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Afrique du Nord : stabilité relative et vulnérabilités persistantes à l’horizon 2026

- Trois facteurs clés pourraient redessiner l’Afrique du Nord : l’avenir institutionnel de la Libye, les retombées sécuritaires du Sahel et du Soudan, et la coopération régionale en matière de sécurité

Nebahat Tanriverdi Yasar  | 24.12.2025 - Mıse À Jour : 24.12.2025
Afrique du Nord : stabilité relative et vulnérabilités persistantes à l’horizon 2026

Istanbul

AA / Istanbul / Nebahat Tanriverdi Yasar

À l’approche de la fin de l’année 2025, l’Afrique du Nord apparaît plus stable, mais aussi plus contrainte qu’il y a une décennie. Une sécurité relative a été largement rétablie, cependant les vulnérabilités liées à la légitimité politique, à l’inclusion économique et à la soutenabilité budgétaire se sont accentuées. L’état des lieux régional peut ainsi être qualifié de stagnation prudente et d’instabilité maîtrisée, dans laquelle les gouvernements privilégient le contrôle des frontières, les arrangements entre élites et le recours aux financements extérieurs.

Les dynamiques économiques reflètent cette ambivalence. L’endettement public élevé, le chômage persistant des jeunes et les effets différés des chocs mondiaux sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie continuent de peser sur les capacités des États de la région. Les gouvernements évoluent dans un couloir politique étroit, tentant de concilier stabilisation macroéconomique et coûts politiques des réformes structurelles.

L’Égypte illustre clairement ce dilemme. Les réformes liées au programme du Fonds monétaire international (FMI) ont contribué à l’amélioration des réserves de change, à une plus grande stabilité monétaire et à la maîtrise de l’inflation. Toutefois, les mesures d’austérité, la réduction des subventions et le recul du secteur public ont intensifié les pressions sociales et accru les tensions pesant sur l’ordre économique post-2013.

La Tunisie présente une trajectoire comparable : le ralentissement de l’inflation et une croissance limitée ont permis une stabilisation relative, sans pour autant résoudre les problèmes structurels de chômage, de subventions ni les déséquilibres régionaux persistants.

- Un vortex sécuritaire Libye–Sahel–Soudan

L’architecture sécuritaire de l’Afrique du Nord est de plus en plus façonnée par trois arcs d’instabilité imbriqués reliant la Libye, le Sahel et le Soudan. Malgré un cessez-le-feu nominal, la Libye demeure fragmentée entre groupes armés rivaux et centres politiques concurrents. Ce vide institutionnel prolongé s’est enraciné, entraînant des effets de débordement directs sur la Tunisie, l’Égypte et l’ensemble du Maghreb.

Plus au sud, la forte recrudescence du terrorisme, portée par des groupes tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), affecte de plus en plus l’Afrique du Nord à travers la militarisation des frontières, les politiques migratoires et les tensions diplomatiques régionales. Comme l’a souligné à plusieurs reprises l’ONU tout au long de 2025, cette dynamique a transformé les frontières méridionales, autrefois périphériques, en fronts sécuritaires stratégiques pour les États nord-africains.

L’Algérie, longtemps médiatrice et acteur stabilisateur au Sahel, fait désormais face à une exposition accrue aux risques de débordement. Le différend algéro-malien, déclenché après un incident impliquant un drone en mars dernier, a illustré la rapidité avec laquelle les priorités antiterroristes, les revendications de souveraineté et les rivalités d’influence régionale peuvent entrer en collision.

L’interconnexion Libye–Soudan a, quant à elle, renforcé ce vortex sécuritaire. La souveraineté fragmentée de la Libye, notamment dans l’est et le sud du pays, a offert aux acteurs armés soudanais une profondeur logistique, des canaux financiers et des bases arrière. Parallèlement, la guerre civile au Soudan a injecté de nouveaux flux d’armes, de combattants et de populations déplacées dans un environnement libyen déjà fragile. Les réseaux tribaux et commerciaux le long de l’axe Darfour–Libye se sont transformés en corridors militarisés reliant des économies de guerre. En 2025, cette dynamique auto-entretenue constitue désormais une caractéristique structurelle de l’ordre sécuritaire nord-africain.

Dans ce contexte, les réponses régionales privilégient de plus en plus le confinement plutôt que la résolution des crises. La militarisation des frontières, la coopération en matière de renseignement et la gestion des migrations soutenue par l’Union européenne sont devenues des outils centraux, permettant de contenir les risques immédiats tout en laissant largement intactes les causes profondes de l’instabilité.

- Tournants possibles après 2025

Dans les mois à venir, trois tournants critiques pourraient redessiner la trajectoire de l’Afrique du Nord.

Le premier concerne l’avenir institutionnel de la Libye. La tenue d’élections à court terme reste improbable, tandis que la contestation institutionnelle se poursuit. Néanmoins, l’accord de novembre 2025 signé entre des représentants de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État au sujet de la Banque centrale montre que des compromis technocratiques demeurent possibles. Des avancées vers un règlement durable en matière de gouvernance fiscale — notamment sur la gestion des revenus pétroliers, l’autorité de la Banque centrale et le contrôle budgétaire — réduiraient le risque d’escalade. À l’inverse, l’échec d’un tel consensus alimenterait davantage la course aux armements en Libye, comme l’illustre le projet d’accord d’armement entre le Pakistan et l’ANL attendu fin 2025.

Le deuxième seuil concerne la capacité des États nord-africains à contenir les dynamiques déstabilisatrices en provenance du Sahel et du Soudan. Une intensification des attaques transfrontalières, des réseaux de trafic et des flux migratoires irréguliers pourrait conduire à des politiques sécuritaires plus restrictives et à une accentuation de la sécurisation.

Le troisième tournant porte sur les perspectives de coopération sécuritaire régionale. Des perceptions de menaces partagées pourraient favoriser une coordination limitée mais fonctionnelle, notamment entre l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie, tout en renforçant parallèlement la militarisation et la sécurisation régionales.

Ces évolutions seront façonnées par trois facteurs structurels. Le premier concerne la transformation géoéconomique de la région. Les capitaux du Golfe, les investissements turcs, les priorités européennes en matière de frontières et d’énergie, ainsi que l’activisme stratégique croissant de puissances intermédiaires redéfinissent l’économie politique de l’Afrique du Nord.

Cette dynamique offre un potentiel pour le développement de pôles d’énergie verte et de bases de production alternatives. La question clé demeure de savoir si ces évolutions renforceront des modèles de gouvernance centrés sur la sécurité ou si elles se traduiront par des investissements s’attaquant aux causes structurelles de l’instabilité, telles que le chômage, la faiblesse institutionnelle et les inégalités régionales.

Le deuxième facteur concerne la consolidation éventuelle des économies de guerre transfrontalières issues du Sahel et du Soudan, s’étendant au sud de la Libye. Si la trajectoire actuelle se maintient, ces réseaux continueront de générer des revenus durables à travers la contrebande, le mercenariat et l’économie migratoire, renforçant la fragmentation et cantonnant les réponses politiques à une gestion à court terme des flux.

Enfin, les dynamiques méditerranéennes et nord-africaines sont devenues analytiquement indissociables, formant une véritable zone de transmission : les insécurités nées au Sahel, la volatilité politique en Libye, les chocs sur les prix de l’énergie et les pressions migratoires se projettent vers le nord, tandis que les réponses politiques et les dynamiques de conflit en Méditerranée orientale se répercutent vers le sud.

- La stratégie régionale de la Türkiye

À l’approche de 2026, la posture régionale de la Türkiye se caractérise par une stratégie d’engagement différenciée, avec la Libye comme ancrage stratégique et le reste du Maghreb comme espace d’engagement économique et diplomatique.

La Libye demeure le pays où Ankara est le plus profondément enraciné, à travers une coopération militaire durable, l’institutionnalisation du secteur de la défense ainsi que des liens maritimes et énergétiques, faisant de ce pays un pilier central de la stratégie turque en Méditerranée orientale.

À l’avenir, les priorités de la Türkiye en Libye devraient se concentrer sur la réduction des risques sécuritaires et politiques, tout en reconfigurant sa présence dans une logique d’engagement post-conflit. En dehors de la Libye, Ankara a délibérément évité une forte sécurisation. Elle se positionne comme partenaire industriel et commercial en Algérie, au Maroc et en Égypte, avec une empreinte croissante dans le commerce et la production, tout en maintenant un engagement diplomatique et économique en Tunisie sans conditionnalité financière lourde.

L’influence de la Türkiye en Afrique du Nord à l’horizon 2026 dépendra ainsi de sa capacité à mobiliser sa flexibilité diplomatique et sa profondeur économique, tout en gérant les risques inhérents à l’équilibre fragile de la Libye.

*Traduit de l'anglais par Wafae El Baghouani

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