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A la Casbah d’Alger, Yennayer ne se célèbre plus à huis clos !

Hatem Kattou  | 13.01.2018 - Mıse À Jour : 13.01.2018
A la Casbah d’Alger, Yennayer ne se célèbre plus à huis clos !

Algeria

AA/Alger/Selma Kasmi

A la Casbah d’Alger, réceptacle depuis des siècles de toutes les composantes ethniques et communautaires de la société algérienne, l’arrivée du nouvel an berbère "Yennayer" n’est pas accueillie de la même manière.

Fief du fondamentalisme religieux, durant la décennie noire, (1990 -1999), la Casbah renoue timidement avec les célébrations « visibles » de Yennayer. En effet, nombreux de ses habitants la considèrent comme « Haram », (illicite), à la suite des multiplications de fatwas l’interdisant.

«Nous ne connaissons que l’Aid El Fitre et l’Aid Al Adha (les deux grandes fêtes musulmanes). Cette fête hérétique nous est complètement étrangère», s’exprime Hichem 27 ans à Anadolu. Comme lui, de nombreux jeunes nés pendant la "guerre civile" rencontrés dans la vielle ville d’Alger, affirment leur refus de la célébrer et disent leur ignorance de sa symbolique.

C’est la consécration de cette fête, Journée nationale chômée et payée le 27 décembre dernier, par le président algérien Abdelaziz Bouteflika qui remet le débat de Yennayer au grand jour. Et le débat était bien visible dans les dédales de cette ville, qui pourtant conservent jalousement les différents rituels ancestraux de sa célébration.

« Désormais, nous ne fêterons plus Yennayer à huis clos », se réjouit Madjid, un quinquagénaire, natif de la Casbah. «Jadis, nous organisions tous des repas à base de sept légumes secs, que nous partagions entre voisins. Mais depuis la guerre civile, cette tradition s’est perdue et il nous arrivait même de la fêter en cachette », raconte ce marchand de tenues berbères.

« L’officialisation de cette journée, est comme une reconnaissance très tardive de l’identité du peuple berbère», a-t- il considéré.

En effet, l’Etat algérien a prévu pour samedi13 janvier, des festivités dans toutes les provinces du pays, avec implication de tous les ministères. Des enseignes en langue amazighe sont accrochées dans les établissements officiels.

Les efforts de l’Etat algérien pour le rétablissement de cette fête et par là, la réconciliation avec les différentes identités du pays étaient – en général- bien reçus.

-Le dîner familiale sacré

Avant son officialisation, c’est le dîner familial de la veille du 13 janvier qui assurait la pérennité de cette fête. Un dîner accompagné par le rituel du "treize" (Le déversement de confiseries sur les nouveaux nés).

Des niches humaines entouraient les marchands ambulants de «treize» dans la Place des Martyrs (l’un des plus célèbres marchés populaires d’Alger). Les quelques vendeurs interrogés observent tous que les clients sont sensiblement plus nombreux que d’habitude.

«Cela est surement du à l’officialisation de la fête », estime Aymen, vendeur dans cette place de la basse Casbah.

« Comme chaque année, nous venons ici nous approvisionner en treize et en semoule pour les pâtisseries traditionnelles », affirme Amina 26 ans, venue faire ses emplettes de Kessar el Boukhari (située à 135km au sud d’Alger).

La littérature populaire pullule de légendes autour de ces premières célébrations.

Certains académiciens à l’instar de Amar Nagadi, avancent que les berbères célèbrent la victoire du roi amazigh Chachneq (Shechong), sur le pharaon d’Egypte en l'an 950 av.Jésus-Christ.

Mais pour tante Ourdia 74 ans, cette fête est avant tout une fête agricole.

Tante Ourdia se rappelle très bien comment les habitants de son village natale d’Azefoun (grande Kabylie), parsemaient les plumes des poules sur le terres la veille du nouvel an berbère pour invoquer le ciel de leur réserver une récolte abondante, Tante Ourdia, dit que ses grands parents célébraient la terre et le cycle agricole.

Yennayer est en effet, le premier jour de l'an du calendrier agraire utilisé depuis l'Antiquité par les Berbères. Il marque également la fin des labours et marque le milieu du cycle humide.

Arrivée à Alger dans les années 1950, tante Ourdia se souvient des coutumes citadines qui accompagnaient chaque 12 janvier, dans un pays encore sous la colonisation française. « A Alger, on ne pensait pas forcément à l’agriculture. On préparait des gâteaux et des pâtisseries « des villes », en plus des repas classiques ( recheta et chorba).

Les soirées se terminaient par des veillées autour des théières et des pâtisseries à base d’amandes. Ce qui caractérisait ces fêtes, c’était l’obligation de partage des repas entre voisins. Les portes étaient toujours ouvertes », se souvient-elle. Et ces portes continueront à s’ouvrir jusqu’au début de la guerre civile algérienne, atteste-telle.

« Depuis, cette fête a perdu de son importance, et les familles qui continuent à la célébrer le font chez elles, « sans trop de bruit », raconte-t-elle avec regret.

A Ghardaia (600 km au sud d'Alger), la réunion communautaire est sacrée. «Chez nous dans le Mezab, Yennayer est plus qu’un dîner de famille. La soirée du douze janvier est un rendez-vous de rencontre entre les habitants des différentes générations. Car, pour nous c’est une occasion de dialogue entre les générations. Les plus âgés transmettent des savoirs et des connaissances aux plus jeunes. Et c’est ainsi que nos traditions ancestrales se transmettaient de génération en génération », raconte Amin, gérant d’un magasin de tissu.

Ce trentenaire, se félicite de l’officialisation de la journée. « Cette décision est un passage obligatoire dans notre histoire. Ce n’est pas une faveur octroyée aux amazighs, c’est le rétablissement d’un droit dont on n’aurait jamais dû être privé», s’est-il exprimé.

La journée fériée de cette année est certes tombée un vendredi- jour de week end en Algérie- mais le souffle nouveau dans la réappropriation d’une grande composante de l’histoire du pays était bien perceptible. Pas au gout de tous certes. Des photos et vidéos circulant sur les réseaux sociaux et montrant des radicaux tentant d’empêcher certaines célébrations traduisent la difficulté d’un prompt consensus.

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