Afrique/Richesses naturelles : Le réveil des peuples bousculera-t-il la donne ? (Analyse)
Du Niger à la Sierra Leone en passant par Madagascar, des Africains prennent les armes pour lutter contre le bradage de leurs ressourecs naturelles et exigent une distribution équitable de la richesse.

Tunis
AA/ Tunis/ Mohamed Abdellaoui
Comment interpréter l’agissement de ces Africains qui prennent les armes pour défendre des richesses et ressources naturelles inhérentes à leur souveraineté ? Les gouvernements nationaux ont-ils échoué à résister à la convoitise des grandes puissances, poussant, par ricochet, les populations à avoir voix au chapitre ?
Ces interrogations sauteraient à l’esprit de tout fin observateur d’une actualité africaine embrasée, sur tous les plans.
Anadolu a approché un géopoliticien de renom pour décortiquer ces évolutions, du point de vue des relations internationales.
Au Niger, pays du sahel, le Mouvement pour la Justice et la réhabilitation du Niger (MJRN), créé en 2008, a annoncé en septembre avoir pris les armes contre une firme pétrolière chinoise active dans le pays.
Dans une interview avec un média français, le Vice-président de ce mouvement implanté dans le Kawar et le Manga, deux régions qui s’étendent de la Libye au lac Tchad, Adam Tcheke Koudigan, a affirmé : « Puisque nous sommes livrés en pâture aux Chinois de la CNPC par nos propres autorités, il est de notre devoir suprême de protéger notre environnement de vie en priorité pour notre survie humaine et pour nos animaux, de restaurer une justice et une redistribution équitables de l’exploitation du sous-sol de la région ».
A Madagascar, du côté de l’Océan indien, le constat n’est pas moins alarmant. La compagnie Jiuxing Mines, située à l’ouest d’Antananarive, vient de suspendre ses activités de gisement aurifère, étant confrontée à plusieurs manifestations d’hostilité et à des menaces de recours aux armes par la population, d’après des rapports de la presse locale et africaine.
Les mécontents disent que la société chinoise n’a pas honoré ses engagements, notamment la construction de routes et un nouveau centre de santé en plus de la réhabilitation de celui qui existe déjà. S’y ajoute l’électrification du village.
Le réveil des peuples est également perceptible en Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest. Dans ce pays un bras de fer est engagé entre le gouvernement et des paysans qui luttent contre l’accaparement de leurs terres par des multinationales, selon le site économique equatimes.org (portail international d’actualité et d’opinion sur le travail, la politique, l’économie, les droits humains et l’environnement).
Les populations de Malen, dans le Sud-ouest de la Sierra Leone, manifestent ces derniers temps contre les promesses-non tenues par la multinationale Socfin.
Socfin, dont 38% du capital est contrôlé par la société française Bolloré, a obtenu un bail d’exploitation de 50 ans sur 6.500 hectares de terres agricoles de qualité pour y installer des plantations de caoutchouc et de palmiers à huile. Mais elle a omis de verser la totalité des indemnités aux propriétaires des terres en question. Certains d’entre eux ont affirmé avoir reçu une somme dérisoire, alors que d’autres ont même affirmé que leur terre avait été vendue à la Socfin alors qu’ils avaient personnellement signifié leur refus en ce sens.
Ces Africains révoltés contre le « bradage » de leurs richesses nationale dénoncent des « multinationales esclavagistes » et s’accordent sur un fait : leur exclusion du processus de négociation. Ils admettent, de là, que « ce qui a été enlevé par la force, ne peut-être récupéré que par la force ».
Analysant cet état de fait, le professeur spécialiste de géopolitique et directeur du Centre de géopolitique de l’Université de Nancy, Mwayila Tshiyembe, note qu’il faut d’abord distinguer entre peuples et Etats, afin d’en mesurer l’importance de l’enjeu.
Pour lui, dès lors que les peuples se révoltent contre leurs gouvernants revendiquant une meilleure gestion et une distribution équitable des richesses dont regorgent leurs territoires, des problèmes de gouvernance se posent.
« Les Etats sont appelés à bien gérer les ressources des pays et des peuples. Ils sont donc sensés drainer des investissements et des capitaux étrangers afin de créer la richesse. Mais du moment qu’ils procèdent au bradage de ces ressources, à bon ou à mauvais escient, ils sont confrontés à des mouvements sociaux voire à une désobéissance civile, dans un monde moderne très connecté », dit le géopoliticien.
Pour le professeur des relations internationales, les contrats signés entre les gouvernements et les firmes internationales à huis-clos prêtent à équivoque et soulèvent doutes et méfiances.
«Quand on brade des richesses naturelles fort utiles au développement et qu’on procède à la répression des populations affamées et des mécontents pour maîtriser les mouvements sociaux, c’est là que la bât blesse. Il faut dire que la pauvreté ne se partage pas », se désole l’analyste.
De ce point de vue, il fait observer, qu’un affamé n’a rien à craindre à s’opposer à des gouvernants dont il a la certitude qu’ils sont à l’origine de sa misère. D’où la nécessité pour les Etats africains de revoir leurs politiques et modèles de gouvernance, au moment où les grandes puissances se bousculent à la porte de cette Afrique qu’est l’avenir de l’économie mondiale.
« Avec l’effondrement du Mur de Berlin dans les années 60, les grandes puissances se sont tournées vers l’Europe de l’Est. Mais, elles se sont rendues compte que cette région du monde ne fournissait rien. Aujourd’hui la concurrence entre des puissances comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, L’inde et le Brésil entre autres est à son apogée et se joue en Afrique. Il incombe aux gouvernants africains d’en profiter pour améliorer la condition de leurs peuples. Autrement, ils peineront à convaincre leurs gouvernés, de plus en plus branchés sur ce qui se passe de l’autre côté de la planète », extrapole le géopoliticien.