Musulmans d’Ethiopie : un siècle d’aspiration à l’égalité (SR)
- Il y a plus d’un siècle, l’empereur éthiopien Lidj Iyasou (1895-1935) avait entamé des réformes pour éradiquer la ségrégation et le racisme ciblant la communauté musulmane du pays.

Addis Abeba
AA/Addis-Abeba
Il y a plus d’un siècle, l’empereur Lidj Iyasou (1895-1935) a entamé des réformes, pour éradiquer la ségrégation et le racisme qui visait la communauté musulmane en Ethiopie.
Pour les musulmans éthiopiens, l’enjeu pour lequel ils avaient tant milité depuis des centaines d’années, demeure celui d’ancrer le principe d’égalité dans un pays où la religion musulmane s’est historiquement implantée bien avant d’atteindre la ville sainte de Médine, qui est considérée aujourd’hui comme un des berceaux de l’islam.
La relance des reformes au cours des dernières années porte en elle tout l’espoir d’une communauté qui aspire à changer le concept d’une société et d’un Etat chrétiens, vers celui d’une société multiculturelle, multiconfessionnelle et multiraciale plus tolérante.
Sur ses 108 millions d’habitants, l’Ethiopie compte aujourd’hui selon des sources officielles 34 % de musulmans.
Durant son règne relativement court, de 1911 à 1916, l’empereur Lidj Iyasou a laissé un héritage capital dans l’histoire des réformes en Ethiopie en particulier, et plus globalement, une empreinte importante dans l’histoire de l’empire ottoman. L’empereur Lidj Iyasou a été détrôné suite à un coup d’Etat soutenu par les puissances alliées de l’époque dont le Royaume Uni, la France et l’Italie.
Des rumeurs avaient couru à l’époque que l’empereur Iyasou était en fait de confession musulmane, tant ses relations étaient excellentes avec les musulmans du pays en général, et avec le consul général de l’empire ottoman à l’époque Ahmad Bek Mazhar en particulier.
Outre ses efforts pour rendre leur dignité aux musulmans d’Ethiopie, l’empereur avait montré des velléités d’entrée dans la Première Guerre mondiale (1914-1918) dans le camp de l’empire ottoman. Ce rapprochement entre l’Ethiopie et les Ottomans était source de préoccupation pour les puissances alliées en Europe. Un coup d’Etat est alors fomenté par l’Église et la classe dirigeante du pays contre l’empereur suite à une multitude de fausses accusations à son encontre.
Certains historiens éthiopiens considèrent que le soutien de Lidj Iyasou à la communauté musulmane en tant que partie intégrante du corps social est devenu depuis un rêve impossible à réaliser durant le siècle qui a suivi. Pour beaucoup, l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed en 2018 avec des réformes, qui ne sont pas sans rappeler celles de l’ancien empereur, relancent des espoirs vieux de plus de cent ans.
**Le soutien aux musulmans
D’après l’historien de l'Organisation des Archives et de la Bibliothèque Nationale en Ethiopie, Azarias Hailey Georges, l’empereur Lidj Iyasou a beaucoup favorisé la libre pratique du culte religieux musulman en construisant nombre de mosquées et d’écoles pour la communauté musulmane du pays.
Dans une déclaration à l’Agence Anadolu, Georges expliquait les raisons du soutien de l’empereur Lidj Iyasou aux musulmans d’Ethiopie par « les conseils prodigués par son ami Ahmad Bek Mazhar ». Et d’ajouter : « Iyasou croyait que le fait de nouer des relations étroites avec les chefs religieux et les pays musulmans, tels que les Ottomans et les Somaliens, était nécessaire pour l'indépendance, ce qui explique les convois d’armes et de munitions qu’il a fait parvenir aux mouvements indépendantistes en Somalie ».
Selon Georges, l’empereur Lidj Iyasou avait soutenu les leaders musulmans de la résistance somalienne contre la présence italienne et anglaise dans le pays. La chute de l’empereur n’avait pas seulement scellé le sort des réformes, mais elle a aussi anéanti le rêve d’une société multiethnique et multiconfessionnelle.
**Le complot ecclésiastique
Mohamed Ali, maître de conférences au département des sciences politiques de l'Université d'Éthiopie a déclaré à l’Agence Anadolu que « la sympathie profonde manifestée par l’empereur Lidj Iyasou à la communauté musulmane éthiopienne visait à compenser ce sentiment de profonde injustice laissé par son grand-père, l’empereur Menelik II (1844-1913) ».
Et d’ajouter : « La conception de Menelik II d’un État qui s'occupe exclusivement de ses sujets chrétiens était fausse. Ceci explique les efforts de son petit-fils Iyasou pour faire des musulmans une composante essentielle du peuple éthiopien ».
L’universitaire a d’ailleurs expliqué que « les puissances européennes alliées ont lancé une campagne de diffamation contre Iyasou par le biais des moines éthiopiens et ont fomenté un coup d'État pour mettre fin à son règne ».
Et de souligner que « la classe dirigeante a accusé Iyasou de s'être converti à l’islam, et qu'il chercherait à établir un État islamique à Harar, en s’alliant avec l'empire ottoman... Je ne pense pas qu'Iyasou était musulman ».
Poursuivant son analyse Mohamed Ali a expliqué : « Iyasu était un chrétien et a construit nombre d’églises, mais l'Église orthodoxe ne lui a jamais pardonné sa bienveillance envers les musulmans, et nous voici (les musulmans), cent ans plus tard, à tenter de devenir un groupe important dans la société éthiopienne ».
Il a aussi ajouté : « un siècle plus tard, le Premier ministre, Abiy Ahmed, et d'autres politiciens tentent aujourd'hui de mettre en œuvre un programme de réforme similaire à celui d’Iyasou ».
Dans une interview avec Anadolu Agency, le théologien Diakuz Berhanu Admas a déclaré : « l'Église considérait Iyasu comme une réelle menace... et la décision de le renverser était une décision très importante pour le bien de l'État et de l'Église."
Certains historiens affirment qu'Iyasu a nommé des musulmans à des postes gouvernementaux, mais il n'a jamais été musulman lui-même, tandis que d'autres disent qu'il s’est converti à l'islam, qui était la confession de son père, Ras Mikaél du Wello, avant que celui-ci ne se convertisse au christianisme.
**Ahmad Bek Mazhar
Dans ses communications avec Istanbul, le consul général ottoman Ahmad Bek Mazhar avait parlé de la décision de l’empereur Iyasu d’entrer dans la Première Guerre mondiale aux côtés des pays de l’axe, qui comptait à l’époque l’empire ottoman.
L’empire ottoman avait alors promis de reconnaître la souveraineté éthiopienne sur une large partie des côtes de la Mer rouge.
L’établissement des relations diplomatiques entre l’empire ottoman et l'Abyssinie en 1911, ont été scellés avec la fondation d’un consulat ottoman dans la ville éthiopienne de Harar.
La première tâche du premier chargé d'affaires, Najib Haji Effendi, était d'identifier les sujets ottomans d'Abyssinie. Puis vint Ahmad Bek Mazhar, l'un des anciens chefs du bureau de traduction attaché à la « Sublime porte » (siège du gouvernement ottoman à Istanbul).
Selon de des sources historiques, Mazhar Bek montrait un intérêt accentué aux musulmans abyssins, en plus de son intérêt pour la protection des droits des sujets ottomans.
Grâce à ses relations privilégiées avec l’empereur Iyasu, Mazhar Bek a joué un rôle important en aidant et en soutenant le résistant somalien, l'imam Abdullah Hassan, dans sa lutte contre les forces coloniales, et a établi des mosquées à Harar.
Mazhar Bek a également inauguré à Harar l'une des premières branches du Croissant-Rouge affiliée à l'Empire ottoman à l'étranger, actuellement connue sous le nom de Croissant Rouge turc.
Après la chute de l’empereur Iyasu, Mazhar Bek a perdu le contact diplomatique avec la « Sublime Porte ». Plus tard, les Français avaient émis un certificat de décès déclarant qu'il était soit mort, soit assassiné à Djibouti, le 13 janvier 1920.
*Traduit de l’arabe par Mounir Bennour
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