Algérie : le Raï, des cabarets de l’ouest du pays à la reconnaissance mondiale
-Chant rural de l’Oranie, dans l’ouest algérien, le Raï s’est internationalisé depuis la fin des années 1990. Il est inscrit, depuis le 1er décembre dernier sur la liste du patrimoine de l’humanité

Alger
AA/Alger/Aksil Ouali
Ses précurseurs ne l’auraient certainement pas cru. Et pourtant, il s’agit bel et bien d’une réalité. Leur genre musical, ou plutôt mouvement artistique, est sorti des cabarets fades et sombres de Sidi Bel Abbes, de Relizane, d’Oran, de Mascara et de tout l'Ouest algérien pour s’internationaliser, avant d’obtenir, il y a quelques jours, la reconnaissance suprême. Il s’agit du Raï, qui entre au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une labellisation amplement méritée, qui a été officialisée le 1er décembre dernier.
Que signifie ce mot « Raï » ? D’où vient cette musique ? Comment s’est-elle envolée pour prendre place sur le zénith des genres musicaux les plus populaires au monde ? C’est un roman d’histoire. Les spécialistes, moins nombreux, qui s’intéressent à l’étude de cet épiphénomène peinent à comprendre le mystère de ce genre musical, jadis associé à la « dépravation » et à la «honte (H’chouma en arabe algérien)» au sein de la société de l’Ouest algérien, avant d’être interdit, de longues années durant, d'être cité dans les médias audiovisuel du pays.
Mais il a survécu grâce à des sacrifices d'hommes et de femmes qui ont entretenu sa flamme. Un sacrifice qui n'a pas été vain. Le Raï est inscrit sur la liste de l’UNESCO. Une consécration !
-Une musique rurale
Avant d’arriver à cette notoriété, le Raï a traversé plusieurs étapes. « Au commencement, cette musique était rurale. Elle n’avait pas de place dans les milieux citadins. C’était un chant populaire très réputé chez les paysans des régions de Chlef, de Relizane, de Tiaret, de Mascara, d’Ain Temouchent et d’Oran. C’est-à-dire dans la majeure partie de l’ouest algérien. Ce chant associé à quelques instruments traditionnels est chanté lors des mariages et diverses fêtes locales», raconte à AA Sbaa Boumediene, journaliste qui prépare un ouvrage sur le Raï qui sera édité durant l’année 2023.
L’apparition de ce genre remonte, selon lui, au début du XXe siècle. « Mais à l’époque, le chant n’a pas pris ce nom de ‘’Raï’’. Ce mot a plusieurs sens dans la darija (le parler algérien). Il signifie à la fois ‘’façon de voir’’, ‘’opinion’’, ‘’point de vue’’, ‘’conseil’’, ‘’pensée’’, ‘’jugement’’. Il a pris ce nom à Oran où le mot ‘’Raï’’ est une interjection ‘’Ya raï’’ (Va, dis !) », nous explique-t-il.
Selon lui, les pionniers de cette musique sont les cheikhs (maîtres), dont Abdelkader El Khaldi (originaire de Mascara) qui a consacré plusieurs chansons à sa dulcinée Bakhta, une jeune fille de Tiaret. « Mais le père du Raï est incontestablement Blaoui Houari », dit-il. La mère du Raï, ajoute-t-il, est « Cheikha Remitti (La chanteuse réclamait plus de boisson à chaque fois que son verre de vin se vide en lançant : remettez) ».
« C’est une femme particulière. Mariée de force à son cousin alors qu’il n’avait que 17 ans, elle fuit le domicile conjugal à Sidi Belabbas pour s’installer à Saïda. Elle a chanté l’amour sans tabou, mais aussi la révolution », indique-t-il.
- Une forme de rébellions
Pour les femmes, le Raï permettait de se rebeller sur la société et ses nombreuses contraintes. « Les thèmes choisis par ces femmes, se produisant notamment dans les cabarets et les maisons closes étaient très osés : sexe, débauche, alcool…etc», rappelle-t-il. L’ascension du Raï s’est faite plutôt dans la clandestinité.
Mohamed Balhi, sociologue de formation et journaliste, était l’un des premiers à s’intéresser à ce chant populaire et, notamment, à sa percée durant les années 1980. « Le Raï était écouté aussi chez les jeunes appelés du service militaire. Mais dans les années 1980, sur le plan géopolitique il s’est passé beaucoup de choses. Il y avait d’un côté la montée de l’islamisme politique. Le Rai était alors une expression de la société opposée à ce nouveau projet inspiré par la révolution iranienne », explique-il lors d’un passage sur le plateau de la télévision algérienne.
Interdit aussi dans les médias audiovisuels publics algériens, durant les 20 premières années de l’indépendance, le Raï s’impose dès 1985. « Auparavant, il y avait le culturellement correct. La musique Raï était alors censurée dans les médias algériens. Mais en 1985, il y avait le festival du Raï. A cette occasion, la radio algérienne a diffusé pour la première fois une chanson Raï de Cheb Khaled », indique-t-il.
Avec l’arrivée d’une nouvelle génération de chanteurs, à l’image de Cheb Khaled, Mami, cheba Fadela, la chanson Raï, rappelle-t-il, prend une nouvelle dimension : la modernité et l’universalité. Ayant envahi l’Algérie au début des années 1990 avec l’arrivée du Raï romantique développé particulièrement par cheb (jeune) Hasni, ce genre musical devient international suite au festival de Bobigny (France) en 1998.
« Il y avait pratiquement tous les chanteurs du Raï. Après cet événement, les maisons d’édition en France se sont intéressées à ces jeunes et à cette musique. Il y avait aussi un homme qui a joué un très grand rôle dans l’internationalisation du Raï, c’est Jack Lang, ancien ministre français de la culture qui a encouragé les maisons d’édition à prendre en charge ces chanteurs », souligne Sbaa Boumediene.
Des maisons d’édition algériennes, à l’image de Disco Maghreb (relancée suite à l’album de Dj Snake en 2022), rappelle pour sa part, Mohamed Balhi, ont grandement contribué à la diffusion et au développement de ce genre musical.
-Une dizaine d’années de procédure
L’inscription du Raï sur la liste du patrimoine de l’humanité intervient après des années de procédures. L’Algérie, selon Slimane Hachi, anthropologue faisant partie de l’équipe qui a préparé le dossier soumis à l’UNESCO, a entamé ces démarches depuis 2013. Il se félicite de cet aboutissement.
«Le raï est algérien et toute son histoire le démontre, et aucun pays ne peut nous contester sa paternité. Son inscription a répondu à des critères et des exigences très précis, et ce sont des dizaines d’experts qui ont contribué à l’élaboration du dossier fourni par l’Algérie», souligne-t-il, lors d’une conférence de presse animée, à Alger, il y a quelques jours.
Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.