Au Burundi, la "mort" du conte n’arrange rien à la crise
- Avant, les contes et proverbes constituaient les garde-fous de la société, enseignaient la tolérance, le respect mutuel et décourageaient l’égoïsme et la vengeance (sociologue)

Bujumbura
AA/Bujumbura/Yvan Rukundo
Au Burundi, comme dans la plupart des sociétés africaines traditionnelles, les récits oraux ont joué un rôle fondamental dans la transmission de certaines valeurs parmi lesquelles la tolérance et le respect. Pourtant, ces dernières années, les contes et proverbes tendent à disparaitre, alors même que le pays continue de plonger dans la crise et l’insécurité, déplorent les Anciens.
« Les parents ont souvent eu recours aux contes et aux proverbes pour éduquer les plus jeunes et leur transmettre des valeurs telles que la sagesse, la bravoure, l’honnêteté ou encore la tolérance », raconte Gabriel Bukuru, un octogénaire rencontré par Anadolu à Bujumbura, la capitale.
« Mais aujourd’hui, dit-il, ces traditions sont peu à peu oubliées tandis qu’on assiste à l’émergence d’actes de violences, de vengeance ou encore d’intolérance, devenus un quotidien dans le pays », poursuit ce « nostalgique des temps anciens », pour qui « seul les contes et les proverbes permettaient de discerner le bien du mal ».
Mathias Kana, un notable de Mwaro, au centre du pays, se remémore «quand j’étais plus jeune, on se retrouvait autour du feu familial avant ou après le diner. Mon père faisait office de conteur. Il nous racontait des contes avec une morale à la fin et je me souviens que mes frères et moi étions subjugués et influencés par ces histoires».
Les histoires se ressemblaient, poursuit ce sexagénaire. « Il y avait souvent deux personnes ou deux animaux différents, comme le lièvre et le lion. L’un incarne le bien et l’autre est un menteur. Bien sûr, c’est toujours celui qui est honnête et bon qui le remporte tandis que l’autre est puni, souvent par la mort », dit-il.
Kana se souvient encore de l’un de ses contes préférés : « c’est l’histoire d’un chasseur égoïste qui, un jour, alla chasser dans une très grande forêt appartenant à un génie. Ce dernier avait la réputation d’être généreux envers les gens de bon cœur, mais réservait un mauvais sort aux méchants. Le chasseur ignorait bien évidemment tout cela. Alors qu’il capturait beaucoup de gibiers il tomba nez à nez avec le génie de la forêt qui avait pris l’apparence d’un vieillard. Celui-ci demanda de la viande fraîche parce qu’il était trop vieux pour chasser mais le chasseur refusa de la lui donner...».
Reprenant son souffle notre conteur poursuit : «le vieillard partit tristement. Plus tard, lorsque le chasseur eut faim, il décida de faire cuire de la viande pour manger. A peine eut-il avalé un morceau que la voix du génie retentit dans un arbre proche, lui demandant s’il pouvait venir partager son repas. L’homme refusa à nouveau. Puis il se comporta de la même manière envers toutes les personnes rencontrées dans la forêt. Lorsqu’il eut fini de chasser, il prit le chemin du retour, très chargé. Mais il ne se souvenait plus du chemin qui menait à son village. C’est alors qu’il rencontra à nouveau le vieillard à qui il demanda son chemin. Celui-ci ne voulut pas le lui montrer. et le chasseur se retrouva à tourner en rond dans la forêt, des nuits et des jours, à la recherche d’une sortie sans succès ».
« Cette histoire m’avait particulièrement marquée au point que j'ai toujours tout partagé avec les autres enfants », commente le vieil homme dans un rire.
Mais aujourd’hui, les nouvelles générations n’ont que faire de ces contes, déplore l’homme.
« Pourtant, les contes et proverbes promeuvent la tolérance et n’encouragent pas la vengeance. Ils montrent aux jeunes que la parole du sage reste toujours une référence », dit-il.
« Avant, un enfant ne pouvait même pas couper la queue d’un lézard au risque d’apporter la malédiction sur la maison familiale. Aujourd’hui, on voit des enfants simuler des combats et la mort à chaque coin de rue », regrette-t-il.
D’après Hyppolite Manirakiza, un sociologue approché par Anadolu : « la télévision, le cinéma, les nouvelles technologies de l’information,… ont détrôné les traditionnels canaux d’éducation que sont les contes et les proverbes.», modifiant ostensiblement les modes de vie des Burundais.
« Les parents d’aujourd’hui, n’ont plus le temps de raconter des contes et les jeunes générations ont de nouvelles sources d’inspiration, notamment internet. Ils se laissent facilement séduire par la modernité, reléguant ainsi les traditions aux oubliettes », fait remarquer le sociologue.
Pourtant, « ces contes et proverbes constituaient les garde-fous de la société, enseignaient la tolérance, le respect mutuel et décourageaient l’égoïsme, la vengeance, la fainéantise, etc ».
A l’heure où le pays est plongé dans une crise politico-sécuritaire ayant coûté la vie à des milliers de citoyens, les contes et proverbes ne seraient probablement pas de trop pour adoucir les mœurs, conclut-il.