Afrique

"Bangui, la roquette !"

Nacer Talel  | 20.01.2021 - Mıse À Jour : 21.01.2021
"Bangui, la roquette !"

Tunisia

AA / Bangui / Nacer Talel

« Avant c’était Bangui la coquette, on a peur maintenant que ça soit Bangui la roquette » exhale Edmond, mon ami chauffeur. Ce jeune de 35 ans a sillonné le pays ces dernières années en travaillant avec des journalistes, ONG et autres organisations, et a dû fuir Kaga-Bandoro (chef-lieu de la préfecture de Nana-Grébizi) sous menace des groupes armés, pour se retrouver à Bangui à attendre un coup de téléphone par lequel quelques jours ou semaines de travail lui seront proposés.

Edmond n’est pas le seul à venir vivre dans la capitale centrafricaine. Des commerçants, des Peuls, des familles apeurées et bien d’autres encore se sont retranchés à Bangui, en quête de sécurité.

Les guerres entre les « rebelles » comme nous, les journalistes, « la communauté internationale », « bailleurs des fonds », « pays partenaires » de l’autorité actuelle, les appelons, ou « les révolutionnaires » comme ils s’auto-identifient et aiment être appelés, ces guerres ont radicalement changé la vie des Centrafricaines et Centrafricains. L’arrivé des Russes et Rwandais en RCA, commence à changer la donne, du moins pour le moment.

En 2014, date de mon premier voyage en RCA, sur le tarmac de l’aéroport, les déplacés internes couraient littéralement à gauche et à droite de l’avion atterrissant, et les soldats de la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine) essayaient de les garder à distance. On pouvait voir les déplacés internes vivant dans les hangars surpeuplés.

Sept ans plus tard, ce sont les Antonov An-225 russes qui nous accueillent sur le tarmac, des mitrailleurs installés sur le toit de l’aéroport derrière les signalétiques vieillissantes, un aéroport où tout ou presque se fait encore manuellement.


À la sortie de l’aéroport, les affiches électorales dressées au bord de la route, au milieu des vendeurs à la sauvette, les marchés surannés, les égouts à découvert, les saletés qui en débordent, les routes trouées, les centaines de motos-taxis qui essaient de serpenter entre les gros véhicules de la MINUSCA, sont témoins d’une seule chose : la valeur de ce qui jaillissait depuis des siècles des sous-sols centrafricains n’a jamais irrigué ce qui est sur le sol, à part les voleurs assoiffés de gain et n'arrêtant pas de changer de casquette.

Dans les faits, la Centrafrique se réduit petit à petit à sa capitale Bangui. Les élections groupées du 27 Décembre 2020 étaient une illustration parfaite de la situation chaotique du pays.

Profitant du retrait des Américains et surtout des Français, le président Touadera, a fait appel à ses nouveaux amis russes et rwandais pour faire face à la menace des groupes armés qui exigent une concertation et un dialogue avant les élections. En août 2018, les deux ministres de la Défense, russe et centrafricain, ont signé un accord militaire. Selon les termes de cet accord, la Russie s’engage à entraîner les forces armées centrafricaines et à conseiller les autorités de ce pays en matière de sécurité mais aussi en matière d’exploitation minière.
Deux entreprises ont vu le jour, SEWA Security Services et LOBAYE INVEST SARLU. Les deux appartenant à l’entreprise mère M-Finance gérée par Yevgeny Khodotov chapeauté par un proche de Poutine, Yevgeny Prigozhin dont les noms s’affichent respectivement sur les permis d’exploitation artisanale et semi-mécanisée pour l’or et le diamant, accordés par le gouvernement centrafricain et rendus brièvement publics par les autorités centrafricaines, mais également présents sur les listes des personnes sanctionnées par le Département américain du Trésor ainsi que par l’Union européenne (UE).

« Ils ne sont pas venus pour nos beaux yeux, tout comme les Français » s’indignait Bertrand, activiste pour les droits de l’homme à Bangui.

Les craintes d’Edmond sont devenues une réalité, le 13 janvier : des hommes armés ont attaqué Bangui. Une cinquantaine d’individus ont attaqué simultanément deux points d’entrée de la capitale. PK 9 et PK 12, où des militaires russes étaient présents à au moins un de ces deux points.



- La touche russe se fait sentir à Bangui

Outre la présence militaire et paramilitaire de la Russie en Centrafrique, les conseillers en sécurité imposés et recrutés autour du président et des forces armées, commencent à porter leurs fruits. Une atmosphère de peur s’installe sur Bangui. Des descentes nocturnes, mais aussi en plein jour, des forces spéciales centrafricaines, de la garde présidentielle, appuyées par des gendarmes parfois, se sont récemment multipliées.


Le 10 janvier, Christian Gazam, conseiller en communication et proche collaborateur d'Anicet-Georges Dologuélé (ancien premier ministre et ministre des Finances et principal opposant du président Faustin Archange Touadera, à l'élection présidentielle du 27 décembre), habitant au bord du fleuve à Bimbo, a déclaré en être une victime et craint aujourd’hui pour son intégrité physique et celle de sa famille :
« La garde présidentielle est venue embarquer le gardien de la concession voisine. Ils sont entrés dans la maison et ont fouillé, sous prétexte de chercher des armes qui auraient été ramenées par des gens qui ont traversé le fleuve [Oubangui]. Ils l’ont pris dans le pick-up, pour le relâcher deux heures plus tard... Ils lui ont demandé de se couper les cheveux, parce que quand on part avec les Russes sur le terrain (...) Les Russes ont tué beaucoup de gens innocents à cause de leurs looks », a notamment rapporté Gazam poursuivant ainsi le récit des faits :

« Par précaution, on a fermé les portails et on a tout bouclé comme s’il n y a personne la maison. La garde présidentielle est revenue le soir à 23h, avec 4 pick-up, deux se garent en face de mon portail, une autre en face du fleuve, se répartissent dans ma zone, et commencent à frapper violemment à mon portail […] On ne répond pas - on reste calme » ils restent dans le quartier, ils recommencent à frapper sur la porte presque toutes les heures à partir d’une heure pour finalement partir vers 5h du matin », ajoute-t-il.


Joint par téléphone , Albert Mokpeme, le Porte-parole de la Présidence, commente les faits racontés par Gazam:

« Je ne vais pas commenter ce que les gens racontent sur les réseaux sociaux, mais si ce Monsieur a quelque chose à avoir avec la justice ou la police, il aura à s’en expliquer […] Les centrafricains se sont exprimés et on attend la décision de la Cour constitutionnelle, l’opposition voulait empêcher les élections par tous les moyens […] pour contrarier le bon fonctionnement de notre démocratie et empêcher le peuple d’aller voter […] on a voulu donner la voix au peuple, mais il y a ceux qui considèrent que c’est la dictature et que c’est les armes qui doivent parler ; ces manœuvres sont décriées par la population ; la population a trop souffert et ne veut plus de ça, et considère que, derrière le Président Touadera, nous allons assurer la paix : c’est ça ce qui intéresse la population centrafricaine et pas la situation des gens qui ont des choses à voir avec la police ou la justice », note le porte-parole de la présidence, avant d'ajouter que « la République centrafricaine est un État, et tout État a le droit de se défendre et assurer sa sécurité ; tous les Centrafricains ont découvert aujourd’hui qu’il y a une conspiration pour empêcher le bon fonctionnement de notre démocratie. Nous assurons la démocratie, nous assurons la justice, nous assurons la paix. Tout ce qui met en danger la sécurité et la paix du pays doit être condamné et combattu…force reste à la loi. », conclut-il.


- La CPC veut changer le visage de la Centrafrique

Selon Aboubakr Siddik Ali, porte-parole de la CPC, qui est l’union de six principaux groupes armées, FPRC, Antibalaka, UPC, 3R, MPC, (d’autres groupes ont demandé de la rejoindre : FDPC, Seleka rénové, Rj Sayo), joint par téléphone :

« La CPC est le résultat de la négligence vis-à-vis des groupes armés par la communauté internationale et le gouvernement. On est toujours favorable à une concertation pour une sortie de crise », a-t-il déclaré.

Interrogé sur les événements du 13 janvier, Siddik Ali a commenté qu'il s'agit d' « une opération que nous avons lancée juste pour annoncer notre présence dans la ville de Bangui, nous avons étudié notre programme d’opérations comme un film-série, l’attaque du 13 (janvieer) en était le premier épisode, les autres vont venir ».

S’adressant à la communauté internationale, le porte-parole de la CPC a déclaré : « On a un seul mot à leur dire : c’est de respecter l’engagement du peuple centrafricain, et de ne pas se substituer au chef de l’État. Nous avons un problème centrafricano-centrafricain, nous avons un message particulier à la MINUSCA qui est là pour protéger les civils, le peuple, nous n’avons pas de problème avec la population civile, notre problème est Monsieur Touadera, le président sortant et sa politique qui a engendré cette crise. Maintenant nous voulons changer le visage de la République centrafricaine, parce que là où il veut nous emmener ça ne nous plaît pas, ce n’est pas ce que le peuple veut. Il se contente juste de ramener les mercenaires russes, qui sont côte à côte avec une grande institution comme la MINUSCA: c’est aberrant. Ce que Monsieur Mankeur Ndyae est en train de faire n’est pas digne d’une grande institution, Nous sommes en légitime défense vis-à-vis de la MINUSCA : à chaque fois ou nos éléments passent, ils tirent sur nous, et nos éléments sont obligés de répondre […] Il y a une solution qui a été trouvé pour la cohésion sociale et la cohabitation entre les différentes couches sociales. Nous avons trouvé la formule, il n'y a plus de problème anti-balaka ou Seleka, ou chrétien et musulman mais le gouvernement centrafricain ne veut pas que tout s’arrange... Nous avons trouvé une solution mais ils ne veulent pas nous accompagner, ils veulent nous combattre, ils veulent protéger leur pouvoir avec les armes. Nous aussi allons utiliser nos armes pour les faire chasser, notre objectif final est le changement », a expliqué le porte-parole de la CPC.

Concernant la présence russe, Siddik Ali a déclaré que « d’une manière officielle, la Russie dit envoyer des instructeurs, mais sur le terrain ce sont les mercenaires de Wagner, leur politique de magouiller et piller les ressources de la république n’est pas normale. Nous n’avons pas des problèmes avec la Fédération de la Russie, mais avec le groupe Wagner qui bombarde les citoyens centrafricains, et nous allons défendre notre patrie jusqu'au bout », conclut-il.

Selon Martial Pabandji, ancien professeur à l’Université de Bangui et observateur de la vie politique, « Prendre Bangui n’est plus une priorité pour la CPC, même s’ils arrivent à prendre Bangui, ils ne seront pas capables de gouverner, ça sera pire que les Seleka. Aujourd’hui, il y a une forte présence des forces internationales à Bangui, même dans les villes, ils n’ont pas assez de moyens, quand ils prennent les villes, ils ne restent pas longtemps et ne peuvent pas les tenir après une ou deux semaines », observe le professeur.

« Au début ça a été simplement une menace de la coalition CPC contre le régime à Bangui mais avec l’attaque du 13 janvier, on a compris que ces gens ne rigolent pas et qu’ils sont très déterminés parce qu’ils n’ont plus le choix et ne peuvent pas faire marche en arrière. Soit obtenir la concertation du dialogue qui est la voix réelle pour leur permettre l’amnistie ou bien réussir leur tentative et trouver une possibilité de prendre le pouvoir. C’est une première en RCA, les forces armées centrafricaines sont très soutenues par la population, néanmoins beaucoup de gens critiquent le gouvernement parce qu’au lieu d’attaquer, ils sont sur la défensive, parce que les rebelles sont arrivés aux portes de Bangui et c’est un mauvais signe », conclut Pabandji.




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