Afrique/Accord de libre-échange: Quels enjeux économiques et politiques ?
- Le projet de la zone de libre-échange devrait aboutir, d'ici 2028, à la création d'un marché commun et d'une union monétaire en Afrique.

Chad
AA / N'Djamena / Mahamat Ramadane
Une quarantaine de pays sur les 55 que compte l'Union Africaine ont signé, mercredi dernier, à Kigali, la capitale rwandaise, un accord pour l'instauration d'une zone de libre-échange continentale africaine, tel que prévu dans l'agenda 2063 de l'UA.
Cet accord a été signé par plusieurs chefs d’Etat et ministres des Affaires étrangères lors d’un sommet extraordinaire de l’UA ouvert deux jours plus tôt dans la même ville.
Les textes signés entreront en vigueur dès janvier 2019, si au moins 22 des 44 pays signataires arrivent à ratifier l’accord.
Le projet de la zone de libre-échange, devrait aboutir d'ici 2028 à la création d'un marché commun et d'une union monétaire en Afrique, dont les échanges commerciaux se font, actuellement, à hauteurs de 80 % avec des pays non africains.
D’après la présidence de la commission de l’Union Africaine, la zone de libre-échange du continent africain vise à créer un marché continental unique pour les marchandises et les services et à établir la libre circulation des hommes d'affaires et des investissements, ce qui renferme des enjeux majeurs de divers ordres.
- Enjeu économique et commercial
Selon le Ministre tchadien de l’Économie et de la planification du développement, Dr Issa Doubragne, la zone de libre-échange continentale devrait créer un marché africain d'une population potentielle consommatrice des biens et des services, estimée à environ 1,2 milliard d'habitants et d'un PIB de 2.500 milliards de dollars.
«L’instauration d’une zone de libre-échange n’est pas synonyme d’effacement des frontières entre les pays membres mais c’est juste la création d’un espace commercial commun, afin de mieux défendre les intérêts commerciaux du continent. Toutefois l’élimination progressive des droits de douane entre les pays africains permettra d'augmenter de 60 % d'ici à 2022 le niveau de commerce intra-africain», a indiqué le ministre à Anadolu.
Le Ministre tchadien de l’Économie, précise que les produits exportés, actuellement, par la plupart des pays africains se résument essentiellement à des matières premières minérales ou agropastorales.
Leurs principaux clients sont les grandes puissances, qui usent souvent des rapports de force dans les échanges commerciaux, en leur faveur, bien entendu.
«D’après des récentes statistiques de l’UA, seulement 16 % du commerce des pays africains s'effectuent avec d'autres pays du continent», a déclaré Dr Issa Boubragne.
«Avec la zone de libre-échange continentale, nous privilégierons d’abord comme partenaires commerciaux et d’investissement, des pays africains. Et cette zone permettra au continent africain de rétablir l’équilibre des rapports de force dans les échanges commerciaux avec le reste du monde», a-t-il expliqué.
-Enjeu stratégique et géopolitique
D’après l’Union Africaine, le commerce intra-africain ne représente actuellement que 16 % du commerce total du continent, contre 19 % en Amérique latine, 51 % en Asie, 54 % en Amérique du Nord et 70 % en Europe.
Pour faire face à la montée du protectionnisme mondial et le nouvel ordre commercial inter-continents qui se dessinent avec l’arrivée en force de pays émergents comme l’Inde et le Brésil, l’Afrique s’unit et définit son espace commercial et géo-stratégique pour mieux se positionner.
«L’Afrique ne doit pas s’hasarder à aller en rangs dispersés, au rendez-vous des échanges commerciaux avec le reste du monde, dans un marché mondial dominé par le protectionnisme et surtout que la concurrence entre les grandes puissances et les pays émergents, en quête des nouveaux marchés», a indiqué à Aadolu, l’économiste camerounais Bernard Maïboula.
Cette zone de libre-échange continental, dit-il, permettra aux pays africains d’équilibrer les rapports de force et de s’imposer aisément dans le marché mondial.
Cette zone contribuera, aussi, à transformer les 55 économies africaines dispersées en un grand marché plus cohérent, en utilisant les complémentarités et en exploitant collectivement le potentiel de terres et de richesses naturelles de l'Afrique.
- L’inquiétude des pays non signataires de l’accord
Certains pays membres de l’Union Afrique n’ont pas signé l’accord de libre-échange continental pour besoins de consultation interne, c’est le cas du Nigeria, deuxième économie du continent, l'Erythrée, le Burundi, la Namibie et la Sierra Leone.
Même si, de nombreux experts ont critiqué l’attitude protectionniste de ces pays, certains estiment que leurs inquiétudes sont justifiées.
Pour le Dr Richard Sezibera, ancien secrétaire général de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE), en dépit de multiple opportunités qu’offre la zone de libre-échange, il y a de nombreux défis à relever et des points essentiels à clarifier.
«Les pays dotés d'importantes capacités productives dans le secteur manufacturier peuvent connaître une croissance économique et des gains de bien-être importants, tandis que les petites économies et les pays les moins avancés, risquent d'être confrontés à d'importantes pertes de recettes fiscales et des menaces pour les industries locales», a-t-il indiqué.
- Les défis pour la mise en œuvre de l’accord
Certains experts estiment que le faible niveau actuel du commerce intra-africain peut s’inverser si les pays signataires de l’accord, abordent efficacement les contraintes de l'offre et les faibles capacités productives, le développement infrastructurel, l'accès au financement pour les commerçants et autres opérateurs économiques, la facilitation des échanges et le commerce des services, ainsi que la libre circulation des personnes pour le commerce transfrontalier.
«La zone de libre-échange commercial a pour but premier de favoriser les échanges intra-africains des biens et des services et de mieux défendre les intérêts communautaires . Mais tout cela ne sera possible que si les textes sont appliqués de manière harmonisée dans tous les pays signataires», a indiqué le ministre tchadien de l’économie, Dr Issa Doubragne.
«Cela prendra du temps. Mais c'est possible», a conclu le ministre.