RDC : La reconversion rapide des Kulunas, ces membres des gangs redoutés
- « Nous leur donnons une nouvelle chance de rattraper le train de la vie », confie à Anadolu le général major, Jean-Pierre Kasongo Kabwik, commandant du Service national.

Kinshasa
AA / Kinshasa – Kaniama Kasese / Pascal Mulegwa
Peloton à l’honneur ! « Une, deux, section, Alt » … La fanfare guide les pas d’un millier de jeunes, tous de bleu vêtus, bottes jaunâtres en caoutchouc, tenant armes à la main lors d’un défilé le 24 mars sur une piste poussiéreuse de la cité de Kaniama Kasese, province de Lomami.
Jambes à l'équerre, pointes des pieds vers le haut sous un regard altier, ils effectuent un salut impeccable sur une terre poussiéreuse devant une tribune modeste où se sont installés des officiers du Service national.
« Ce sont d’anciens kulunas, des gens qui ont troublé la quiétude de la population mais nous les avons repris pour leur inculquer le civisme et les valeurs morales pour l’intérêt de la Nation », nous explique d’emblée, le général major, Jean-Pierre Kasongo Kabwik, commandant du Service national, organe paramilitaire d'éducation, d'encadrement et de mobilisation des actions civiques et patriotiques, rattaché à la présidence de la République.
- « Bâtisseurs »
Ce jour-là, 1 008 ex-kulunas finissent leur formation. « Certains sont devenus des maçons au terme de la formation, d’autres des menuisiers et nous avons également des ajusteurs. Ils sont tous désormais agents du Service national, rémunérés par le gouvernement et seront déployés en dehors de leurs milieux d’origine pour exécuter plusieurs chantiers de l’Etat », relate l’officier.
C’est depuis le 4 novembre 2020 que ce service accueille des membres de gangs interpellés à l’issue des opérations policières principalement dans la capitale Kinshasa, les villes du sud-est du pays et de l’ouest.
« Au départ, il y en avait 660 kulunas, puis jusqu'en avril 2021, nous avons enregistré un total de 2100 kulunas. A ce jour, les 2100 sont intégrés au Service national et sont rémunérés. 1900 autres sont encore en formation », explique le général qui vit à cheval entre la capitale Kinshasa et différentes localités où son service dispose de vastes étendues de terre et des centres d’encadrement.
A leur accueil, après des heures de vol pour Kaniama Kasase, la prise en charge était difficile : « Ce sont des jeunes qui ont vécu dans des bandes criminelles. Ils vivaient au quotidien de la drogue, du vol, des violences sur des habitants, des tueries et combats entre bandes rivales. Nous avons des programmes spécifiques pour les désintoxiquer, leur apprendre les valeurs, l’amour du pays avant de les initier aux métiers. Bref, nous leur donnons une nouvelle chance de rattraper le train de la vie ».
Au Service national, l’agriculture est une religion. Les agents sont les acteurs clés de la production de maïs, manioc et pomme de terre que l’organe déverse sur le marché à bas prix au profit essentiellement des familles des militaires, fonctionnaires, agents de l’Etat et quelques fois pour tout le monde.
« Le Service national a sauvé mon fils »
Un sac de farine se vend trois fois moins cher que sur le marché ordinaire. La capacité de production a augmenté avec l’arrivée des vagues des kulunas. Dès leur admission, ils sont initiés aux activités agricoles.
« Quand mon fils (Etienne, NDLR) a été arrêté par la police puis relégué dans le sud du pays au Service national, je pensais qu’il serait maltraité au quotidien mais j’ai été surprise de l’apercevoir un jour sur une vidéo, portant déjà la tenue bleue et entonnant l’hymne des bâtisseurs comme font les militaires. C’était émouvant », témoigne Elisabeth, une sexagénaire rencontrée dans un quartier malfamé de Kinshasa. « Nous parents et l’Etat avions déjà échoué à éduquer nos enfants, les maintenir sous nos toits. Beaucoup d’amis de mon fils sont aujourd’hui en prison, d’autres avaient été abattus par la police lors des opérations. Le Service national a sauvé mon fils, l’a transformé et l’a rendu utile », s’extasie-t-elle.
Sur l’une des vidéos qui s'est répandue sur internet comme une trainée de poudre, une jeune femme, Grace (nom d’emprunt), robe jaune, coiffure brésilienne, raconte avoir vécu des moments « difficiles » après que le père de son enfant, un kuluna ait été relégué par les autorités au sein du Service national pour une rééducation.
« Je venais d’avoir un enfant. J’avais déjà perdu espoir, je ne pensais pas qu’on allait encore se revoir. A quelques rares occasions, il m’appelait au téléphone, mais après deux ans il m’a demandé de venir ici à Miabi (autre site du Service national dans la province du Kasaï Oriental) où il vit. Il m’avait dit qu’il travaille, qu’il est payé et qu’il était prêt à prendre ses responsabilités. Il m’a payé un transport et je suis là », explique-t-elle, le regard larmoyant teinté de joie.
« Je constate qu’il a changé de caractère, ce n’est plus la même personne, c’est un homme remodelé », ajoute-t-elle, serrant son enfant dans ses bras.
« Quelques mois après son arrivée, il regrettait le mouvement dont il faisait partie, et tout ce qu’il faisait à Kinshasa. C’est très émouvant. Le voilà devenu homme et prenant ses responsabilités. Ils sont nombreux parmi les anciens Kulunas qui ont ramené leurs familles dans des sites où ils sont réinsérés », se réjouit le général Kabwik.
- Des succès et un problème d'ordre juridique
Le Service national était l’un des canards boiteux jusqu’en 2019. « Le Président de la République, commandant des forces armées, a mis tous les moyens nécessaires à la disposition du service, ce qui nous permet de remplir nos missions », affirme l’officier, louant une « volonté politique ».
Ecoles, hôpitaux et ponts construits, des milliers de tonnes de maïs écoulés le marché … l’hostilité et les critiques acerbes des organisations de la société civile ont été rabougries par les résultats. Mais Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la Justice (ACAJ), l’une des ONG influentes de défense des droits de l’homme, tout en félicitant le Service national, évoque une problématique d’ordre juridique.
« Nous restons profondément préoccupés par la procédure. Ils sont considérés dès le départ comme des délinquants professionnels qui menaçaient la paix sociale, la sécurité des personnes et leurs biens. La législation en vigueur exige qu’avant qu’ils ne soient relégués, que cela se fasse à la suite d’un jugement d’un tribunal compètent qui les mettra à la disposition du gouvernement, qui les mettra à son tour à la disposition du Service national », confie l’avocat à Anadolu.
Les résultats « sont louables et encourageants mais la procédure pèche par rapport à l’arsenal juridique bien qu’il soit obsolète. C’est un raccourci dangereux », ajoute-t-il, reconnaissant toutefois que la « législation en la matière est totalement obsolète ».
A Kinshasa et dans plusieurs villes congolaises, « les prisons sont remplies de délinquants non jugés faute de moyens au niveau de la justice ou faute de l’existence des victimes pour les charger », explique à Anadolu, jean – Chrétien Meli, ancien procureur général à Kinshasa
« Les raccourcis politiques sont certes productifs et ne posent aucun problème tant que c’est pour plomber les faiblesses et préserver la quiétude de la société », analyse-t-il, tout en prévenant que « tout serait remis en cause si les résultats attendus politiquement virent en menace contre la sécurité publique ».
Lui, comme Georges Kapiamba, appelle le Parlement à légiférer pour adapter le texte aux besoins et à la réalité du terrain.
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