Monde, Analyse

La politique française au bord de la crise et de la méfiance (Analyse)

-La participation aux élections est au plus bas depuis 1965, la confiance dans les partis politiques est tombée à 20%, la politique tente de sauver la face en polarisant constamment la société avec des politiques de production de peur et d'insécurité

Orkun Elmacıgil  | 09.06.2021 - Mıse À Jour : 09.06.2021
La politique française au bord de la crise et de la méfiance (Analyse)

Istanbul

AA / Istanbul

Jean-Luc Mélenchon, président du parti La France Insoumise (LFI) et candidat à la présidentielle pour les élections de 2022, a déclaré qu'une semaine avant les élections, un assassinat ou un attentat ciblant les musulmans pourrait être perpétré. Outre la possibilité que Mélenchon joue avec les votes des citoyens musulmans, cette déclaration est aussi le signe d'une situation dans laquelle la minorité musulmane du pays est objetisée à la fois par les politiques de droite et de gauche, où sa voix originale est mise en sourdine par l'opinion publique et la politique.

La détérioration du cours de l'économie française déjà fragile, la réforme des retraites et les projets de privatisation d'Emmanuel Macron, ont été les déclencheurs de grèves et d'actions des "Gilets jaunes" qui ont mis beaucoup de pression sur le gouvernement français. Alors que l'année 2019 se terminait par des manifestations de rue, la pandémie de Covid-19 a davantage ébranlé l'économie française. Les masses directement touchées par la pandémie ont poussé l'establishment politique en France à pencher vers un langage populiste afin de toucher de grandes foules restées insatisfaites. L'anti-immigration, le renforcement de la politique de sécurité, la suspension des droits et libertés fondamentaux et l'hostilité à l'islam ont dominé toute la scène politique française.

L'armée française a également joué sa partition dans cet environnement d'inquiétude et d'anxiété, et a publié deux déclarations, affirmant que la possibilité d'une guerre civile avait gagné plus de force que jamais, ciblant les banlieues et les musulmans. Alors que les mouvements d'extrême droite s'organisent de plus en plus pour des motifs à la fois légaux et illégitimes, des membres des forces de police ont organisé des manifestations devant le Parlement pour plus d'autorité, avec le soutien de nombreux partis politiques de droite et de gauche, en plus de celui du ministre de l'intérieur. L'un des slogans scandés lors des manifestations était de surmonter les obstacles constitutionnels restreignant la compétence de la police et à donner aux agents de la force publique un usage plus confortable de la force. Au même moment, les problèmes de sécurité et de justice sociale dans les banlieues continuent, les gangs se battent, la limite de la consommation de drogue est ramenée à l'âge de 11 ans. En d'autres termes, alors que l'agenda en France est davantage axé sur la sécurité, les problèmes de la population expulsée des villes dépourvues d'infrastructures étatiques ne cessent d'augmenter.

À ce stade, la politique et l'opinion publique en France ont construit la réalité sur l'idée que le problème ne réside pas dans les politiques de l'État et la discrimination, plutôt dans le fait que les minorités du pays ne parviennent pas à suivre les valeurs de la République française. Dans cette réalité fictive, les femmes portant le foulard sont taxées de "militantes séparatistes“, les associations de mosquées de "possibles nids de terreur“, et les masses dans les rues appelant le gouvernement à améliorer les conditions économiques des "agresseurs sauvages". La rhétorique selon laquelle l'État et la vision officielle dominante vivent dans une société constamment entourée d'ennemis, faisant usage d'un langage populiste, a fait que la politique en France s'est détachée de la réalité et l'opinion publique a désespéré des institutions politiques.

- Nouveau langage de la politique: le ciblage et l'étiquetage

Dans ces conditions, où la liberté d'expression et la liberté de la presse perdent du terrain, des institutions à l'instar du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), l'Union des Affaires Culturelles Turco-Islamiques(DITIB), l'Association Milli Gorus de Strasbourg et l'Agence Anadolu (AA) sont considérés comme porte-paroles d'un discours jugé quasi-illégal. L'AA a été la cible d'accusations de "fake news" pour avoir signalé le danger de l'islamophobie à travers les comptes officiels des réseaux sociaux et présenté une situation objective concernant la France. Selon des recherches récentes, en France, 61% de la population ne fait pas confiance aux médias et 70% ne fait pas confiance aux politiciens. Dans un environnement où le climat de peur et d'anti-liberté est toléré, il n'est pas surprenant que l'Homme d'État tente d'éteindre la voix de l'AA. Alors que la politique était réduite à une seule voix autour de certains concepts, les médias ont continué à présenter les mêmes concepts au public avec des préjugés similaires. Les informations, dans lesquelles l'islam, les immigrants et la Turquie sont présentés comme une menace qui nécessite une action constante, sont d'une plus grande importance pour les intérêts de l'État, bien qu'elles ne mettent pas en lumière les vrais problèmes du peuple. De nombreux cas différents, qui peuvent être vus indépendamment les uns des autres, montrent essentiellement où la politique et les partis français sont coincés. En d'autres termes, la société française se reconstruit non pas sur les principes de “liberté, égalité, fraternité”, qui constituaient le point d'orgue de la Révolution française de 1789 et sont devenus la devise nationale du pays, mais sur la devise de l'oppression, de la discrimination et de l'hostilité.

Les premières cibles de cette hostilité sont les musulmans. À chaque intervention, du mouvement féministe à l'aile belliciste de l'armée française, le problème de l'islam dans le pays et de la nécessité de l'assimilation sont sans doute évoqués. Le concept de "valeurs républicaines", dont le contenu reste vague et peut être modifié en faveur de chaque nouveau pouvoir, est devenu une épée de Damoclès sur les musulmans et les immigrés en France. Il se dit qu'en France, l'un des pays pionniers du colonialisme, les immigrés musulmans colonisent désormais la France avec leurs propres modes de vie. Attribuer des noms arabes ou turcs aux enfants, faire du shopping dans les magasins d'alimentation halal sont considérés comme des mouvements antisociaux qui ne devraient pas être tolérés, selon les ministres du gouvernement Macron et la plupart des médias. [4] En résumé, pour les gouvernements en France qui ont rompu avec la compréhension de l'État social et ont échoué à gérer l'économie, le terrain de la poursuite des coupables et des coupables à présenter au public a été fixé longtemps à l'avance: les musulmans et la politique identitaire.

Cette relation que la France a établie avec ses "autres", musulmans et immigrés, a rendu crédible l'impression que la société traversait des conditions extraordinaires dans tout le pays. Le concept d '” état d'exception", que le célèbre penseur italien Giorgio Agamben a utilisé pour décrire la souveraineté de l'État, est devenu une constante pour la minorité musulmane du pays. Cet état d'exception s'est propagé à l'ensemble de la société à travers les médias, la politique et les pratiques de la vie quotidienne, et dans le nouvel environnement extraordinaire. Toute personne appartenant à la religion islamique est devenue l'objet d'enquêtes directes ou indirectes.

Les élections présidentielles qui doivent se tenir en avril 2022 se dérouleront dans ces conditions, où le contenu de la politique est vidé et le populisme, l'islamophobie, l'anti-immigration et la xénophobie constituent la majorité du discours. Dans ce cas, toutes les voix du pouvoir politique et de l'opposition en France, tant en politique intérieure qu'extérieure, sont romancées dans un style qui essaie d'emporter le même vent populiste et déconnecté de la réalité. En France, où la participation aux élections est à son plus bas niveau depuis 1965 et où la confiance dans les partis politiques a chuté à 20 %, la politique continue de sauver les meubles avec la production de la peur et les politiques sécuritaires qui se succèdent. Plutôt que de se concentrer sur les besoins réels du peuple, la classe politique polarise constamment la société. Le fait que 56% de la population soit prête à soutenir un candidat présidentiel qui n'est issu d'aucun parti au premier tour, montre également que cette politique vicieuse n'a pas été acceptée par le public. Alors que la politique est orientée vers les restrictions imposées à la minorité musulmane de la vie quotidienne et de la sphère publique, la possibilité de faire une politique constructive et factuelle en France diminue au fil des jours.

* Traduit du turc par Alex Sinhan Bogmis

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