
AA/ Bujumbura/ Ndabashinze Renovat -
Certains Burundais inquiets pour l’avenir de leur pays, appellent à raviver les idéaux du premier président démocratiquement élu, « feu » Melchior Ndadaye, qui a jeté les fondements du «Nouveau Burundi ».
Mais pour ces Burundais, le Nouveau Burundi risque la « déperdition », après que les compagnons de cet ancien chef d’Etat (juillet-octobre 1993) se sont dispersés sur la scène politique et peinent à se réunifier, face à un régime qui « accepte peu les différences ».
A un moment où leur pays est secoué par bien des tiraillements politiques et risque, à tout moment, l’explosion, les Burundais gardent encore du président Ndadaye, sa défense du multipartisme et de la démocratie.
L’ancien président du Burundi Sylvestre Ntibantunganya (1994-1996) a confié à Anadolu qu’aucun «Burundais n’oserait s’opposer aujourd’hui aux pratiques démocratiques initiées et défendues par feu Ndadaye.
Dans ce sens abonde Pacifique Nininahazwe, président du Forum pour la Conscience et le développement (Focode- structure associative). Tirant la sonnette d’alarme quant à un climat politique « peu sain », il alerte que « 21 ans après, des restrictions aux libertés publiques persistent. Or, Melchior Ndadaye prônait, selon lui, un Burundi où les libertés individuelles et collectives et la liberté d’expression sont garanties par la loi ». Nininahazwe déplore, en effet, le fait que « l’autorisation de manifestation n’est aujourd’hui accordée qu’aux parties proches du pouvoir ».
Pour Pacifique Nininahazwe, Melchior Ndadaye, l’«emblème de la démocratie » au Burundi, était contre tout régime militaire. Or, actuellement, précise-t-il, même le président actuel, Pierre Nkurunziza, est « entouré de militaires ».
Le danger qu’encourt le Burundi aujourd’hui a, en outre, trait au tribalisme contre lequel luttait énergiquement le président Ndadaye.
«Nous voulons que partout au Burundi, sur les collines, dans les communes, dans les écoles et dans les casernes, il n’y ait plus de sang versé à cause des confrontations ethniques. Nous voulons que le peuple burundais assume son histoire telle qu’elle est », a déclaré le président Melchior Ndadaye, le 22 août 1993, à Bujumbura, dans son discours adressé à la nation, suite à sa victoire aux présidentielles de la même année, fait remarquer le président du Focode.
Originaire du groupe ethnique majoritaire Hutus (le groupe minoritaire étant les Tutsis), Melchior Ndadaye était conscient de l’épineuse question ethnique qui rongeait la société burundaise. C’est pourquoi il a accordé le poste de Premier ministre à une femme : Sylvie Kinigi, d’origine tutsie, rappelle Nininahazwe.
Ces idéaux garants de la stabilité d’un pays dont la composition ethnique est très diverse peinent, alerte le même analyste, à refaire surface, au moment où les compagnons et les disciples de ce « grand leader politique continuent à se regarder en chiens de faïence », peu avant les élections de 2015.
Une position que réfute néanmoins Philippe Nzobonariba, Secrétaire et porte-parole du gouvernement. « Le président Melchior Ndadaye a légué la démocratie aux Burundais. C’est même pour cette raison qu’il a été hissé au titre de héros de la démocratie », indique-t-il à Anadolu.
Il assure, de là, que le Burundi « ne pourra pas faire pas en arrière ». Argumentant, il affirme que le pays compte une quarantaine de partis politiques et plusieurs organisations de la société civile.
Force est de constater, au demeurant, que des dissensions sont nées en 2008 entre les responsables du parti Sahwanya Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi-parti dont de Melchior Ndadaye fut un des membres fondateurs).
Un des partisans du président défunt, Jean Minani, a créé un autre parti qui se réclame des idéaux de Ndadaye, il l’a baptisé Frodebu Nyakuri Iragi Rya Ndadaye ( Frodebu authentique, héritage de Ndadaye). Ce parti est aujourd’hui représenté par un seul ministre et trois députés.
Léonce Ngendakumana, un autre disciple de Ndadaye a constitué une autre branche Frodebu. Faisant partie de l’Alliance des démocrates pour le Changement (Adc-Ikibiri), il a préféré le camp de l’opposition radicale. Il est parmi les partis qui se sont retirés des élections en 2010 après les communales : il était placé en 4ème position. Les deux partis tentent ces derniers temps de se réunifier, mais ça n’a pas encore abouti.
Assassiné dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, dans un coup d'Etat qui a déclenché une guerre civile emportant 100 000 vicitimes (selon les chiffres du Haut Commissariat des Réfugiés des Nations-Unis), Melchior Ndadaye n'aura passé que uniquement 102 jours à la tête de l’Etat.
Sa famille vit depuis en Belgique. La justice burundaise n’a toujours pas rendu son verdict pour élucider les circonstances de son assassinat et identifier les coupables. Revenant sur cet épisode, le porte-parole du gouvernement assure que les circonstances y afférents seront élucidées par la Commission vérité réconciliation (CVR), récemment mise en place.
Le Palais du 28 novembre dans lequel vivait le président Ndadaye est très délaissé. Des broussailles dominent cet endroit. Les portes, les fenêtres, la toiture tout a été détruit. Après une vingtaine d’années, les traces des bombardements lors du coup d’Etat du 21 octobre 1993 restent visibles.
L’endroit est pour le moment transformé en un poste de police. Une femme rencontrée dans les environs, promène son regard sur les restes de la demure du président et se dit choquée : « Au moins, il faut protéger cet endroit chargé d'histoire. Cet endroit est étroitement liué à notre emblème national de démocratie.»