Burundi: l’«aigle» rode dans les rues de Bujumbura
-Des monuments à la gloire du parti au pouvoir -dont les symboles sont l’aigle et l’épée- sont érigés dans de nombreux quartiers de la capitale. "De la provocation", selon l'opposition

Bujumbura
AA/Bujumbura/Yvan Rukundo
Un aigle et une épée. Il n’en fallait pas moins pour susciter la colère de nombreux Burundais qui se disent « indignés » devant autant de provocation.
Depuis quelques mois, des « monuments » à la gloire du Conseil national pour la défense de la démocratie- Forces pour la défense de la démocratie (Cndd-Fdd), parti au pouvoir depuis 2005, sont érigés dans la plupart des quartiers de la capitale burundaise Bujumbura, surtout les quartiers opposés, depuis plus de deux ans, au troisième mandat « anti-constitutionnel » du président Pierre Nkurunziza.
Ici et là, à chaque croisement de rues, sur le bord des grandes routes, l’aigle et l’épée, symboles du Cndd-Fdd, dessinés sur des blocs de pierres, semblent narguer les passants.
On peut y lire en Kirundi –langue nationale- des phrases à la gloire du parti présidentiel, «Cndd-Fdd, Rukiza rw’Abarundi» («Cndd-Fdd, sauveur des Burundais»), «Cndd-Fdd, waratsimbataye» (Cndd-Fdd, tu es fort), « Caratuvunye ntituzokirekura » (ça nous a coûté cher, nous ne lâcherons pas le pouvoir)….
Les Imbonerakure, (membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir que l'ONU qualifie de milice) veillent jour et nuit sur ces « monuments », car, disent-ils, certains d’entre eux, ont déjà été vandalisés.
Pour l’opposition, cette surveillance n’est qu’un prétexte. « En réalité, les Imbonerakure se réunissent devant ces lieux pour préparer des attaques et des enlèvements d’opposants », assure I.K, membre du parti Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD-opposition), interrogé par Anadolu.
« Il y a quelques semaines, des Imbonerakure se sont réunis le soir devant un monument dans le quartier de Buterere. Après leur départ, la police a retrouvé une grenade non dégoupillée. Elle a dû tomber par terre », poursuit I.K qui en déduit que « ces jeunes étaient armés ».
Dans toutes les rues de Bujumbura, le constat est le même. « Ces monuments poussent comme des champignons », lance un jeune opposant, rencontré à Mutakura, un des quartiers contestataires de Bujumbura.
« On les installe même devant nos habitations. Ce n’est que pure provocation », ajoute-t-il.
« On a l’impression de replonger dans les années 90 avec le monopartisme. Je me demande bien si d’autres partis pourraient avoir le privilège d’ériger de tels monuments », s’interroge-t-il.
Pour l’opposition, le constat est sans appel « le pouvoir veut créer une sorte d’apartheid et s’imposer comme la seule force politique dans le pays », charge Léonce Ngendakumana, président de l’Alliance des démocrates pour le Changement (Adc-Ikibiri), rencontré par Anadolu.
« C’est aussi une stratégie pour identifier les quartiers et les gens à malmener sur simple suspicion qu’ils aient pu dire du mal de ces monuments », ajoute-t-il.
Des inquiétudes que minimise toutefois le camp présidentiel. « C’est tout simplement pour renforcer la présence du parti dans les quartiers », se défend Nancy Ninette Mutoni, commissaire chargée de la communication au parti Cndd-Fdd, jointe par Anadolu.
« Ce ne sont que des initiatives prises par des responsables locaux dans chaque quartier. Ces monuments ne devraient pas inquiétés car ils ne signifient rien de mal », ajoute-t-elle.
Interrogée sur la possibilité que d’autres partis puisse en faire autant, Mutoni assure qu’elle n’y voit « aucun problème ».
«Mais la gestion des partis politiques relève du ministère de l’Intérieur et de la formation patriotique », nuance-t-elle.
Depuis plus de deux ans, le Burundi est en proie à une grave crise politique et sécuritaire consécutive à la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat présidentiel jugé illégal par l’opposition et la société civile.
Les violences occasionnées par la crise politique ont fait plus d'un millier de morts et poussé plus de 420 mille personnes à fuir le pays, selon le dernier rapport du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), publié le 8 juin dernier.