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Bombardement de Sakiet Sidi Youssef : L’épisode sombre et barbare de la peu glorieuse armée coloniale française

- Soixante-douze morts, dont douze écoliers, et 148 blessés, principalement des civils, tel est le bilan de l’opération française lancée le 8 février 1958.

Ekip  | 09.02.2023 - Mıse À Jour : 10.02.2023
Bombardement de Sakiet Sidi Youssef : L’épisode sombre et barbare de la peu glorieuse armée coloniale française

Canada

AA / Montréal / Hatem Kattou

Il est 10h50 en cette matinée du 8 février 1958, et c’est le moment choisi par l’armée coloniale française pour lancer ses onze bombardiers et ses quatorze chasseurs afin de pilonner le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, un village de la province du Kef dans un pays indépendant il y a de cela deux ans, faisant 72 morts, dont 12 enfants.

L’unique tort de ces mômes fut celui d’être sur ls bancs de leur école primaire et de résider dans une région frontalière qui constitue une base arrière de l’Armée de libération nationale (ALN) algérienne, qui luttait depuis quelques années pour le recouvrement d’une dignité bafouée et d’une souveraineté piétinée, depuis prés d’un siècle et un tiers de siècle, par la France des « Lumières ».

Officiellement ordonnée par Edmond Jouhaud, le commandant de la 5e région aérienne en Algérie et un des « quarterons de généraux », pour reprendre le sobriquet du général Charles de Gaulle, sans la connaissance et l’aval de Félix Gaillard, un des derniers présidents de conseil de l’éphémère IVe République mais avec l'accord oral du ministre de la Défense, un certain Jacques Chaban-Delmas, cette opération militaire était destinée à punir la Tunisie de Habib Bourguiba.

En effet, il s’agit de punir la Tunisie pour le soutien apporté au Front de libération nationale (FLN) algérien et à sa branche militaire, l’ALN, qui avait installé un de ses deux quartiers généraux sur le sol tunisien, et en prétextant officiellement les harcèlements et les accrochages initiés par l’ALN, plus particulièrement, l’avion de reconnaissance touché par des tirs à partir du territoire tunisien.

Les 11 bombardiers A-26, les six chasseurs-bombardiers Corsair et les huit chasseurs Mistral ont prix pour cible, dans un contexte enflammé par la Guerre de Libération algérienne qui faisait rage depuis plus de trois ans, la localité frontalière. Les appareils français, qui volaient en rase-motte, ont bombardé sans relâche, la place du village bondée en ce samedi, jour de marché, pendant 70 minutes, l’école primaire et une mine de plomb où étaient installés les soldats de l’ALN.

L’horreur, qui a généré un bilan de 72 morts, tous des civils (tunisiens et réfugiés algériens) et 148 blessés, ne s’est pas limitée à ces actes de « représailles », mais l’a dépassé pour atteindre et détruire deux camions de la Croix-Rouge, venus en aide aux réfugiés, faisant ainsi fi des règles élémentaires du droit et du droit international humanitaire en particulier.
Honteuse et barbare, cette attaque a, outre le lourd bilan humain, eu comme résultante la destruction des infrastructures vitales du village.

Rappelons que cet épisode, peu glorieux pour l’armée d’une puissance mondiale ou considérée comme tel, a provoqué une série de conséquences d’ordre politique et diplomatique, aux plans bilatéral, national et international.

Sur le plan national français, le bombardement de Sakiet Sidi Youssef a provoqué une polémique au niveau de l’Assemblée nationale, et dans la foulée la chute du cabinet de Félix Gaillard, dont le mandat a pris fin officiellement le 15 avril 1958, sonnant le glas de la IVe République, et balisé la voie au retour du général Charles de Gaulle au pouvoir.

Sur le plan bilatéral, les relations tuniso-francaises, déjà tendues, ont subi un sacré coup, lorsque Habib Bourguiba, premier président de la République naissante, qui s’était libérée du joug du colonialisme français, en mars 1956, a décidé de rompre les relations diplomatiques avec Paris.

La Tunisie a expulsé cinq consuls français et bloqué l’accès aux casernes français encore établies sur le sol tunisien, cinq ans avant l’évacuation totale en octobre 1963 après la bataille de Bizerte.

Sur le plan diplomatique, et au-delà de l’émotion soulevée par l’effroi et l’horreur, l’on a assisté à une internationalisation de l’affaire algérienne, favorisée par un travail de longue haleine du FLN mais aussi par l’appui de la Tunisie qui, tout en déposant une plainte officielle à l’ONU, a organisé une visite des médias internationaux dans le village martyr.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, à la suite de la plainte tunisienne, de mettre sur pied une Mission de bons officies entre la Tunisie et la France, dirigée par le diplomate britannique Harold Belley et l’Américain Robert Murphy, représentant personnel du président Dwight Eisenhower.

Robert Murphy avait d’ailleurs soutenu sans ambages la position tunisienne, obtenant l’appui du président américain qui a exercé une forte pression sur la France en adressant, entre autres, une lettre personnelle au président du Conseil, Félix Gaillard, en date du 10 avril, cinq jours avant la chute effective du gouvernement français.

Certes, la Tunisie avait appuyé le Mouvement de libération algérien tout au long des années de combat héroïque et de résistance, en facilitant le passage des armes, en accueillant le Gouvernement provisoire algérien (GPRA), en offrant un appui logistique au FLN et à l’ALN et en défendant la Cause algérienne dans les instances internationales, mais c’est cet épisode du bombardement de Sakiet Sidi Youssef qui illustre, à lui seul, cette solidarité et cette unité de destin.

D’ailleurs, cet évènement est célébré chaque année depuis en présence des officiels des deux pays (Premiers ministres, ministres de l’Intérieur, des anciens combattants et des autorités locales).

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