également des couvre-feux, un boycott scolaire, et la résistance à ces mesures entrainent des représailles ou des enlèvements.
Le président du Cameroun, Paul Biya, soutient depuis le début de la crise que le pays restera « un et indivisible ».
Le président déploie l'armée dans les zones anglophones, s'engageant à « détruire tous ceux qui veulent diviser la nation ».
« L’option militaire n’a jamais été posée comme la solution. L’État s’est retrouvé face à des groupes dont les revendications étaient corporatistes et politiques et qui ont basculé dans la violence armée », a estimé Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (CEIDES) et directeur du Séminaire de géopolitique africaine à l’Institut catholique de Paris.
L’option militaire n’ayant pas apporté une solution à la crise, Yaoundé est revenue au dialogue en organisant fin 2019, le grand dialogue national. Mais les concertations n’ont pas abouti car l’armée a continué à affronter les séparatistes.
« Il faut compléter cette approche par une autre démarche, qui soit davantage « bottom-up ». C’est-à-dire l’organiser dans une architecture institutionnelle repensée pour toucher le peuple – celle que l’on désigne par « Grassroot ». Il faut que cette base s’exprime sur ce qui constitue le fond du problème et propose des solutions », a proposé Christian Pout.
Quatre ans après le déclenchement de la crise anglophone, les indépendantistes insistent pour ne négocier que les conditions de leur indépendance, ce que le gouvernement refuse catégoriquement.
Pour sortir de cette crise, maitre Akéré Muna estime qu'« il faut d'abord se parler. Ensuite, il est impératif de rétablir la situation telle qu’elle l’était, c’est-à-dire libérer les détenus, les amnistier et mettre en place les conditions nécessaires pour le désarmement. Et ce n’est pas cette armée qui le fera, il faut donc trouver un tiers. Comme la Belgique, le Canada, la Suisse, ou un pays qui n’est pas partie prenante, vu que certains sont réticents à une intervention de l’ONU ».
D’après l’ancien bâtonnier camerounais, « ce pays tiers devra accepter de venir avec une force tampon qui se déploiera dans les zones en crise et procédera au désarmement. Ensuite, il devra passer à la réhabilitation et à la reconstruction des villages et faire revenir les habitants chez eux. Lorsqu’on l’aura fait, on pourra alors commencer à se pencher sur les questions globales du cadre dans lequel nous souhaitons vivre ».
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