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Algérie / Colonisation française : Un demi-siècle après, les opérations de l'ombre refont surface

De 1960 à 1966, la France a effectué des essais nucléaires dans le sud algérien, affectant gravement l'environnement et les habitants du Sud.

Mohamed Hedi Abidellaoui  | 24.02.2017 - Mıse À Jour : 24.02.2017
Algérie / Colonisation française : Un demi-siècle après, les opérations de l'ombre refont surface

Alger

AA/ Alger/ Khedidja Baba Ahmed

La demande de reconnaissance des effets des essais nucléaires français pratiqués de 1960 à 1966 en Algérie et leurs incidences sur les populations du sud algérien et sur l’environnement n’a cessé d’être exprimée, notamment par les ONG et la société civile, aux autorités françaises. Ce sujet constitue un des dossiers en suspend de la relation bilatérale algéro- française.

La mise en place en février 2016 d’un groupe de travail mixte pour avancer dans le traitement du dossier n’a pas été suivie d’effets. Les hésitations, tergiversations et lenteurs observées dans le traitement de ce dossier, ont amené la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme à élever le ton et mieux encore : Elle va porter plainte contre la France devant la cour de justice internationale de la Haie « pour « crime contre l’Humanité ». Le gouvernement algérien qui n’a revendiqué cette reconnaissance que du bout de la langue, très timidement, se verra-t-il contraint de faire entendre un peu plus sa voix sur ce dossier d’autant qu’un des candidats à la présidence française-Macron en l’occurrence- en qualifiant la colonisation de l’Algérie par la France, de crime contre l’Humanité, a engagé le débat sur ce sujet jusqu’alors tabou en France.

C’est un véritable dossier noir, tenu pendant longtemps par la France dans le secret-défense, que ces essais nucléaires français dans le Sahara algérien qui ont commencé au plus fort de la guerre d’indépendance algérienne. Le premier site d’essais nucléaires français au Sahara se situait à côté de Reggane, dans le Tanezrouft. C’est là, qu’ont eu lieu les quatre premiers tirs atmosphériques du 13 février 1960 au 25 avril 1961 engendrant, selon plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et des scientifiques, des retombées radioactives jusqu’à plus de 3000 km du site et touchant ainsi les villes de Ouagadougou, Bamako, Abidjan, Dakar, Khartoum…Face à l’ampleur des retombées, les essais atmosphériques ont été abandonnées pour procéder à des essais souterrains, en galerie.

Le choix a alors été porté sur une montagne à proximité d’In Ecker, à 150 km au Nord de Tamanrasset. C’est là d’ailleurs que fut installé le Centre d’expérimentation militaires des oasis (CEMO) doté d’un effectif de 2000 personnes et entouré d’une population de 2000 habitants, nomades de la région non compris. Les six premiers tirs ont eu lieu durant l’occupation coloniale. Lors des accords d’Evian du 19 mars 1962, mettant fin à la guerre d’Algérie, la partie algérienne a accepté, dans des accords secrets annexés au document de base, que la France puise utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq ans.

Forte de ces accords dont peu d’algériens avaient connaissance, la France a procédé à 11 autres essais de 1962 ( date de l’indépendance) à 1966. Ce n’est qu’en 1967 que ces sites ont été rendus aux autorités algériennes. C’est à partir de cette date que les langues commencent à se délier et les vétérans des essais nucléaires organisés au sein de l’association nationale française des vétérans victimes d’essais nucléaires (ANVVEN) commencent à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Les algériens seuls ou accompagnés d’associations (telles que celle du 13 février créée à Reggane) ou d’ONG se mettent également à lever la chape de plomb mise sur les conséquences désastreuses de ces tirs sur les populations du Sahara et sur l’environnement.


* Désastre sanitaire et environnemental


Sous la pression d’élus et d’ONG, le Sénat français a réalisé un rapport en février 2002 sur « les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 ; Dans ce rapport il est suggéré que « c’est volontairement que des populations de pays colonisés ont été exposées à des radiations et d’immenses territoires sont désormais contaminés durablement ».

Par ailleurs, le démantèlement de ces sites n’a pas été correctement effectué entraînant des risques permanents liés à toute vie dans ces zones. Du côté des associations algériennes et notamment de la ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH), il est demandé que toute la lumière soit faite sur les essais nucléaires français en Algérie. Une des conséquences de ces essais est « les effets néfastes qui persisteront à nuire et se transmettent de génération en génération durant les années à venir en Algérie ».

C’est aussi la LADDH qui a dénoncé « l’inconscience de la puissance française qui l’a poussée à utiliser comme cobayes des milliers d’Algériens qui étaient sur place : des nomades, prisonniers et même quelques recrues de l’armée française, pour mesurer la puissance de ces essais expériences et en étudier les effets destructeurs ».

Les effets des essais nucléaires à Reggane et Tamanrasset continuent d’être enregistrés notamment avec des pathologies propres aux radiations. L’exposition aux radiations ionisantes a coûté la vie à de très nombreuses personnes et provoqué plus de 20 types de cancer dépassant largement la moyenne des atteintes dans d’autres régions notamment les cancers leucémiques. Des malformations ont été également enregistrées atteignant adultes, enfants et même les fœtus. En outre, aucune cartographie n’a été laissée par les pouvoirs français sur la configuration précise des sites. De plus, certains équipements légers ont été abandonnés sur place et ont été récupérés par les habitants, ignorant que ce matériel contaminé était dangereux pour leur santé. En tout état de cause, la radioactivité et la pollution ont ravagé tout l’écosystème de la région. Alors que les terres étaient très fertiles, aujourd’hui aucune végétation n’y pousse.


* Un décret d'indemnisation inopérant


Il y a bien eu le 5 janvier 2010, sous la forte pression des associations et ONG françaises et algériennes, une loi d’indemnisation des victimes irradiées par les essais nucléaires français. Cette loi, appelée loi Morin du nom du ministre français de la Défense de l’époque s’est avérée très peu opérante pour les victimes algériennes. La qualité de victime ne peut, en vertu de ce texte, être donnée qu’aux personnes pouvant attester d’une résidence ou de séjour dans les centres militaires ou dans la périphérie immédiate. Et que fait-on des populations nomades dont la caractéristique est la mobilité dans la région?

Autre limite de la loi, cette résidence sur le lieu doit être actée du début à la fin des essais. Sont exclus donc tous ceux qui ont été contaminés après les essais, les effets de ces derniers pouvant intervenir bien longtemps après. La loi Morin n’a pas également inclu dans ses dispositions les indemnités liées aux désastres écologiques provoqués par les explosions.

C’est pour dénoncer ces limites que la LADDH se bat depuis des années. Elle le fait aussi pour dénoncer deux autres lois : celle du 23 février 2005 glorifiant les bienfaits de la colonisation et la deuxième, du 15 juillet 2008 relative aux archives et qui stipule que ne peuvent être communiquées les archives en rapport avec les armes nucléaires, biologiques ou chimiques.

Aujourd’hui, la LADDH , élève le ton et donne aux essais nucléaires opérés par le régime colonial français, leur signification la plus appropriée : un crime contre l’Humanité. Les arguments ne manquent pas pour convaincre à La HAYE. Que cette plainte de la LADDH soit examinée ou pas par les juges internationaux, sa diffusion large qu’envisage cette ligue apportera sans aucun doute un éclairage au débat qui commence à prendre forme aujourd’hui en France sur la criminalisation du système colonial.

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