Canada
AA / Montréal / Hatem Kattou
Le Premier ministre canadien sortant, Justin Trudeau, au pouvoir depuis le mois de novembre 2015, a déclenché, le dimanche 15 août écoulé, une campagne électorale, courte de 36 jours, en prévision d’un vote décisif et incertain, le 20 septembre courant, après avoir demandé à la Gouverneur générale, l’autochtone Mary Simon, fraichement installée, de dissoudre la chambre des communes (chambre basse du Parlement fédéral), requête acceptée par la représentante de la Reine d’Angleterre au Canada.
Au terme d’une campagne électorale, courte et intense, qui a évolué au rythme de polémiques d’ordre local, provincial, national et international, aucune des formations politiques ni des leaders ne parvient à se démarquer pour prétendre remporter la victoire.
En effet, il ressort, à la veille d’un scrutin aux résultats incertains, que les deux principales formations du paysage politique canadien, les Libéraux et les Conservateurs, sont à égalité parfaite dans les sondages d’opinion (32% pour chaque camp).
Cette configuration laisse entrevoir la formation d’un autre gouvernement minoritaire, comme cela est le cas depuis la dernière joute électorale d’octobre 2019, lorsque le Parti Libéral du Canada, conduit par Trudeau fils avait remporté le scrutin sans pour autant obtenir la majorité absolue des 338 sièges de la Chambre des communes.
Trudeau avait opté pour la mise sur pied d’un gouvernement minoritaire et non pas pour une alliance avec le NPD (Nouveau Parti Démocratique, centre gauche), quatrième force politique du pays, et qui avait obtenu du poids dans l’échiquier politique canadien depuis la déferlante orange (couleur du parti) de 2011.
Ainsi, un autre gouvernement minoritaire devrait voir le jour, à défaut d’une alliance improbable, en particulier entre les Conservateurs et l’outsider le NPD, mais envisageable entre Libéraux et Néo-Démocrates, qui sont classés troisièmes actuellement avec 20% dans les intentions de vote du corps électoral canadien.
L’autre formation politique significative sur la scène fédérale canadienne n’est autre que le Bloc Québécois, présidé par Yves-François Blanchet, qui « otage » de son ancrage et de son irrédentisme québécois, est en antagonisme certain avec les Libéraux et le NPD, mais qui dispose de dénominateurs communs avec les Conservateurs conduits par Erin O’Toole.
La popularité de Trudeau en baisse
La question, tant débattue par les observateurs de la vie politique canadienne, et qui reste suspendue aux lèvres des électeurs, consiste à s’interroger sur l’éventualité que Trudeau rempile pour un troisième mandat ou si les Conservateurs marqueraient l’année 2021 d’une pierre blanche et d’un retour aux commandes du pays de l’érable, au terme d’une absence de six ans, après onze années de pouvoir sous la houlette du aussi controversé qu’emblématique, Stephen Harper.
Trudeau qui a surfé sur la vague de sondages qui lui étaient favorables pour enclencher une campagne électorale qu’il a délibérément voulu courte pour profiter de l’opinion qui lui était relativement acquise grâce à sa gestion de la pandémie de la Covid-19 depuis environ dix-huit mois, a vu sa popularité s’effriter légèrement.
Selon un sondage de la compagnie Léger, Trudeau qui est à égalité parfaite avec Erin O’Toole, patron des Conservateurs, a vu les intentions de vote en sa faveur baisser entre le début de la campagne, à la mi-août, et la veille du scrutin.
L’usure du pouvoir et le « chahut » - au propre comme au figuré – provoqué par la frange hostile aux mesures sanitaires et à la campagne de vaccination, figurent parmi les principales causes de cette baisse.
Toutefois, le patron incontesté du Pari Libéral, depuis 2012, garde ses chances intactes pour sauver et garder son strapontin face à un Erin O’Toole, qui est à la tête des Conservateurs depuis une année seulement et qui manque de charisme et de panache.
La question environnementale draine les foules
Notons, par ailleurs, la présence d'une formation politique présente et absente dans le paysage politique fédéral, dont l’audience demeure faible, mais les idées qu’elle véhicule soulèvent des polémiques et représentent surtout un enjeu électoral certain. Il s’agit du Parti Vert, conduit depuis un peu plus d’un an, par Annamie Paul, une avocate juive de couleur noire, ancienne conseillère à la Cour Internationale de Justice (CIJ) et qui avait fait face à une fronde au sein de son parti, au mois de mai dernier, sur fond de positions à l’égard de la Cause palestinienne et des crimes israéliens, une fronde qui a failli lui coûter sa position à la tête de sa formation.
En effet, la question environnementale et les changements climatiques représentent un véritable enjeu au pays de l’érable, une question qui draine les foules et qui soulève les passions.
Rappelons que lors de la Journée de la Terre, en date du 25 septembre 2019, ce sont 500 mille personnes qui ont battu le pavé de la seule métropole montréalaise, conduits par la jeune icône écologiste suédoise, Greta Thunberg, pour réclamer des politiques publiques environnementales plus fortes et dénoncer les agissements qui « mènerait la planète à sa perte ».
Toutefois, cet engouement et cet emballement ne se sont pas suivi par un vote en faveur des écologistes fédéraux mais plutôt par un vote libéral, dès lors que les « Rouges » intègrent dans leur plateforme électorale une batterie de mesures en faveur de l’environnement mais qui restent au stade des « promesses », selon leurs adversaires et détracteurs politiques, notamment le Parti Conservateur et le NPD.
Suspension de l’exploration pétrolière et gazière, octroi de subventions conséquentes pour l’achat de voitures électriques et généralisation de ce mode de transport d’ici 2035, développement du transport public hybride et électrique , blocage de l’extension des oléoducs, développement de l’économie verte…sont autant secteurs et champs qui touchent au quotidien des Canadiens, et qui par conséquent les touchent de manière concrète, ce qui explique l’intérêt qu’ils portent et leur engouement.
Les armes à feu au centre des débats
Une autre question qui soulève les passions et qui constitue un enjeu électoral majeur est celle des armes à feu et de leur accessibilité.
Dans un pays connu pour sa qualité de vie considérée comme étant une des meilleures au monde et pour sa paisibilité, la multiplication des fusillades et de homicides, notamment, dans les grandes métropoles (Montréal, Toronto, Vancouver) a rendu ce sujet sensible, et fait que les hommes politiques essayent de s’attirer les faveurs des électeurs, dont une grande frange est hostile à la circulation des armes à feu et souhaitent la limitation de leur usage, à défaut de leur bannissement pur et simple.
Le plus surprenant dans ce domaine est que cette question a été un casse-tête aussi bien pour les Libéraux que pour les Conservateurs.
En effet, Justin Trudeau, avait promis, avant même son accession au pouvoir en 2015, d’interdire les armes à feu, se voit attaquer sur ce flanc dans la mesure où ces armes, non seulement n’ont pas été prohibées, du moins que partiellement, mais cette prérogative a été déléguée, il y a de cela quelques mois aux autorités municipales.
Cette mesure a été considérée, aussi bien par les opposants à Trudeau, que par nombre d’observateurs, comme étant une « dérobade » pour rester au milieu du gué et ne pas avoir à assumer les choix décidés jusqu’au bout, une sorte de versatilité teintée d’hésitation.
La position des Conservateurs est encore plus délicate. En effet, ce camp politique, lié au lobby des armes, s’est retrouvé au cours de la campagne dans une position des plus désavantageuses, à telle enseigne que Erin O’Toole a dû faire volte-face à maintes reprises en l’espace d’une semaine, rendant ses propos et ses positions à ce sujet dépourvus de crédibilité.
Le patron des Conservateurs s’est trouvé coincé entre deux feux. D’une part, l’enclume du puissant lobby des armes à feu, traditionnel soutien des Conservateurs, accusés d’avoir passé un accord secret avec ce lobby, et le marteau d’une opinion publique hostile à une circulation non-réglementée sans limites des armes et secouée par une série de crimes et d’homicides œuvre d'individus ou encore de gangs organisés.
Peu d'intérêt pour les questions internationales
Sur un autre plan, les enjeux internationaux représentent le parent pauvre de cette élection, compte tenu du peu d’intérêt accordé par le commun des Canadiens aux questions internationales ce qui fait que cet élément a peu d’influence dans ce scrutin comme d’ailleurs tant d’autres.
Reste que les événements en Afghanistan ont réussi à s’incruster de manière minimale dans cette campagne, dont le début a coïncidé avec la prise de contrôle par les Taliban de la capitale Kaboul et l’accélération des opérations de rapatriement et d’évacuation à partir de l’aéroport Hamed Karzai de Kaboul.
Cette opération coordonnée par les forces militaires canadiennes et qui avait pour but de rapatrier le personnel diplomatique et d’évacuer les Afghans et leurs proches qui ont collaboré avec l’ambassade et l’armée canadiennes a été qualifiée de débâcle par l’opposition et constitué un éphémère point d’achoppement, mais cela n’a duré que l’espace de moins d’une semaine.