ANALYSE - L'Arménie en 2021 : Un pays tiraillé entre guerre et paix
- Nikol Pashinyan inscrit son nom dans l'histoire comme le leader qui a su se maintenir au pouvoir malgré une cuisante défaite
Istanbul
AA / Istanbul / Ogul Tuna
2021 est l'année du changement de statu quo dans le Caucase du Sud, même si la résistance à la nouvelle situation ne cesse de se manifester.
Alors que l'Azerbaïdjan, vainqueur de la deuxième guerre du Haut-Karabakh en 2020, était occupé par des projets de reconstruction de la région dévastée après 30 ans d'occupation, l'Arménie faisait face à des troubles internes.
Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a marqué l'histoire comme le dirigeant qui a su se maintenir au pouvoir malgré une déroute cuisante.
Il a toutefois dû faire face à un an de troubles dans les rangs de l'armée et aux protestations qui ont suivi. Des menaces d'assassinat ont été proférées à son encontre, alors que des élections anticipées ont dû être organisées et dont les résultats ont aussitôt été contestés par l’opposition. Mais il a également renoué avec la Turquie et mené des négociations de paix avec l'Azerbaïdjan.
Bien que l'année 2021 se soit terminée par des contacts diplomatiques entre Ankara, Bakou et Erevan, la volonté du peuple arménien déterminera si la région connaîtra la paix en 2022.
** Des revers internes
Pashinyan, arrivé au pouvoir après la révolution de velours de 2018, qui fut porteuse de grands espoirs, s'est rapidement tourné vers le populisme nationaliste pour assurer sa légitimité, car son arrivée au pouvoir signifiait le déclin de l'ancien clan du Haut-Karabakh, vieux de 20 ans (le règne des Arméniens du Haut-Karabakh Robert Kocharyan et Serj Sarkisyan de 1998 à 2018).
Pashinyan a rapidement laissé de côté ses promesses de lutte contre la corruption et de négociations de paix, et s'est tourné vers des politiques si tranchantes qu'il a utilisé le slogan de l'"unification" (miatsum) avec le régime du Haut-Karabakh. Mais tout cela n’a fait qu’aboutir à l'accord de cessez-le-feu du 9-10 novembre 2020, qui a conduit à un changement radical dans la région, consacrant la victoire de l'Azerbaïdjan.
L'année 2021 a démarré sous les traits de la force de maintien de la paix russe déployée dans le Haut-Karabakh.
Les continuels mouvements de protestation et la rhétorique anti-Pashinyan depuis l'accord de cessez-le-feu ont donné naissance à l'une des plus graves crises de l'histoire du pays le 25 février.
Pashinyan s'est retrouvé aux prises avec le chef d'état-major général Tiran Khachatryan, qui été dans la foulée démis de ses fonctions ! Suite au limogeage de Khachatryan, plus de 40 officiers supérieurs de l'armée arménienne (dont Khachatryan) ont publié une déclaration appelant à la démission de Pashinyan.
L'opposition, menée par Kocharyan et Sarkisyan, a organisé des manifestations rassemblant des milliers de manifestants dans les rues d'Erevan.
Pashinyan a répondu par des rassemblements de ses partisans, faisant monter d'un cran les tensions politiques dans le pays.
Le 28 mars, la décision d'organiser des élections anticipées a été prise, et le 20 juin 2021, Pashinyan a remporté ces élections, ce qui constitue un exemple rare dans l'histoire.
Pashinyan a été reconduit au pouvoir avec 54% des voix. Le taux de participation était de 49,4 %, mais le fait évident reste que le premier ministre sortant n’a pas été élu avec un grand soutien populaire, mais a plutôt bénéficié du rejet du discours de l'"Alliance Arménienne", qui n'offrait rien d'autre que des politiques bellicistes et revanchardes.
** Front anti-paix en Arménie
Kocharyan, le leader de l'Alliance arménienne et ancien président a dû reconnaître le résultat des élections. Mais il a déclaré qu'ils allaient combattre le gouvernement Pashinyan dans les rues ainsi qu'au Parlement au cours du second semestre de l'année.
Le clan du Haut-Karabakh et d'autres groupes xénophobes et d'extrême-droite ont qualifié Pashinyan d'agent turc et de traître.
Ces allégations, relayées par Kocharyan et Sarkisyan dans les médias, les réseaux sociaux et les canaux politiques, interpellent les électeurs nationalistes.
Le parti Fédération révolutionnaire arménienne est le plus proche allié du clan du Haut-Karabakh. Ce dernier a tissé des réseaux mafieux oligarchiques en Arménie et s'est infiltré dans l'armée au cours des 20 dernières années.
L'ancien président Levon Ter-Petrosyan, qui ne fait pas officiellement partie de ce bloc et qui avait une position modérée envers la Turquie et l'Azerbaïdjan dans les années 90, a lui aussi accusé Pashinyan de trahison.
Malgré les fortes critiques, la popularité de Pashinyan et sa crédibilité aux yeux de l'opinion publique demeurent supérieures à celles d'autres personnalités politiques.
** Nouvelles relations avec la Turquie et l'Azerbaïdjan
Après l'accord de cessez-le-feu, les dirigeants de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie se sont rencontrés, le 11 janvier, pour la première fois à Moscou.
Les deux dirigeants ont lu une déclaration commune avec le président russe Vladimir Poutine et ont annoncé leur décision de construire des réseaux d'infrastructure, de transport et de commerce qui s'étendront de l'Iran à la Russie, sur la ligne nord-sud et de l'Azerbaïdjan à la Turquie, sur la ligne est-ouest.
À ce stade, le couloir de Zangezur - qui relie le Nakhitchevan, l'Azerbaïdjan, la Turquie et l'Asie centrale - revêt une importance primordiale.
Un autre appel à la paix avec l'Arménie a été lancé avec la déclaration de Choucha, annoncée par le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev le 15 juin.
Pashinyan a répondu positivement aux messages d'Aliyev dans le but d'ouvrir le pays au monde et de briser le pouvoir des groupes de pression tels que le clan du Haut-Karabakh.
Atteindre cet objectif est difficile, mais pas impossible, compte tenu de la dépendance militaire et politique de l'Arménie vis-à-vis de la Russie. Sachant que l'UE, les États-Unis et la Géorgie ont servi de médiateurs dans les négociations entre Bakou et Erevan à différentes occasions.
- Crise économique et sociale
L'Arménie affiche le taux de chômage le plus élevé et le revenu national le plus faible du Caucase du Sud. L'économie, qui s'est particulièrement contractée pendant la période de la pandémie, a commencé à montrer des signes de reprise au cours du second semestre 2021. Bien qu'il soit indiqué que le taux de chômage a diminué à 15,3 % au troisième trimestre, les problèmes rencontrés par la frange la plus jeune de la population persistent.
Alors même que depuis 2019, des Arméniens du Moyen-Orient ont immigré dans le pays en raison de la guerre civile syrienne et de la crise actuelle au Liban, les jeunes continuent de chercher du travail à l'étranger.
Le pays a perdu plus de 4 000 soldats lors de la deuxième guerre du Haut-Karabakh. Cependant, les groupes de pression qui n'abandonnent pas leur rhétorique belliciste et revancharde continuent de mettre en avant des politiques allant à l'encontre de la prospérité et de la stabilité de l'Arménie.
Il convient à ce stade d'attirer l'attention sur le régime du Haut-Karabakh. Les dirigeants du Haut-Karabakh, critiquant les déclarations de Pashinyan sur la normalisation et l'amélioration des relations avec la Turquie et l'Azerbaïdjan, ont déclaré qu'ils n'accepteraient pas cette "trahison".
Bien que l'alliance du "clan du Haut-Karabakh" et d'autres groupes extrémistes ne soit pas très populaire auprès des Arméniens confrontés à des difficultés économiques et sociales, il y a lieu de souligner qu'un climat de paix totale ne sera pas instauré de sitôt dans le Caucase du Sud.
Ces lignes de résistance, qui tentent de protéger leur pouvoir sur le plan interne, et qui ont œuvré à affaiblir Pashinyan et à saper les négociations de paix par de nombreux moyens, des menaces d'assassinat aux remous au sein de l’armée, ont laissé des traces en 2021.
À moins que la volonté du Premier ministre et du gouvernement arméniens ne soit contrariée par des tentatives plus radicales en 2022, l'établissement d'un climat de paix raisonnable dans la région demeure une perspective réalisable.
* [Ogul Tuna prépare son doctorat au département d'histoire de l'Université de Californie Irvine (UCI) et est le directeur du Centre d'Ankara pour la politique mondiale].
** Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de l'Agence Anadolu.
*** Traduit de l'Anglais par Mourad Belhaj
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