Contre Boko Haram, les populations camerounaises prennent leur sécurité en main
Les habitants des villages situés tout le long de la frontière avec le Nigeria veillent toutes les nuits pour empêcher les combattants de Boko haram d’entrer sur leurs terres.

Extreme-Nord
AA/Kerawa (Nord Cameroun)/Anne Mireille Nzouankeu
A Kerawa, village situé à 800 mètres du Nigeria, les populations ont décidé de prendre leur destin en main. Elles se sont organisées en comité de vigilance pour barrer la route aux combattants de Boko Haram.
«Nous passons toutes les nuits en brousse. Nous veillons et nous rentrons à la maison le matin pour manger », explique Boukar Sali, un membre d’un comité de vigilance rencontré à Kerawa par l’agence Anadolu. L’action des membres des comités de vigilance est particulièrement efficace pour repérer les kamikazes potentiels. Ce sont très souvent des personnes étrangères, donc facilement repérables puisqu’inconnues des autres personnes du village.
Dans cette lutte contre Boko Haram, ces habitants sont munis de fusils de chasse, d’armes de fabrication artisanale, de flèches et de sifflets. " Si nous voyons une personne inconnue, nous l’interpellons et l’amenons auprès du chef. Si c’est un groupe que nous voyons arriver, nous le signalons immédiatement aux forces de défense", ajoute Sali du comité de vigilance.
Parlant de leur motivation, les membres des comités de vigilance expliquent qu’ils ne veulent plus voir les combattants de Boko Haram venir chez eux pour «enlever leurs enfants, violer leurs femmes» et voler leur bétail. « Nous avons le droit de nous défendre à notre manière et nous le ferons jusqu'à ce que ces gens nous laissent tranquilles», ajoute Timada Boukar, lui aussi membre du comité de vigilance.
« Ils sont les premiers qui donnent l’alerte lorsqu’il y a un problème dans un village. Leur rôle n’est pas de combattre l’ennemi. Ils n’ont pas les capacités pour le faire, ils n’ont pas l’entrainement pour le faire, ce n’est pas leur mission. Leur fusil de traite est juste un système d’alerte. Quand ils tirent un coup de fusil dans le village, ça nous alerte qu’il y a un problème et on déclenche le mécanisme de défense militaire », explique le Lieutenant-Colonel Félix Tétcha, de l'armée camerounaise, qui commande la zone dans laquelle se trouve la plupart des villages frontaliers avec le Nigeria.
Les responsables militaires expliquent cependant que les comités de vigilance ne sont ni un concept nouveau, ni une nouvelle création. «Les comités de vigilance émanent du concept général de la défense populaire. Elle est globale et celle militaire n’est qu’une partie de la défense en général. Les comités de vigilance ont été organisés en synergie avec les différents chefs traditionnels locaux pour servir de mécanisme d’alerte aux différentes forces de défense», dit le Lieutenant-Colonel Félix Tétcha qui appartient au Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), un corps d’élite créé justement pour lutter contre les forces asymétriques tels que les groupes terroristes ou les pirates de mer.
Pour éviter les dérives que peut entraîner la présence de populations armées, un système de hiérarchie et de coordination a été mis en place.
«Jusqu'ici, il n’y a pas eu de problèmes parce que les membres des comités de vigilance ne sont pas des groupes ramassés au hasard. Ils sont dans chaque village sous les ordres du chef de village ou bien d’un responsable de comité de vigilance qui répond de son action devant l’autorité administrative», rassure le Lieutenant-Colonel Félix Tétcha.
Malgré l’action concertée des forces de défense et des membres de comité de vigilance, la vie ne reprend son cours que timidement à Kerawa. Le village avait auparavant un grand marché frontalier, aujourd'hui désespérément vide. D'ailleurs, beaucoup de marchés près de la frontière avec le Nigeria ont été fermés, car ils étaient des lieux privilégiés des kamikazes pour se faire exploser.
Les champs sont également abandonnés car ils sont situés dans les montagnes, loin du village et trop près du Nigeria. «Maintenant les gens vivent très mal ici à Kerawa. Même pour manger c’est difficile», se plaint Sali.
D’août 2014 au 14 mars 2016, il y a eu 336 diverses attaques de Boko Haram au Cameroun parmi lesquelles 293, incluant les attentats kamikazes et les incidents sur mines, selon les autorités camerounaises.