Politique, Afrique

ANALYE - La présence militaire américaine en Afrique, le revers de la médaille

- Il est possible d’affirmer que la présence des États-Unis en Afrique est le produit d’un processus long et bien planifié.

Prof. Dr. Ahmet Kavas, Şüheda Dinç  | 18.12.2018 - Mıse À Jour : 19.12.2018
ANALYE - La présence militaire américaine en Afrique, le revers de la médaille Photo d'archives

Istanbul
AA - Istanbul - Prof.Dr. Ahmet Kavas

Il y a de nombreuses années, les États-Unis transféraient des ressources destinées à la construction de centres de santé, de puits et d’un certain nombre de structures similaires dans les pays africains tels que le Tchad, le Niger, le Burkina Faso, le Mali et la Mauritanie. Lesdits projets étaient mis en œuvre par des entreprises étrangères au sein desquels se trouvaient notamment des entreprises turques.

À l’époque, personne, y compris les vainqueurs des appels d’offres [pour les constructions], n’avait une idée claire de ce que faisaient les États-Unis.

Dans le dernier quart du XXème siècle, les ambassades américaines qui avaient une taille ordinaire, ont fini par atteindre, au XXIème, une dimension incommensurable.
Même les ambassades des pays qui œuvrent sur le continent depuis de nombreuses années à l’instar de l’Angleterre, de la France, de la Chine, de la Russie ou encore de l’Allemagne, n’ont pu rivaliser avec la taille de ces bâtiments. De la sorte, les ambassades américaines sont devenues tels des "châteaux" américains sur le continent africain.
De nos jours, les ambassades de l’administration de Washington dans la région sont très actives. Dans chacune d’elle, se trouve environ 300 employés composés de citoyens américains, africains et d’autres pays étrangers.
Les États-Unis fournissent énormément d’efforts pour être en mesure d’exister cinquante ans plus tard sur le continent.
Le pays se charge lui-même de mener les travaux susceptibles de faire de l’ombre à leurs intérêts sur le continent africain plutôt que de recourir, selon l’expression d’un diplomate chinois [utilisé au sujet de la Chine], à la méthode de "portage".

- La rivalité grandissante et l’exemple de Djibouti

Jusqu’au XXIème siècle, l’intérêt des États-Unis à l’égard du continent africain ne s’étendait pas directement sur les lieux. L’administration de Washington maintenait cette attitude lorsqu’il était question de base militaire.
En revanche, dans les années 2000, l’importance grandissante du continent africain, l’intérêt manifesté par la Chine et de nombreux autres acteurs à son égard, ainsi que la "menace" contre la domination des États-Unis en Afrique ont joué un rôle important dans l’accroissement de l’intérêt américain à l’égard du continent [qui sous tous ses aspects reste la région la plus intacte du monde].
Quant aux activités militaires des États-Unis à Djibouti, qui jadis était le maillon le plus faible de la corne de l’Afrique, a fini par se placer au premier plan de la lutte menée par les principaux acteurs du système mondial en vue de l’installation des bases militaires.

À Djibouti, où se trouve une base militaire américaine d’environ 5 000 soldats, se trouve également des bases appartenant à la Chine, à l’Italie, à la France, à l’Allemagne, à l’Espagne et à l’Arabie Saoudite.
Une rivalité féroce se manifeste particulièrement entre la Chine et les États-Unis. Or, sur le long terme, cette rivalité ne fera que contribuer à la déstabilisation des affaires intérieures des pays africains et à nuire indirectement à leur souveraineté.
En particulier, les activités militaires et économiques de la Chine en Afrique, au même titre que les activités américaines, représentent une menace et un danger pour le continent.
L’attitude et les activités de la Chine dans le Turkestan Oriental, sont en ce sens l’exemple le plus concret du danger potentiel que constitue la base militaire chinoise et les milliers de militaires implantés à Djibouti par Pékin.
- L’Afrique: "champ de bataille de demain"

Sur les cartes stratégiques reflétant le continent [et tracées après le premier quart du XXIe siècle], les pays du Maghreb situés dans le nord du Sahara, les pays de la zone côtière et d’autres pays s'étendant vers l'Afrique du Sud apparaissent en tant que régions accueillant les bases militaires américaines.

A l’heure actuelle, l'île de l’Ascension, le Burkina Faso, le Burundi, le Botswana, le Cameroun, le Tchad, la République Centrafricaine, la République démocratique du Congo, l'Éthiopie, le Gabon, le Ghana, le Kenya, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Somalie, le Soudan du Sud, les Seychelles, le Sénégal, l'Ouganda et, enfin, la Tunisie sont des pays dans lesquels les Etats-Unis se sont militairement implantés.

Il est possible d’affirmer que la présence des États-Unis en Afrique est le produit d’un processus long et bien planifié. En effet, la présence en Afrique des États-Unis n’est même pas comparable à celle d’autres pays qui disposent d’une base ou encore de troupes miliaires sur le continent.

Certains experts régionaux interprètent la présence américaine en Afrique comme une "restructuration", ce qui évidemment est une interprétation inadéquate. Car, pour parler de restructuration encore faut-il une ancienne existence. D’autant plus, que la présence militaire américaine est une initiative qui n’a pas été tentée par le passé.

Dans ce contexte, à la lumière des informations obtenues par Tom Dispach, l'administration de Washington serait entrée dans une "guerre très spéciale" sur le continent.
Au début du XXIe siècle, les diplomates américains décrivaient l'Afrique comme "le champ de bataille de demain".
Aujourd’hui, à la lumière de la concurrence mondiale, il est très probable que la lutte des acteurs mondiaux, dont les États-Unis et la Chine en particulier, au nom de la domination militaire [et autre] entraîne le continent dans une situation similaire à celle qui a vu le jour à l’issue du Congrès de Berlin en 1884-1885.
A ce stade, la présence de bases militaires américaines en Afrique, tout comme la présence militaire d’autres Etats, préparent le terrain, d’un côté, aux instabilités internes, et de l’autre, aux interventions extérieures.
- AFRICOM: L’orientation militaire américaine vers l'Afrique

Bien que des explications officielles relatives à la diminution formelle de la présence militaire américaine dans les pays étrangers soient formulées par l’administration américaine chaque fois qu’elle se trouve confrontée à une détresse économique, ces explications sont plus interprétées comme suit: « N’ayez crainte, nous n'avons pas l'intention de rester longtemps dans votre pays ».

La création en octobre 2007 du Commandement des États-Unis pour l'Afrique (AFRICOM) a clairement mis en évidence l’orientation américaine vers le continent africain.

Si l’établissement d’un commandement militaire peut être interprété comme un message des Etats-Unis qui affirment « je suis toujours en Afrique», il semblerait sur le long terme, que ces derniers aient également décidé de prendre part dans les rangs des perdants.
L’extension des zones d’influences des divers acteurs du système international [en particulier de la Chine et de la Russie] en plus de la présence d’anciens colonialistes tels que la France et la Grande-Bretagne, étaient du point de vue de Washington, des raisons expliquant la création de l’AFRICOM.
Alors que l’objectif apparent du commandement est d’assurer la stabilité du continent africain et de lutter efficacement contre le terrorisme, AFRICOM visait, en fait, le renforcement de la position politique et militaire des États-Unis tout en instaurant un équilibre entre la domination des autres acteurs présents sur le territoire.

Dans ce cadre, l’AFRICOM, qui compte quatorze bases principales et vingt camps militaires, a atteint une position militaire ambitieuse par rapport à ses concurrents sur le continent.

Avec le temps, les pays africains qui s’éveilleront et qui comprendront l’intention des États impériaux, dont l’objectif est d’attiser l'anarchie sur leurs territoires, infligeront des « cartons rouges » aux États-Unis et aux autres pays européens.

- Augmentation de la domination américaine au Niger

Les États-Unis, qui ont choisi, après l'expérience du Djibouti, le Niger comme nouvelle cible, sont en train d’installer la deuxième plus grande base militaire dans ce pays.
Bien qu'il ne soit pas aussi important que les points stratégiques situés dans la zone côtière, le Niger, au centre du continent africain [et qui à tout moment de l'histoire a figuré sur les points de transit nord-sud et est-ouest] est également indispensable au regard du transport aérien.
Au Niger, où quatre soldats américains ont été tués en décembre 2017, les États-Unis ont mis en place cinq centres de commandement militaire, dont deux bases et trois camps militaires, en particulier à Agadez, Oullam et Arlit.

L'administration de Washington s'intéresse particulièrement à la base aérienne 101 de Niamey, reliée à l’aéroport internationale Diori Hamani.

Dans leurs activités au Niger, tout comme dans le reste du continent, les États-Unis sont en concurrence féroce avec la Chine.
Washington est dans un processus de préparation de lutte -ou plus précisément de combat- contre l'administration de Pékin qui se dresse contre elle, à l’instar d’un mur, ou qui la suit, telle une ombre, dans chaque partie du continent.

Les perdants de cette lutte, ne sont ni les chinois ni les américains, mais plutôt les djiboutiens, les nigériens, les maliens, soit en d’autres termes, les anciens peuples d’Afrique.

- Influence américaine dans l’Ouest africain

L'Afrique de l'Ouest est une région ciblée en priorité par l’ensemble des acteurs [et pas seulement les États-Unis] qui souhaitent étendre leurs zones de domination.

Sans les pays comme le Nigéria et le Cameroun il est assez difficile d’obtenir de la nourriture voire même de respirer dans cette zone du continent. C’est pour cette raison, que les États-Unis qui disposent d’une base aérienne dans la ville centrale de Garou, au nord du Cameroun, sont aussi militairement présents à Maroua, Douala et Salak.
L'administration de Washington a également une base aérienne dans la capitale du Tchad, N’Djamena, mais également une unité militaire au nord, dans la ville désertique de Faya-Largeau.
De même, les États-Unis ont été autorisés à établir leur présence au Gabon sur la côte maritime de l'océan Atlantique.
L'administration américaine qui dispose d’une force militaire dans la capitale du Mali, Bamako, dans la capitale du Sénégal, Dakar, et qui dispose même d’une certaine force militaire au Ghana, n’a pour le moment pas intégré les régions du Sud dont l'Angola, le Rwanda, le Burundi, la République démocratique du Congo, et la République du Congo, la Zambie, le Zimbabwe, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, le Lesotho, le Swaziland et l'Afrique du Sud.
Washington n'a réussi à mettre en place qu'un certain niveau d'interaction au Botswana et en Ouganda.

- Les drones, une présence militaire américaine

L'armée américaine poursuit ses efforts en vue d’être efficace sur l’ensemble du continent.
Le Somalie, qui depuis 1991 s’est transformé en un « bain de sang », est maintenant un pays systématiquement surveillé par les États-Unis grâce aux drones.

Les drones qui survolent Baidoa, Bosaaso, Mogadiscio, Berbera, Kismayo et Baledogle, sont sur le point d’extraire la topographie complète du Somali considéré comme le pays le plus stratégique de la corne de l’Afrique.

Cela signifie que les États-Unis établiront, d’un côté, une tutelle dans ce pays sous prétexte de lutte contre l’organisation terroriste, as-Shabab, et, d’un autre côté, que l’avenir du pays, ruiné, sera placé sous pression.

De même, le Kenya et le Mali sont des pays négativement affectés par la lutte de domination des acteurs internationaux.

En effet, le Kenya et le Mali, qui devaient figurer parmi les premiers pays africains ou la démocratie serait mise en place [dans les années 70], sont devenus la proie de l'instabilité et de la lutte contre le terrorisme.

Au Kenya, les Etats-Unis disposent de quatre bases militaires. L’une d’entre elle se situe à Mombasa, l’une des plus importantes villes portuaires du pays, tandis que les autres sont sur l'île de Buffalo, à Lakipia et dans la ville de Wajir.
Alors que le nord de la Méditerranée était la scène de massacre à l’issue des deux premières guerres mondiales [et bien avant], cette tragédie humaine s'est déplacée, avec le colonialisme, vers les rives méridionales de la Méditerranée.

Les activités des États-Unis dans cette région étaient, à l’instar de celles d’Israël, une grande énigme. Elles engendraient néanmoins des troubles dans la région au lieu d’assurer la paix des peuples.

Après Kadhafi, les années ont apporté à la Libye le sang, les larmes et la brutalité. Presque personne n’est au courant des quatre structures militaires que l'administration de Washington a mis en place dans le pays. De plus, aucune explication n’a été faite par le Pentagone.

Quant à la Tunisie, l'administration de Washington exerce les contrôles indispensables à ses intérêts grâce aux drones installés dans la région de Sidi Ahmed.

- A qui profitent les groupes terroristes?

La position des États-Unis en Afrique pourrait être le précurseur d'un processus abondant en troubles.

La mise en œuvre par Washington [qui a établi sa présence sur le continent à travers des effectifs et des ressources très limitées dans le but d'interagir dans une zone aussi large que possible] d'une politique de sécurité axée sur la neutralisation des organisations terroristes, au détriment des revendications formulées par les peuples locaux, pourrait entraîner la fin prématurée de ses plans.

Dans ce contexte, les États-Unis visent à lutter contre le danger que constitue l’organisation terroriste, es-Shabab, grâce à ses bases militaires implantées dans la corne de l'Afrique de l'est, dont au Somalie, à Djibouti et au Kenya.

En outre, l'administration de Washington prévoit la neutralisation, à partir de la Libye, de l’Al Qaïda et du Daech maghrébin présent en Afrique du Nord ainsi que la neutralisation du Boko Haram et d'autres organisations terroristes similaires, influents dans le lac du Tchad et jusqu’à l’Océan Atlantique, et ce, par le biais des bases militaires et des camps situés au Burkina Faso, au Tchad, au Cameroun, au Mali et au Niger.

En réalité, l’implication des acteurs mondiaux, dont celle des États-Unis, au sein du continent africain a gagné de la légitimité grâce à l’existence des organisations terroristes africaines.
Dans les années 1990, le nom du Boko Haram n’existait presque plus parmi les groupes terroristes africains. Mais le Boko Haram s’est progressivement transformé en un nid de terroriste en perdant complètement le sens qu’il avait acquis au sein de la société nigériane au cours de longues années.

Les tribunaux islamiques en Somalie ont été divisés en deux. Dans l’une des deux parties, restructurée à l’image des talibans en Afghanistan, l’organisation as-Shabab a été créé puis développée.

L’Al Qaïda et le Daech maghrébin sont aussi des groupes terroristes « commercialisés » dans les années 1990 et au début des années 2000.

Lorsque ces groupes terroristes n'étaient pas vraiment à l'ordre du jour, l'intérêt des États-Unis pour le continent africain était très limité.
Or, une fois que l’intérêt des États-Unis à l’égard de l’Afrique s’est accru, ces nombreuses organisations terroristes ont "poussé" sur le continent et se sont multipliées à l’image des champignons.

Les États-Unis, connus pour interagir avec des organisations terroristes tels que FETO et le PYD qu’ils soutiennent indirectement de différentes manières, accordent de la légitimité à sa présence -plus particulièrement à son existence militaire- grâce à ces organisations terroristes.

Sur le moyen et le long terme, les activités militaires américaines dans la région sont un danger pour la sécurité, la stabilité et la souveraineté des États en Afrique.

[Auteur d’écrits dans le domaine des relations Empire Ottoman-Afrique, le professeur et docteur, Ahmet Kavas, autrefois conseiller au cabinet du président et ambassadeur de la Turquie au Tchad, est actuellement doyen de le Faculté des sciences politiques de l'Université Medeniyet à Istanbul (Nord ouest). Il est également le directeur fondateur de l’Association des Chercheurs d’Afrique (AFAM)]
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