Tunisie – Le gouverneur de la Banque centrale serait-il sur un siège éjectable ?

Tunis
AA / Tunis / Houcine Ben Achour
Le limogeage du Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) serait-il encore à l’ordre du jour ou le sujet devrait-il être classé sans suite ? En tout cas, la rumeur de sa mise à l’écart a pris récemment une ampleur sans précédent.
L’on chuchotait même, sur la base de sources proches du palais présidentiel, que le chef de l’Etat, Béji Caïed Essebsi, président de la République, qui exerce le pouvoir de désignation à ce poste éminemment important, l’annoncerait lors de son discours à la Nation intervenu le 10 mai dernier.
Le Chef se serait-il ravisé, au dernier moment, comme l’affirme certains observateurs ? L’hypothèse est plausible compte tenu d’au moins deux paramètres, l’un est objectif et le second subjectif.
La raison objective tient, évidemment, au bilan qu’affiche Chédly Ayari à la tête de l’institut d’émission, près de cinq ans après sa désignation par l’ex-Président de la république, Moncef Marzouki qui, lui aussi, avait limogé son prédécesseur, Mustapha Kamel Nabli.
Sur la base des trois indicateurs fondamentaux qui sont du seul ressort de la BCT, à savoir l’inflation, le taux de change et les réserves en devises, le résultat n’est pas flatteur.
Depuis son installation à la tête de la BCT, en juillet 2012, la monnaie nationale a perdu près de 50% de sa valeur par rapport à l’euro. Depuis le début de l’année 2017, le dinar a perdu environ 10% de sa valeur par rapport à la monnaie européenne.
Entre 2012 et 2017, l’inflation a progressé d’environ 5% en moyenne annuelle et les réserves en devises du pays sont passées de l’équivalent de 127 jours d’importations à seulement 103 jours d’importations.
Cependant, la récente et brutale dépréciation de la monnaie nationale, provoquée par les propos de Lamia Zribi, ministre des Finances, limogée depuis, suggérant que l’euro équivaudrait à 3 dinars tunisiens d’ici la fin de l’année 2017, aurait constitué le détonateur. On a reproché à la BCT de n’avoir pas réagi à temps pour stopper la brusque spéculation sur la monnaie, fournissant par là même un certain crédit aux propos de la ministre des Finances.
Le Gouverneur de la BCT s’en justifiera à l’occasion de la tenue d’une rencontre sur «Les instruments de la politique monétaire», estimant que la gestion de la politique monétaire est devenue un véritable casse-tête dans la mesure où elle doit répondre à des défis asymétriques : Répondre aux besoins de liquidités de l’économie sans que ces besoins ne soient orientées vers les importations et donc d’achat massif de devises qui mettrait à mal les réserves du pays si elles ne sont pas confortées par des recettes d’exportations conséquentes.
Autrement dit, c’est le déficit commercial, dossier du ressort du gouvernement et non de la BCT, qui est responsable de la détérioration du taux de change, de la poussée inflationniste et de la faiblesse du niveau des réserves en devises.
Effet boomerang
Il saisira cette occasion pour estimer qu’ « il y a lieu de réhabiliter la valeur du travail, de miser sur une meilleure productivité et d’encourager la production nationale en favorisant la consommation de produits ‘made in Tunisia’. Par cet élan patriotique, nous arriverons à produire plus, exporter plus, rétablir l’équilibre de nos comptes extérieurs et mettre fin à la spéculation sur la monnaie nationale ». Une manière à peine voilée de rappeler le gouvernement à ces impératifs.
En fait, Chédly Ayari fait les frais de la politique de l’institut d’émission qui a été plus « accommodante » à l’égard des gouvernements qui se sont succédé depuis 2012, fermant les yeux sur les dérapages de plus en plus sérieux des finances publiques et de leurs impacts sur un équilibre déjà très fragile du cadre macroéconomique. Le Gouverneur de la BCT a subi un effet boomerang de sa politique monétaire.
La raison subjective tiendrait du Président Béji Caïed Essebsi. Il ne peut se résoudre à la disgrâce du Gouverneur de la BCT. Les deux personnes sont de la même génération. L’un a 90 ans et l’autre 83 ans. Ils se connaissent de longue date. Ils ont milité au sein du même parti, le Parti du Néo-Destour puis le Parti socialiste destourien (PSD) qui deviendra plus tard le Rassemblement constitutionnel et démocratique (RCD) du président déchu Zine El Abidine Ben Ali. Ils ont fait partie d’un même gouvernement à la fin des années 1960, sous la présidence de la République du leader Bourguiba. L’un était alors ministre de la Défense et l’autre ministre du Plan.
A moins d’un an de la fin de son mandat à la tête de la BCT, Chédly Ayari ne pouvait subir une telle humiliation de la part de Béji Caïed Essibsi, estiment certains observateurs.